En Tunisie, le parti Ennahda fragilisé par l’arrestation de ses deux plus hauts dirigeants

En Tunisie, le parti Ennahda fragilisé par l’arrestation de ses deux plus hauts dirigeants

Mondher Ounissi, président par intérim du mouvement islamo-conservateur, et Abdelkrim Harouni, président du conseil de la choura, ont été placés en garde à vue.

Les deux plus hauts dirigeants du parti islamo-conservateur tunisien Ennahda, Mondher Ounissi, président par intérim du mouvement, et Abdelkrim Harouni, président du conseil de la choura (son parlement interne), ont été arrêtés, mardi 5 septembre au soir, et placés en garde à vue. Plus tôt dans la matinée, un autre ancien cadre du parti, Hamadi Jebali, chef du gouvernement tunisien de décembre 2011 à février 2013, a été auditionné plusieurs heures avant d’être relâché. Un nouveau coup dur pour la formation, minée par les dissensions internes et les démissions collectives depuis le coup de force du président Kaïs Saïed, le 25 juillet 2021.

« La stratégie de répression d’Ennahda est différente de celles des anciens régimes, car elle vise la direction et non la base. Le but n’est surtout pas d’éradiquer Ennahda, car cela n’a pas fonctionné, mais de le domestiquer en le vidant de son enracinement populaire et de sa dimension contestataire », estime Hamza Meddeb, chercheur au cercle de réflexion Carnegie Middle East Center. Une tâche d’autant plus aisée, pour les autorités, que le parti est en crise.

Fragilisé par dix ans d’exercice du pouvoir au sein de plusieurs alliances gouvernementales, Ennahda a perdu les deux tiers de son électorat, avant de devenir une cible privilégiée du régime. Rached Ghannouchi, son leader historique, a été interpellé en avril, rejoignant une longue liste d’opposants et cadres du mouvement islamo-conservateur déjà emprisonnés. Au lendemain de son arrestation, les locaux du parti ont été fermés sur décision du ministre de l’intérieur et ses rassemblements ont été interdits.

Le mouvement peine, depuis, à sortir de l’ornière. Nommé président par intérim, Mondher Ounissi s’est positionné en faveur d’un renouvellement de l’encadrement à travers l’organisation d’un congrès annoncé en octobre et d’un appel au dialogue avec Kaïs Saïed. Mais ses initiatives sont très contestées en interne. « Ounissi n’est pas connu, il ne fait pas partie des dirigeants historiques », rappelle Hamza Meddeb.

« Purifier l’administration »

Un rapprochement avec le pouvoir pourrait-il néanmoins être envisageable dans la perspective de l’élection présidentielle d’octobre 2024 ? La question est ouverte. « Ce serait nouveau en Tunisie, mais pas dans le monde arabe, estime le chercheur. En Algérie ou en Jordanie, les islamistes ont gardé une certaine distance, sans jamais délégitimer le pouvoir en place. »

Rien ne dit que Kaïs Saïed y soit favorable. Le président répète depuis un mois vouloir « purifier l’administration » de ceux qui l’auraient « infiltrée » depuis l’arrivée au pouvoir des islamistes. L’ancien ministre Abdelkrim Harouni et l’ex-premier ministre Hamadi Jebali ont ainsi été interrogés sur des nominations au sein de l’administration durant leurs mandats respectifs.

Mondher Ounissi, lui, a été placé en garde à vue à la suite de l’ouverture d’une instruction liée à la fuite d’un enregistrement vocal – dont il dément la véracité – dans lequel il accuserait des proches de Rached Ghannouchi de ne servir que leurs intérêts financiers et politiques. Les charges retenues contre lui ne sont toujours pas connues, participant à complexifier davantage sa position par rapport au pouvoir en place.

Dans ce climat délétère, entre division et répression, « l’idée de l’organisation d’un congrès est clairement remise en cause », souligne Hamza Meddeb : « En même temps, comment cela pouvait se faire avec des personnes en prison ou à l’étranger ? Ce n’était pas sérieux. »

Depuis le 25 juillet 2021 et la suspension des activités du Parlement par Kaïs Saïed, plus d’une vingtaine d’opposants ont été arrêtés et accusés de complot contre la sûreté de l’Etat, de corruption ou de blanchiment d’argent. Des dizaines d’autres personnes, anciens hauts fonctionnaires, militants, avocats, juges ou journalistes, sont toujours poursuivies en justice, interdites de voyage ou ont été contraintes à s’exiler.