L’accès au développement, un combat franco-africain

L’accès au développement, un combat franco-africain

Dans l’Hexagone comme sur le continent, la plupart des gouvernants n’ont pas été à la hauteur des actions menées sur le terrain. Reprendre ensemble ce qui reste avant tout un combat culturel est la clé du décollage économique de l’Afrique, selon le professeur de sciences économiques Bernard Landais.

Comme c’est le cas désormais, le sort des anciennes colonies et des zones d’amitié traditionnelles de la France – Afrique de l’Ouest et Afrique centrale, Liban, Arménie, Vietnam – ne passionne pas les foules françaises, sauf lorsqu’il implique un lien avec les mouvements migratoires.

Au mieux, il suscite des réactions inspirées par les bonnes intentions d’un groupe minoritaire de Français, mais sans grande portée pour l’avenir de ces cousins éloignés. Au pire, il s’analyse comme partie d’un jeu géopolitique d’arrière-garde dans un contexte de mondialisme en voie de fragmentation. Globalement et contrairement au passé, la vie de ces cousins nous devient indifférente.

Des intérêts communs

Pourtant nos intérêts économiques et culturels sont liés. Cette conclusion repose sur une analyse du développement économique qui prétend que la croissance et, a fortiori, le développement sont étroitement dépendants de l’ensemble des cultures humaines. La théorie de la croissance montre à l’évidence le rôle du capital humain professionnel dans le PIB. De plus, l’impact de l’esprit d’entreprise, de la puissance nationale, de la santé, de la sécurité et de bien d’autres cultures et mentalités se vérifie dans la plupart des projets d’investissement.

C’est à base de culture, notamment scientifique, qu’une économie peut créer du progrès technique ou simplement se l’approprier quand il vient de l’extérieur. Toutes ces cultures elles-mêmes sont le fruit de longs cheminements intergénérationnels, dans les familles, le système scolaire et la société dans son ensemble.

Pour le développement économique, qui prolonge et utilise la croissance du PIB, le lien avec la culture est encore plus étroit. Le développement est la démarche collective vers une utilité de plus en plus élevée pour les personnes. C’est le mot qu’emploient les économistes pour désigner le bonheur.

Presque toutes les cultures humaines déjà impliquées dans la production jouent donc de surcroît un rôle pour promouvoir l’utilité et le développement des peuples. Bien d’autres cultures ou mentalités les rejoignent : la vie sociale et les relations entre les personnes procèdent de cultures privées qui participent aux fonctions d’utilité des individus aux côtés du temps, des patrimoines et des biens et services tirés de la production.

Sans cultures pas de développement et la sous-culture mène au sous-développement ! Aucun pays du monde ne peut échapper à cette règle, qu’il dispose d’une économie « avancée » au regard de son PIB ou d’une économie « en retard ».

L’Afrique et la France ont tout intérêt à constituer une solide alliance culturelle

C’est sur ce plan des investissements culturels que se situent à la fois les meilleures réussites anciennes et les échecs récents de la coopération France-Afrique. Il est clair que cette leçon n’a pas été tirée par les États et la France, en premier lieu. La plupart des gouvernants n’ont pas été à la hauteur des actions culturelles de coopération menées sur le terrain par des Français et des Africains et n’y ont pas attaché l’importance qu’elles méritaient.

L’un des faits saillants de notre époque est qu’un déficit croissant en diverses formes de capital humain, allant des cultures professionnelles jusqu’aux coutumes et convivialité privées, a renversé le mouvement général de développement, même si, rarement, les revenus par tête ont continué à croître. Il y a peu d’exceptions nationales et ce déclin s’est encore accéléré en raison de la numérisation dévoyée et dévorante de ces vingt dernières années.

Les relations de la France avec les pays d’Afrique francophone sont marquées par ce constat commun. Nous vivons dans un monde où des sous-cultures mondialisées nous détournent de nos bases culturelles de développement, bases largement communes elles aussi. Tous nos pays font face à la nécessité de défendre leur patrimoine culturel et moral ; la France comme l’Afrique francophone ont intérêt à collaborer pour y parvenir.

Alliance défensive

L’adversaire se présente sous la forme des mondialismes : l’ancien mondialisme dominant anglo-saxon qui asservit déjà l’Europe, rendu terriblement efficace par la numérisation mais qui décline déjà de ses excès sociétaux ; les nouveaux mondialismes concurrents, le chinois, le russe…

Beaucoup de ces pays dominants connaissent ou ont connu des « révolutions culturelles » qui ont largement réussi à les rendre intégralement matérialistes, en préalable au nouveau monde ! Ces « mentalités » impériales ne sont pas en phase avec les bases culturelles communes de la France et de l’Afrique, qui ont tout intérêt à constituer une solide alliance défensive. L’intérêt est d’autant plus grand qu’elle n’est pas la seule possible pour l’Afrique francophone, celle du lien avec les extrémismes religieux et les pays qui les représentent se renforçant d’années en années.

Paris avait sans doute un atout particulier dans ses relations avec les pays africains. Au moment où la rencontre a lieu, Le France est un pays chrétien mais aussi un pays laïc, déjà marqué par la Révolution, les Lumières et un affaiblissement démographique excluant tout projet de colonisation de peuplement. Du fait de cette diversité originelle, la culture française a pu être plus largement combinée avec les cultures africaines, y compris même dans sa rencontre avec l’islam. Cette ouverture et l’empathie qui en résulte se sont donc maintenues après les indépendances, chacun des nouveaux pays combinant sa culture propre à des aspects parfois différents de l’héritage français. Qu’on le veuille ou non, ces liens perdurent et ils nous obligent.

Des problèmes plus graves ont surgi au cours des récentes décennies. Face au mondialisme et à l’évolution démographique, l’Afrique (francophone ou non) n’arrive plus à assurer la transmission de ses cultures complexes à ses jeunes générations et perd ainsi des chances de développement humain. La France n’est pas mieux lotie chez elle et donne à l’extérieur une bizarre impression de renoncement national et de désinvolture, dont les tristes voyages du président Macron et ses choix discutables pour la Francophonie sont les manifestations. Mais Macron n’est pas la France et il la représente moins qu’une Europe déjà rentrée dans le rang. du mondialisme.

Ni modèle, ni esprit, ni espoir

Les Africains savent bien qu’à l’heure actuelle, aucune autre solution culturelle n’est disponible pour mener un vrai développement et favoriser le progrès humain : ils doivent compter sur leurs propres forces, matérielles et morales. On peut certes faire appel à Wagner mais l’on sait que derrière cet apport militaire brutal et aléatoire, il n’y a ni modèle, ni esprit, ni espoir. La Centrafrique en fait actuellement l’expérience.

Immédiatement après les indépendances, les pays africains qui se sont tournés vers les Soviétiques ou les Chinois ont très vite compris le peu de bénéfices réels qu’ils en obtenaient pour leur développement. En matière culturelle et sous réserve des difficultés de transmission déjà citées, les Africains sont souvent à un stade de développement humain plus élevé que leurs nouveaux interlocuteurs. De plus, et même si c’est une banalité de le dire, l’usage du français est une base de coopération régionale qui a fait ses preuves. Face au mondialisme déstructuré, la France doit donc rester fidèle à ses engagements et à ses alliances sur le continent.