Le bilan économique mitigé de Macky Sall au Sénégal

Le bilan économique mitigé de Macky Sall au Sénégal

Le président Macky Sall a beaucoup investi dans les infrastructures mais depuis son arrivée au pouvoir en 2012, la dette a fortement augmenté, tout comme le chômage.

Après une campagne électorale mouvementée et le report du vote prévu initialement en février, le Sénégal s’achemine donc vers le premier tour de la présidentielle, dimanche.

Le président sortant, Macky Sall, n’est pas candidat à sa propre succession, car il a déjà effectué deux mandats à la tête du pays.

Bilan économique d’un président parfois surnommé “le bâtisseur” qui, en douze années de présidence, a développé les infrastructures, de transport notamment, quitte à creuser la dette du pays.

Le Plan Sénégal émergent

Quand il arrive au pouvoir en 2012, Macky Sall se veut le président du renouveau. Il présente son Plan Sénégal émergent (PSE), censé développer l’économie du pays à l’horizon 2035.

Dans ce cadre, des universités ont été construites, des axes routiers pour désenclaver des régions reculées, des lignes ferroviaires ont été réalisées, comme le train express régional de Dakar, le premier TER d’Afrique de l’Ouest, qui reliera à terme la capitale au nouvel aéroport international Blaise Diagne.

Mamadou Samba Hane, professeur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), et expert consultant en économie, nuance toutefois ces réalisations : “Il y a eu des routes, des hôpitaux clefs en main, des nouvelles universités. Dans le domaine de l’agriculture, il visait l’autosuffisance alimentaire. Mais ce n’était que des vœux et dans la réalisation, il y a eu des problèmes.”
La carte de l’endettement

La dette est en effet passée à 76% du PIB en 2023. Une politique de l’endettement que critique cet autre enseignant-chercheur de l’Ucad, Khadim Bamba Diagne.

Il estime que les lourds investissements publics réalisés dans le cadre du PSE n’ont pas été rentables : les coûts d’exploitation des projets nécessitent encore beaucoup de subventions, tandis que d’autres domaines ont été délaissés au nom de projets prestigieux, plus visibles.

“Si tu prends le TER, explique Khadim Bamba Diagne, c’est 28 kilomètres qui nous ont coûté mille milliards. C’est énorme ! Le gros problème, c’est qu’on met en place des infrastructures lourdes qui coûtent trop cher, alors que la population attendait des investissements dans d’autres secteurs de l’économie comme l’agriculture, la pêche, etc. Il a signé des accords de pêche avec l’Union européenne et la Chine qui ont fait chuter le volume de poissons que les pêcheurs ont chaque année.”

Ismaïla Diack, chargé de projet au sein de la Fondation allemande Friedrich Ebert, à Dakar, rappelle quant à lui que Macky Sall avait promis que le Sénégal serait autosuffisant sur le plan alimentaire en 2017, or ce n’est toujours pas le cas.
La pauvreté persistante

A cela s’ajoute le problème de la pauvreté. Depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir, en 2012, le Sénégal a reculé de douze places sur l’indice de développement humain , passant du 157e au 169e rang dans le classement mondial.

“Notre économie est dominée par l’économie informelle, note Ismaïla Diack, un secteur qui vit dans des conditions précaires, sans protection sociale. Ils travaillent dans des conditions qui ne sont pas décentes. Et puis la question du chômage, de l’emploi des jeunes est très présente au Sénégal” … dans un pays où les trois quarts de la population ont moins de 35 ans et rêvent d’une vie meilleure.

“On ne peut pas, nous, donner des permis de pêche à certains bateaux qui peuvent pêcher dix fois plus de poissons que les pêcheurs artisanaux, estime Khadim Bamba Diagne. Aujourd’hui, pour la première fois, le Sénégal s’est mis à importer du poisson du Maroc et de Mauritanie, alors qu’il dispose de 700 kilomètres de littoral. Ça ne fait pas sens. […] La chute de la pêche artisanale a favorisé l’essor de l’émigration clandestine. Au lieu de chercher du poisson, les pêcheurs se sont mis à transporter des personnes vers l’Europe.”

Faire valoir le point de vue sénégalais

Pour Mamadou Samba Hane, la crise de la Covid-19 a par ailleurs démontré qu’il fallait maintenant que l’économie sénégalaise change de paradigme :

“Tout ce qui se fait au Sénégal est importé. A tous les niveaux, on importe. Alors on a appris que désormais, il fallait penser sénégalais : qu’on ait notre auto-suffisance alimentaire – et ce n’est pas que la crise de la Covid-19, l’Ukraine aussi nous a montré ça – il faut d’autres comportements, de consommation, de production, dans le but de ne plus laisser notre économie dépendre de l’extérieur au point que quand une crise survient quelque part, nous la ressentons encore plus fort chez nous. Je pense que ça a été une opportunité pour les Africains, les Sénégalais, de se réveiller, de se prendre en charge et de ne plus dépendre de l’extérieur”.

L’économiste Khadim Bamba Diagne recommande aux dirigeants sénégalais de s’inspirer des modèles allemand ou sud-coréen pour renforcer le tissu des PMI et PME.

Jouer la carte de l’industrialisation, c’est aussi une suggestion de Mamadou Samba Hane. Mais il va plus loin et préconise de renégocier les contrats passés avec les multinationales étrangères :

“Si vous prenez le TER, à l’intérieur, il y a une succursale française qui s’appelle Seter qui, aujourd’hui, est l’entreprise d’exploitation. Si vous prenez BRT (Bus Rapid Transit, bus électrique en voie réservée), c’est une entreprise française qui s’appelle Meridiam. L’agroalimentaire, c’est Auchan. Tout ce qui est communications, c’est Free, c’est France Telecom… et derrière, les Sénégalais ne sentent pas les retombées. C’est vrai qu’aujourd’hui, il y a une croissance économique mais cette croissance économique est exportée car elle repose sur ces mastodontes étrangers et ne profite pas réellement aux Sénégalais.”

Selon l’économiste, il suffit d’une volonté politique dans le domaine, pour redonner de l’espoir aux jeunes “dans un pays où tout est à faire” et pour convaincre les “mastodontes” étrangers que oui, le Sénégal veut continuer à travailler avec eux, mais sous d’autres conditions, en tirant désormais profit aussi de la relation.