Dans l’est de la RDC, face aux rebelles du M23, Goma retient son souffle

Dans l’est de la RDC, face aux rebelles du M23, Goma retient son souffle

Depuis le début de l’offensive du Mouvement du 23-Mars, fin octobre, la capitale provinciale du Nord-Kivu est de plus en plus isolée. Ses habitants craignent que la ville ne tombe, comme en 2012.

Les étals sont presque vides. Des bananes noircies et quelques oignons gisent encore dans les bacs de fruits et légumes. « Il n’y a plus aucun avocat et les tomates sont presque terminées », constate Maman Elisé. Son échoppe, située en plein cœur de la gare routière de Goma, est d’ordinaire l’une des mieux fournies de la capitale régionale du Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). « Je n’ai pas été réapprovisionnée à cause de la reprise de la guerre », regrette la commerçante.

Le 20 octobre, le Mouvement du 23-Mars (M23), une rébellion à dominante tutsi, a lancé une offensive contre l’armée congolaise. Les insurgés, qui avaient déposé les armes en 2013 avant de les reprendre en décembre 2021, ne sont plus qu’à une quarantaine de kilomètres de la ville. Ils contrôlent, depuis le 30 octobre, une large partie du territoire de Rutshuru, considéré comme le grenier de Goma. Dans cette cité carrefour de la région des Grands Lacs, les stocks ne sont pas encore épuisés. Mais les produits maraîchers congolais peinent de plus en plus à nourrir les deux millions d’habitants de Goma et les quelque 75 000 déplacés qui s’y pressent.

Maman Elisé aimerait faire des réserves, mais ses moyens financiers ne le lui permettent pas. Cette mère de famille a déjà fait l’expérience de pénuries et craint de « revivre la même situation » qu’en 2012, quand le M23 avait assiégé la capitale régionale avant de l’occuper pendant plus d’une semaine. « L’huile a déjà pris 7 dollars [7,05 euros] en quelques jours ! » s’inquiète-t-elle. Ici, « l’essentiel des produits de première nécessité vient de l’étranger, principalement du Rwanda et de l’Ouganda voisins », souligne Delliance Matata, président de l’Association congolaise des commissionnaires agréés en douane. Sur les neuf postes-frontières que compte le Nord-Kivu, seuls trois demeurent sous contrôle gouvernemental et sont fonctionnels. Bunagana, l’un des plus importants points de passage, est administré par les rebelles depuis juin. Tout comme Kitagoma, depuis le 28 octobre.

Les autres, notamment Ishasha ou Kasindi, sont quasiment à l’arrêt. Les camions sont bloqués et leurs chauffeurs n’osent pas emprunter la RN2, la seule route praticable qui mène à Goma. Le M23 contrôle les communes stratégiques de Kiwanja et de Rutshuru, passages obligés pour ravitailler la ville. « La même stratégie avait été mise en place en 2012 », se souvient l’expert.

Prêts à « servir le drapeau »

Au poste-frontière de la « grande barrière » entre la RDC et le Rwanda, quelques vendeuses parviennent encore à passer la douane avec leurs marchandises sur la tête. Mais elles circulent au compte-gouttes depuis que le bureau a réduit ses horaires d’ouverture, en juin. Une décision imposée par les autorités de Kinshasa, qui protestent contre le rôle trouble de Kigali, accusé de soutenir le M23.

Dans leur rapport rendu en juillet sur la période allant de juillet 2021 à juillet 2022, les experts de l’ONU, ainsi que le Baromètre sécuritaire du Kivu (qui cartographie les conflits dans la région) en novembre, affirment détenir des preuves de l’implication du Rwanda dans ce conflit. Ce que Kigali continue de nier, accusant de son côté l’armée congolaise d’être l’alliée des Forces démocratiques de libération du Rwanda, une rébellion hutu rwandaise réfugiée en RDC depuis le génocide des Tutsi en 1994.

En réaction à l’avancée des insurgés, l’ambassadeur rwandais à Kinshasa, Vincent Karega, a été expulsé le 31 octobre. Mais la frontière entre les deux pays n’a pas été fermée, comme le réclament pourtant plusieurs associations citoyennes. « Ce serait un crime social. Nous risquerions l’asphyxie économique », met en garde Delliance Matata.

La rébellion assure, pour sa part, que le trafic n’est pas totalement coupé. Une dizaine de véhicules a été autorisée à rejoindre la capitale provinciale. « Chez nous, le peuple est roi », affirmait, pendant un meeting à Rutshuru, début novembre, Willy Ngoma, le porte-parole militaire du M23, se plaçant en libérateur de la population.

Mais, à Goma, de nombreux jeunes se disent désormais prêts à « servir le drapeau ». Dans une adresse à la nation, le 3 novembre, le président congolais, Félix Tshisekedi, a appelé la population à s’organiser en « groupes de vigilance » pour défendre la patrie. « Ils sont déjà plus de 2 000 à s’être engagés depuis l’appel du chef de l’Etat », affirmait, samedi 5 novembre, le général Sylvain Ekenge, le porte-parole de l’armée.

Retrait tactique des casques bleus

Le président Tshisekedi a aussi encouragé la solidarité avec les déplacés, qui seraient au nombre de 200 000 selon la présidence congolaise. Aux portes de Goma, les bâches en plastique envahissent les champs de Kanyaruchinya. Ceux qui ont fui la percée du M23 construisent des abris avec des matériaux de récupération. D’autres trouvent refuge dans les bâtiments existants. Sur le site de Mwanza, le bureau d’un député local – une baraque en bois sans électricité – s’est transformé en un dortoir improvisé où s’entassent 115 familles. « Nous n’avons pas vu les rebelles, mais nous sommes partis par prudence », explique Théodore.

Cet enseignant vient de Kibumba, dernier verrou avant Goma depuis que les forces armées de la RDC ont quitté Rumangabo, l’une des principales bases militaires de la région, et ancien quartier général du M23 en 2012. Cette caserne a aussi été abandonnée par la mission de maintien de la paix des Nations unies Monusco, qui a affirmé, début novembre, avoir opéré un « retrait tactique ». Une décision impopulaire, d’autant que les casques bleus, présents en RDC depuis 1999, sont vivement critiqués depuis plusieurs mois pour leur incapacité à résoudre les conflits dans l’est du pays. Le 1er novembre, un camion de l’ONU a été attaqué par des civils à une dizaine de kilomètres de Goma.

Très attendues, les troupes kényanes qui devraient être déployées dans le cadre d’une force est-africaine peuvent-elles changer le cours des événements ? Nairobi a confirmé, le 2 novembre, l’envoi d’un contingent après la décision, en juin, de créer une force régionale destinée à ramener la paix lors d’un sommet de la Communauté d’Afrique de l’Est. Mais ces troupes se font attendre. Depuis le 30 octobre, toutefois, les combats ont cessé.

L’offensive du M23 et l’isolement de Goma sont-ils des moyens de contraindre Kinshasa à des pourparlers ? Officiellement, la RDC ne négocie pas avec les « ennemis ». Mais les ministres des affaires étrangères congolais et rwandais ont de nouveau échangé le 5 novembre à Luanda dans le cadre de la médiation de l’Angola. En 2012, la promesse d’un dialogue et les pressions internationales avaient convaincu les rebelles de libérer la ville. Les habitants espèrent ne pas voir se rejouer le même scénario.