« Manipulation », « passé colonial » : nouvelle passe d’armes entre Paris et Ankara

« Manipulation », « passé colonial » : nouvelle passe d’armes entre Paris et Ankara

Dans un communiqué du 27 août, le ministère des Affaires étrangères turc a vivement réagi aux propos tenus la veille par Emmanuel Macron sur l’influence de la Turquie en Afrique, lors du second jour de sa visite officielle en Algérie.

« Extrêmement regrettable ». C’est l’expression utilisée par le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Tanju Bilgiç, en réponse aux propos tenus par Emmanuel Macron lors du deuxième jour de son séjour officiel en Algérie.

Le vendredi 26 août, lors d’un point presse effectué à la sortie du cimetière de Saint-Eugène, le chef de l’État français a été interrogé sur le désamour que suscite la France en Afrique. Le président de la République a évoqué l’existence d’une « immense manipulation » et d’un « agenda d’influence », ainsi que la présence de « réseaux poussés en sous-main par la Turquie, la Russie et la Chine », cherchant à faire de la France un « ennemi simple qui met tout le monde d’accord ».

La réponse de l’un des trois mis en cause ne s’est pas fait attendre : dans un communiqué au ton virulent publié le lendemain, le ministère des Affaires étrangères turc déclare qu’il est « inacceptable que le président français Macron, ayant du mal à affronter son passé colonial en Afrique, notamment en Algérie, tente de s’en débarrasser en lançant des accusations contre d’autres pays, dont la Turquie ». « Elle [la France] devrait chercher la source de ces réactions dans son propre passé colonial », poursuit le communiqué.

Précédents

Jamais avare d’une pique supplémentaire, le ministère des Affaires étrangères turc ajoute que ces déclarations reflètent « la mentalité déformée de certains hommes politiques ». Des propos qui ne sont pas sans faire écho à ceux tenus par le président Recep Tayyip Erdogan qui, en octobre 2020, invitait son homologue français à effectuer « des examens de santé mentale », suite au projet de loi de lutte contre les « séparatismes » porté par Emmanuel Macron, qu’Erdogan jugeait comme étant une provocation envers la communauté musulmane. L’Élysée avait dénoncé des « propos inacceptables » et procédé au rappel de son ambassadeur à Paris.

Ce n’est pas la première fois que Paris et Ankara se livrent à une passe d’armes sur le cas algérien. L’une d’entre elles a d’ailleurs été initiée par Emmanuel Macron lui-même. Dans la foulée des déclarations, au mois d’octobre 2021, qui lui ont valu une crise diplomatique avec Alger, le président français s’était dit « fasciné » par « la capacité que possède la Turquie à faire totalement oublier le rôle qu’elle a joué en Algérie et la domination qu’elle a exercée, et à expliquer qu’on est les seuls colonisateurs », tout en déplorant que » les Algériens y croient ».

Pour Paris, l’insoluble équation turque

Au-delà de cette immixtion sur la relation franco-algérienne, les relations entre Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdogan ont rarement été au beau fixe. Des tensions persistantes qui s’expliquent principalement par une divergence de points de vue et d’intérêts sur nombre de dossiers internationaux entre les deux pays.

Depuis plusieurs années, la France est l’État membre de l’Union européenne qui prend les positions les plus fermes à l’égard d’Ankara, et qui constitue le principal soutien de Chypre et de la Grèce pour lutter contre les incursions turques dans les zones économiques exclusives en Méditerranée.

Un ton qui n’augure aucun réchauffement des relations bilatérales à court terme

À l’époque, en août 2020, Erdogan avait refusé de se plier aux injonctions européennes, impulsées par la France, et décidé de l’envoi d’un navire de prospection sismique à proximité des côtes grecques. Paris avait alors accru sa présence militaire en Grèce, contraignant le président turc à rappeler son navire.

Sur le dossier libyen, Turcs et Français se font également face. Alors que la France a longtemps soutenu le maréchal Khalifa Haftar, la Turquie a soutenu militairement l’autre principale partie du conflit, le Gouvernement d’accord national (GAN) de Fayez al-Sarraj, reconnu par l’ONU, et fait échouer la tentative de conquête de Tripoli par Haftar. Elle a ensuite passé un accord avec le GAN, lui permettant d’exploiter du gaz en Méditerranée et de contrer le dispositif EastMed, qui relie le gaz vers l’Europe via la Grèce.

Dans son communiqué du 27 août, la diplomatie turque affirme espérer « que la France atteindra le plus rapidement possible la maturité nécessaire pour faire face à son propre passé colonial sans accuser d’autres pays, y compris le nôtre ». Un ton qui n’augure aucun réchauffement des relations bilatérales à court terme, alors que, selon une information de France24, la ministre des Affaires étrangères française, Catherine Colonna, serait attendue en Turquie le 5 septembre prochain.