Aminata Touré: au Sénégal, «nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs»

Aminata Touré: au Sénégal, «nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs»

Au Sénégal, c’est officialisé : Aminata Touré a envoyé une lettre au président de l’Assemblée nationale pour l’« informer » de sa décision d’être désormais députée non-inscrite. L’ancienne Première ministre, qui était tête de liste de la majorité Benno Bokk Yaakaar aux législatives de juillet, a rompu avec le président Macky Sall après avoir été écartée du perchoir. Débat sur une éventuelle troisième candidature du chef de l’État en 2024, possible amnistie des opposants Karim Wade et Khalifa Sall, ses perspectives pour l’avenir, Aminata Touré, surnommée « Mimi » Touré, est l’invitée de Charlotte Idrac.

Vous êtes donc désormais députée non-inscrite à l’Assemblée, alors concrètement, quand il s’agira de voter des lois, est-ce que vous serez dans la majorité ou dans l’opposition ?

C’est tout le sens d’être non-inscrit, c’est d’être député du peuple comme on dit, et tout dépendra de la nature de la loi, des remarques qu’on fera, est-ce qu’elles sont prises en compte… Voilà, c’est un geste de liberté.

Avec cette décision, le groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar perd sa courte majorité absolue de 83 députés. Donc la coalition que vous avez défendue pendant toute la campagne durant les législatives, se retrouve fragilisée. Est-ce que ce n’est pas une trahison comme le disent certains responsables du parti présidentiel ?

Eh bien la trahison, elle serait plutôt de l’autre côté, parce que l’engagement militant à mon avis doit être prédominant sur la préférence familiale, ce qui a été le cas. Si les principes qui nous mettent ensemble, si tout ça est effacé, autant que chacun retrouve sa liberté.

Ce poste à la présidence de l’Assemblée, il vous avait été promis, vous aviez un accord ferme avec le chef de l’État ?

Bien sûr, je l’ai expliqué, c’est très clair. Et puis maintenant, on peut mieux comprendre en fait ce qui s’est passé à la lumière des projets d’amnistie de M. Karim Wade.

Comme pour Khalifa Sall, le chef de l’État a ouvert la voie à cette possibilité…

Oui, mais moi, c’est surtout celui de Karim Wade qui m’intéresse parce que j’étais ministre de la Justice à ce moment-là, et peut-être que c’était ça l’obstacle.

Karim Wade avait été condamné pour enrichissement illicite.

C’est ça. C’est clair que comme président de l’Assemblée nationale, une telle loi ne répondrait pas à mes critères éthiques, le droit a été dit, et puis visiblement, c’est plutôt une combinaison, pour ne pas dire un deal politique, qui mène à cette amnistie des faits. Et ces faits, ce sont des faits graves de détournement de deniers publics.

Si cette loi passe à l’Assemblée, vous allez donc voter contre ?

Je vais voter contre, c’est clair.

Pour la présidentielle de 2024, le président reste flou sur ses intentions. Vous pensez vraiment qu’il a l’intention de présenter une troisième candidature ?

Tout semble l’indiquer, parce que ce qui se joue en fait, ce sont les 500 000 voix qu’aurait le Parti Démocratique Sénégalais, incarné par M. Karim Wade. Alors que lui dit qu’il ne veut pas d’amnistie, il veut une révision du procès.

Pour revenir sur le débat sur le troisième mandat, certains vous reprochent de ne pas avoir relancé ce débat pendant toute la campagne pour les législatives, avant d’être écartée du poste de président de l’Assemblée, que répondez-vous ?

Alors, je peux vous demander de faire de la recherche documentaire, je n’ai pas cessé de dire que la question du troisième mandat était derrière moi. Et le président Macky Sall disait qu’il allait se prononcer juste après les élections d’ailleurs. Pour moi, c’était évident qu’il n’y ait aucune raison pour qu’il dise « je vais me présenter ». Aucune raison ! Il l’a dit sur toutes les télévisions, africaines, mondiales. Et puis ce n’est juste pas possible. Cela n’a pas été accepté il y a dix ans, lorsque le président Abdoulaye Wade a voulu faire un troisième mandat. Il est allé aux élections, il a eu 35% au premier tour, je crois que ce serait pire pour le président Macky Sall. Et puis, il y a des risques de stabilité sur le Sénégal. Il n’a pas le droit le président Macky Sall. Il a fait du très bon travail ceci dit en passant. Je ne me renierai jamais, par rapport à son bilan que j’ai défendu partout, mais bon, nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs.

Donc pour vous, il faut qu’il clarifie au plus vite sa position ?

Absolument. Et c’est ce qui va rassurer aussi non seulement les populations, mais également les investisseurs nationaux, comme internationaux.

Alors quant à vous Aminata Touré, est-ce que vous êtes déjà candidate pour cette présidentielle 2024 ?

En tout cas, j’y pense fortement, très sérieusement. Tous les matins en attachant mon foulard devant la glace, c’est un journaliste qui me le disait, eh bien, je peux lui confirmer, je vais aller à la rencontre des Sénégalais, je vais m’organiser, je vais collecter des parrainages…

Vous allez créer votre propre parti ?

Un parti… On en parlera plus tard.

Est-ce que le chef de l’État, quand il vous a écarté du perchoir, vous a proposé le poste de Premier ministre ?

Non, je ne lui ai pas parlé depuis lors. On se reparlera quand il ne sera plus président de la République.

Dans une lettre au chef de l’État datée du 15 septembre, vous aviez dénoncé des actions de neutralisation physique envisagées contre vous, « par des éléments proches de l’entourage du chef de l’État et de la Première dame », est-ce qu’il y a eu des suites ?

Je l’ai informé, en tout cas le comité d’invectives et d’insultes est très actif.

De l’APR (le parti présidentiel) ?

Bien sûr, et à tous les niveaux. Mais c’est peine perdue, ça n’aura aucun effet sur ma volonté d’aller de l’avant, et de travailler pour ce pour quoi j’avais quitté les Nations unies pour accompagner le candidat Macky Sall en 2012. Le débat central, c’est le débat autour du troisième mandat. Bien sûr, certains se disent, « si le président Macky Sall n’est plus là, je n’aurai plus mon poste », mais c’est ainsi la vie, on n’est pas dans une monarchie. Et le président de la République qui est le président de l’Union africaine, doit donner le bon exemple en disant « je respecte la constitution, donc moi mon parcours en tant que président de la République s’arrêtera en février 2024 ».