L’Afrique face à l’influence chinoise et russe

L’Afrique face à l’influence chinoise et russe

En multipliant les lourds projets d’infrastructures en Afrique, la Chine et la Russie visent à asseoir leur influence dans les pays du continent, qui risquent pour leur part de se retrouver “piégés”, avertissent des experts.

Lignes ferroviaires, infrastructures civiles : la Chine multiplie les projets gigantesques en coopération avec des Etats africains, dont elle devient l’un des principaux bailleurs de fonds.

“Un grand projet d’infrastructure sur trois en Afrique est construit par des entreprises d’Etat chinoises, un sur cinq est financé par une banque institutionnelle chinoise”, indique Paul Nantulya, du Centre d’études stratégiques de l’Afrique, qui relève du département de la Défense américain.

Pékin profite du vide laissé par le retrait des pays occidentaux, plus frileux à financer ces projets. “Les Chinois ont vu ce vide et ont décidé d’investir dans les infrastructures”, remarque M. Nantulya.

Mais à quel prix ? Anna Borshchevskaya, du groupe de réflexion Washington Institute, pointe un “piège de la dette” pour les pays africains. “La Chine propose des prêts pour des projets d’infrastructure coûteux” et “quand un pays ne peut pas rembourser son prêt, la Chine prend le contrôle de ses actifs stratégiques”, dit-elle.

Lors de sa visite au Sénégal en janvier, la secrétaire au Trésor américain Janet Yellen a appelé les pays africains à _”être prudents face à des accords alléchants.”_Ces derniers peuvent “être opaques et finalement échouer à aider les gens qu’ils devaient aider”, a-t-elle affirmé, faisant allusion aux accords conclus en Afrique par la Chine.

De nombreux Etats parmi les plus pauvres se dirigent vers le surendettement, voire le défaut de paiement, ont estimé des agences onusiennes lors de la conférence des Pays les moins avancés organisée par les Nations unies au Qatar début mars.

“La Chine devrait être la dernière à être accusée (d’utiliser) le piège de la dette”, a rétorqué le ministre chinois des Affaires étrangères, Qin Gang, le 7 mars, lors d’une conférence de presse. “La Chine s’est efforcée d’aider les pays en difficulté et est le principal contributeur à l’initiative de suspension du service de la dette du G20”, a-t-il ajouté.

Au Kenya, l’un des projets gigantesques menés par la Chine figure la ligne ferroviaire reliant la ville de Mombasa à la vallée du Rift, pour un coût de cinq milliards de dollars, financé à 90% par Pékin. La Chine est le deuxième bailleur de fonds du Kenya, après la Banque mondiale.

La Tanzanie, elle, a signé un contrat de 2,2 milliards de dollars avec une entreprise chinoise pour une ligne ferroviaire reliant le principal port du pays à ses voisins.

Si certains projets s’avèrent rentables, le véritable avantage revient pour l’instant à Pékin, avec des contrats de maintenance qui peuvent durer jusqu’à 99 ans, selon M. Nantulya, qui ajoute que l’impact local est faible car les employés sont très majoritairement chinois.

L’expert rappelle également que la crise de la dette des années 1990 en Afrique avait été provoquée par les Occidentaux et non par la Chine ou la Russie.

Principal pays exportateur d’armes vers l’Afrique, la Russie, de son côté, renforce sa présence sur le continent grâce à notamment des projets miniers accordés au groupe paramilitaire privé Wagner, soupçonné d’exactions dans la guerre de Moscou contre l’Ukraine.

En janvier, les Etats-Unis ont accusé Wagner de “violations généralisées des droits humains et d’extorsion des ressources naturelles” en Afrique. Des accusations réitérées par l’Union européenne, qui a pris des sanctions contre le groupe en février.

M. Nantulya remarque que le groupe opère au Mali, au Soudan et en République centrafricaine, mais pas “dans des environnements démocratiques”, citant le Ghana, la Namibie et le Sénégal. Des experts ont également dénoncé l’impact environnemental de projets chinois et russes sur le continent.

Les deux pays sont “connus pour une plus grande négligence lors de la réalisation de leurs projets, en comparaison avec leurs homologues occidentaux”, souligne Mme Borshchevskaya. “La Chine est le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre” et finance des “centrales à charbon à l’étranger”, ajoute-t-elle.

Et “les projets miniers de la Russie (…) ont entraîné, selon les rapports, des niveaux élevés de composés métalliques toxiques, la pollution des ressources en eaux souterraines, des sols et de la végétation.”

Au Liberia, ces impacts sont “graves”, pointe Davestus James, du Centre pour la construction de la paix et la démocratie du Liberia. “Les citoyens sont victimes de leurs propres ressources”, dit-il. “L’érosion causée par les mines pollue l’eau potable (…), les ressources sont également accaparées et exportées au détriment des citoyens.”