Le Maroc tente-t-il d’intégrer l’Autorité palestinienne au Forum du Néguev ?

Le Maroc tente-t-il d’intégrer l’Autorité palestinienne au Forum du Néguev ?

Alors que le royaume et Israël partagent un agenda diplomatique extrêmement dense, plusieurs médias évoquent des « pressions marocaines » pour que l’Autorité palestinienne soit intégrée au Forum du Neguev, lors de la prochaine édition, censée avoir lieu à Dakhla.

Le 27 juin à Manama (Bahreïn), plusieurs diplomates de haut rang américains, israéliens, marocains, émiratis, égyptiens et bahreïnis se sont rencontrés dans le cadre d’une réunion préparatoire à la création du Forum du Néguev.

Cette rencontre précède la tournée du président Joe Biden au Moyen-Orient (du 13 au 16 juillet) et fait suite à la première édition de ce sommet, qui s’était tenu à la fin du mois de mars dans le désert du Néguev, en Israël. C’était alors la première fois que les Américains, les Israéliens et des membres de quatre pays arabes se réunissaient sur le territoire de l’État hébreu depuis la signature des Accords d’Abraham, en 2020.

Alors que les négociations sur le nucléaire iranien ont repris sous l’administration Biden, les Israéliens ont eu à cœur, lors de la rencontre du 27 juin, de démontrer qu’il existait bel et bien un front uni contre l’Iran, composé des pays arabes signataires de ces accords.

Cette réunion préparatoire a également confirmé la volonté des six pays représentés de transformer ce « coup de com » en un rendez-vous régulier, puisqu’ils se disent tous favorables à la création d’une organisation de coopération régionale, dotée d’une présidence tournante et d’un sommet annuel, dont la deuxième édition devrait avoir lieu en 2023 au Maroc, plus précisément à Dakhla, une ville située dans le Sahara occidental – un lieu hautement symbolique pour le royaume. Le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, s’en était d’ailleurs réjoui lors de la clôture du premier sommet du Néguev, déclarant : « J’espère qu’on se reverra bientôt, dans un désert différent, mais dans le même état d’esprit. »

Rapprochement intensif

Depuis le rétablissement des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël, en 2021, les accords bilatéraux et les rencontres entre responsables des deux pays se multiplient. Entre la fin de 2021 et le début de 2022, pas moins de trois ministres israéliens se sont rendus dans le royaume : Benny Gantz (Défense), Ayelet Shaked (Intérieur) et Orna Barbivai (Économie).

La signature de plusieurs accords de coopération, notamment dans le domaine sécuritaire, et l’acquisition par le Maroc (entre autres) d’un système de défense aérienne et antimissile israélien ont renforcé ces nouveaux liens. Une visite inédite de Nasser Bourita en Israël est annoncée avec insistance « pour cet été ». Le ministre marocain des Affaires étrangères devrait inaugurer une ambassade du Maroc en Israël, une information confirmée à Jeune Afrique par la diplomatie américaine.

Reste que ces accords ne sont pas bien vus par l’opinion arabe et par une partie des Marocains, qui jugent que la cause palestinienne a été oubliée, voire trahie. L’Algérie a compris tout le parti qu’elle pouvait tirer de ces évolutions pour promouvoir son image de champion des luttes anticoloniales.

Ainsi, le 5 juillet, Abdelmadjid Tebboune, le président algérien, a organisé une rencontre que la presse de son pays qualifie « d’historique », entre d’un côté Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, et, de l’autre, Ismaël Haniyeh, le chef du bureau politique du Hamas. Entre les deux Palestiniens, dont les relations sont notoirement glaciales, le chef de l’État algérien se pose en réconciliateur.

En décembre 2021 déjà, Mahmoud Abbas, en visite officielle à Alger, était reparti avec une promesse de don du pouvoir algérien, d’un montant de 100 millions de dollars. Tout l’enjeu pour Alger consiste donc à récupérer la « rente morale » que représente la cause palestinienne, après la vingtaine d’années d’immobilisme diplomatique de l’ère Bouteflika.

Pourtant, si l’on en croit plusieurs sites d’information, le Maroc n’a pas abandonné pour autant ses liens avec l’Autorité palestinienne. De concert avec Le Caire, Rabat aurait ainsi fait pression pour que cette instance soit intégrée au Forum du Néguev. Une idée avancée dans la foulée de la réunion préparatoire du prochain sommet États-Unis/Israël + 4 (Émirats arabes unis, Égypte, Bahreïn, Maroc).

Pour corroborer cette information, le site marocain Le Desk cite des « responsables israéliens ». En Israël, le site The Times Of Israël cite, quant à lui, Washington, qui, assure-t-il, souhaiterait que les quatre pays arabes soient « rejoints par des représentants de l’Autorité palestinienne et de la Jordanie ».

Hasbara ?

Sollicitée par Jeune Afrique, une diplomate de l’un des États arabes représentés à la réunion préparatoire se montre surprise et indique ne pas avoir d’information à ce sujet. Plus généralement, elle estime que l’Autorité palestinienne ne représente plus un interlocuteur crédible à ses yeux.

S’agit-il donc d’une opération de hasbara, ce mot hébreu qui désigne les opérations de communication de l’État israélien ? « Il s’agit d’une stratégie qui consiste à mettre à la disposition de la presse, nationale et/ou internationale, des “fuites” relayées de manière plus ou moins délibérée, ce qui permet de faire passer des éléments de langage spécifiques ou bien de lancer des ballons d’essai, qui font par la suite l’objet d’un retour critique. C’est une méthode vieille comme le monde », explique David Rigoulet-Roze, docteur en sciences politiques et spécialiste du Moyen-Orient à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS). En l’espèce, cette « information » conforterait l’idée que le processus de normalisation entre l’État hébreu et les pays arabes n’est pas un frein à la résolution du conflit israélo-palestinien.

« La question palestinienne reste prégnante, notamment pour le Maroc, dont le roi préside le Comité Al Qods, créé en 1975 et dont le siège est à Rabat depuis 1979. Cette problématique ne s’insère toutefois pas, a priori, dans le cadre de ce format à six pays, qui se concentre essentiellement sur le renforcement de la coopération régionale. La vocation de ce forum n’est pas de traiter la question palestinienne, même si ce sujet peut y être évoqué de manière collatérale »​​, ajoute le spécialiste.

L’Autorité palestinienne n’a d’ailleurs jamais caché son opposition au Forum du Néguev. Quant au gouvernement israélien, il a rejeté, au début de juin, la proposition de Joe Biden d’organiser un « sommet de haut niveau » entre Israël et les Palestiniens, sous les auspices des États-Unis, de la Jordanie et de l’Égypte.