Algérie 1962 : reportage dans les rangs de l’Armée de libération nationale, par Béchir Ben Yahmed

Algérie 1962 : reportage dans les rangs de l’Armée de libération nationale, par Béchir Ben Yahmed

« Au cœur des accords d’Évian » (2/4). Mars 1962. Alors que Français et Algériens s’apprêtent à signer les accords d’Évian et à mettre un terme à une guerre qui aura duré huit ans, le fondateur de JA réalise un reportage dans les rangs de l’ALN, à la frontière tuniso-algérienne. Extraits de ce récit magistral.

À 150 km de Tunis, 50 km avant d’atteindre la frontière algérienne, vous apercevez déjà l’importance de l’ALN : une théorie presque ininterrompue de camions Mercedes, venant de Libye, sombres comme la guerre, réguliers comme un fleuve au printemps, amènent à travers la Tunisie armes, munitions, ravitaillement. Ils sont immatriculés au nom de la République algérienne et ils charrient leur chargement au flanc du djebel qui sépare la Tunisie de l’Algérie.

De là, d’autres véhicules tout-terrain les amènent de nuit, tous feux éteints, jusqu’aux postes de commandement arrière de cette étrange armée, qui, du coucher du soleil à l’aube, anime la montagne. De rocher en rocher, de cache en cache, mètre par mètre, les armes, les vivres, les médicaments parviennent, à dos d’homme ou de mulet, jusqu’aux postes avancés algériens qui forment le front de l’ALN, en face de la ligne Challe.

Dans le no man’s land

Un front ? Le mot peut sembler ronflant à qui n’a pas vu la chose. Voici ce que j’ai vu : sur le pourtour du fameux « bec de canard » qui s’enfonce en Algérie et dont la pointe extrême n’est pas à 10 km de la ligne Challe, des dizaines de batteries de canons – de 85, de 105, de mortiers de 120 –, enfouies dans d’immenses galeries souterraines, servies par des artilleurs algériens et crachant le feu, à travers la vallée, sur les postes français qu’on peut observer à la jumelle ou même à l’œil nu.

Le terrain était trempé, le ciel était bas et tout semblait calme

Visitant l’une de ces batteries, dès que notre groupe a montré la tête, au-dessus de la crête, nous avons entendu siffler autour de nous les obus français de 155 arrosant la terre. Nous pouvions en nous baissant ramasser les éclats coupants et tièdes, éparpillés tout autour de nous.

J’ai aussi vu les avions d’observation et de chasse français sillonner la vallée verdoyante qui fait no man’s land entre les deux lignes adverses. Les avions étaient repoussés par les batteries de DCA algériennes, chaque fois qu’ils faisaient mine de se rapprocher du territoire tunisien. […]

L’après-midi d’un chef de bataillon

L’opération, déclenchée par l’état-major de l’ALN, était à son sixième jour. Le terrain était trempé, le ciel était bas et, en ce début d’après-midi, au moment où nous quittions le PC arrière d’un de ces bataillons algériens, tout semblait calme.

« Nous nous contentons de surveiller le front, nous dit le chef de bataillon. Il s’agit pour notre artillerie d’empêcher les Français de sortir de leurs postes, d’opérer les relèves ou d’amener des renforts. »

Il marchait devant nous, d’un pas huilé, régulier comme le tic-tac d’une montre

Nous avions déjeuné dans le PC, une simple hutte camouflée sous les arbres. Menu : une soupe de lentilles servie dans des gamelles, une orange et du café. À 13 h 30, notre petit convoi s’ébranlait. Si Khaled, le chef du bataillon, marchait devant nous, sans effort semblait-il, de ce pas huilé, régulier comme le tic-tac des montres qu’ont les grands coureurs. Grand, mince, il s’appuyait sur une canne légère. Son adjoint opérationnel marchait derrière lui du même pas. Un petit chien kabyle trottinait en contrebas.