Sommet UE-Afrique : Paris et Bruxelles veulent rattraper le temps perdu

Sommet UE-Afrique : Paris et Bruxelles veulent rattraper le temps perdu

Le repli attendu de l’armée française au Mali risque de polluer la réunion des 17 et 18 février, censée poser les bases d’une refondation des relations entre les deux continents, après deux décennies d’hésitations.

Reporté de près de deux ans à cause de la pandémie de Covid-19, le sixième sommet réunissant l’Union européenne (UE) et l’Union africaine (UA) se tiendra finalement jeudi 17 et vendredi 18 février à Bruxelles. Quelques semaines seulement après que la France a hérité de la présidence semestrielle tournante de l’UE, l’occasion semblait rêvée pour Paris de se poser comme le moteur européen de la refondation des relations entre les deux continents.

Une refondation dont le président Emmanuel Macron se veut le héraut depuis son arrivée à l’Elysée, en 2017, et qui passe par la réaffirmation de la prééminence de l’alliance de l’Europe avec le continent africain, face au bulldozer économique et financier chinois et aux appétits d’autres puissances émergentes.

Mais déjà l’écho de cette grand-messe intercontinentale – à laquelle sont attendus une quarantaine de chefs d’Etat ou de gouvernement africains, plus les 27 de l’Union européenne – est atténué par les bruits de bottes russes aux frontières ukrainiennes, et surtout par le repli attendu des militaires de l’ancienne puissance coloniale française du Mali. La France est contrainte de faire marche arrière, elle qui n’avait pourtant pas ménagé ses efforts pour arrimer les pays européens à sa lutte contre le terrorisme au Sahel.

Le script du précédent sommet UE-UA, à Abidjan, fin novembre 2017, consacré à la jeunesse, avait été amendé dans l’urgence sous le poids du scandale de la vente comme esclaves de migrants subsahariens en Libye. L’actualité va-t-elle de nouveau escamoter l’ambition de ce sommet censé « renouveler la relation privilégiée de l’Europe avec l’Afrique » ?

Des actes ont été posés en amont. A Dakar, le 10 février, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé mobiliser plus de 150 milliards d’euros d’investissements en Afrique sur la période 2021-2027. Cette somme est loin d’être négligeable, Paris et Bruxelles tiennent à le faire savoir. Mais elle ne couvre qu’une petite partie des besoins.

En prenant la présidence de l’UA début février, le président sénégalais, Macky Sall, rappelait que « l’Afrique a besoin d’un financement additionnel d’au moins 252 milliards de dollars [221 milliards d’euros] d’ici à 2025 pour contenir le choc de la pandémie et amorcer sa relance économique ». Il ne s’agit là que de surmonter les effets du Covid-19, pas de rattraper les retards de développement.
Le « souci du bien-être des populations »

L’initiative européenne s’inscrit dans le cadre du projet Global Gateway (« portail mondial ») que la Commission met en place à l’échelle mondiale afin de concurrencer l’offensive chinoise des « nouvelles routes de la soie ». Depuis 2013, Pékin investit massivement dans les infrastructures pour asseoir son influence, en Afrique notamment, riche en matières premières convoitées, ou déjà tombées dans l’escarcelle chinoise.

La moitié de l’enveloppe Global Gateway devrait donc aller vers l’Afrique pour financer des programmes déjà existants pour l’essentiel, mais dont les fonds vont être réorientés. « Il s’agit aussi de repenser notre mode d’intervention. L’Europe est souvent critiquée pour sa lenteur, il faut être plus rapide et plus efficace sur le terrain », précise l’Elysée.

Jeudi et vendredi, à Bruxelles, les dirigeants présents, répartis en sept tables rondes, se pencheront sur les thématiques éligibles aux fonds européens : financement de la croissance ; santé et production vaccinale ; transition énergétique, numérique et transport ; agriculture et développement durable ; éducation, formation professionnelle, mobilité et migrations ; appui au secteur privé et intégration économique ; paix, sécurité et gouvernance.

Ces investissements devront respecter « les valeurs auxquelles l’Europe et l’Afrique sont attachées, comme la transparence, la durabilité, la bonne gouvernance et le souci du bien-être des populations », a affirmé Ursula von der Leyen, soucieuse de se démarquer des pratiques attribuées aux concurrents chinois.

Les annonces de la présidente de la Commission à Dakar ont tout de même pris de court certains Etats membres. « Je ne sais pas d’où sortent ces chiffres dévoilés par Mme von der Leyen », s’énerve ainsi un diplomate européen d’un pays du nord, qui a manifestement peu apprécié les déclarations de l’ancienne ministre allemande. « Nous avons dressé un inventaire des projets africains qu’il pourrait être intéressant d’aider, poursuit cette source. Mais à ce stade, cela ne veut pas dire que nous participerons à tous ces projets. Ils ne sont pas encore matures et les discussions ne sont pas assez avancées. »

De leur côté, les dirigeants africains ne cachent pas leur souhait de diversifier leurs partenariats, « sans recevoir de leçons de démocratie », explique un ambassadeur en poste auprès de l’Union européenne. A Addis-Abeba, la capitale éthiopienne où siège l’UA, Macky Sall réaffirmait, le 5 février, que « l’Afrique est plus que jamais décidée à prendre son destin en main. Notre continent ne saurait être la chasse gardée des uns contre les autres. Nous sommes ouverts à tous les partenariats, sans exclusion, ni exclusivité, pourvu qu’ils soient mutuellement bénéfiques et respectueux de nos priorités de développement et de nos choix de société », ajoutait-il.

La baisse des financements chinois

Quarante-six pays africains, pesant un milliard d’habitants, ont signé des accords économiques avec Pékin. Plus de 10 000 entreprises chinoises sont installées en Afrique. Elles pourraient générer quelque 250 milliards de dollars de bénéfices à l’horizon 2025, selon un rapport de la société McKinsey datant de 2017.

« Depuis 2018, le volume des financements chinois à destination de l’Afrique a considérablement baissé », note toutefois Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement (AFD). « L’Europe reste, de loin, le premier partenaire des Africains », notamment en matière d’investissements directs et d’échanges commerciaux, souligne Josep Borrell, le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères.

L’Europe veut le faire savoir haut et fort, et rattraper le temps perdu. La « stratégie globale » pour la relation euro-africaine, dévoilée en mars 2020, devait remédier à deux décennies d’hésitations, d’absence de cadre structurel européen et d’une stratégie économique confuse. « La prise de conscience a été trop tardive, déplore une autre source diplomatique africaine à Bruxelles. Ça a bougé avec le développement du terrorisme islamiste et la question migratoire, laissant entendre aux Africains que l’Europe se soucie d’eux seulement quand sa propre sécurité est impactée. »

Il faudra plus qu’un sommet pour refonder les relations entre l’Afrique et l’Europe. La réunion de Bruxelles permettra-t-elle, au moins, d’en poser les bases ? Sarcastique, Vladimir Shopov, chercheur au Conseil européen des relations internationales, ne semble guère y croire : « L’UE fait habituellement l’inévitable à la dernière minute, plutôt que le nécessaire au moment adéquat. » Entre 2009 et 2018, la Chine a multiplié par 19 ses exportations vers l’Afrique, la Russie par 9, la France par 1,7, relevait, en 2019, le Moscow Carnegie Center.