De Kampala à Dubaï, les nouvelles routes de l’or africain

De Kampala à Dubaï, les nouvelles routes de l’or africain

Les cours de l’or n’ont jamais été aussi élevés depuis une décennie. En Afrique, cela se traduit par une (nouvelle) ruée vers le précieux métal. Qui en profite le plus ? Quelle est l’ampleur des trafics ? Décryptage en infographies.

Valeur refuge par excellence, l’or a vu son cours flamber du fait de la pandémie de Covid-19. Après un pic à 66 000 dollars en août 2020, le kilo de métal jaune trônait encore à 58 000 dollars le 1er février dernier. Cette envolée record, inédite depuis plus d’une décennie, a entraîné une ruée à l’échelle mondiale. L’Afrique est au cœur de ce mouvement. En 2017, le continent est devenu le principal pourvoyeur de métal jaune du monde. Mais, loin de constituer une manne pour les États dont le sol recèle le fameux métal, cette nouvelle quête a surtout bénéficié à la contrebande et au crime organisé, selon les derniers rapports d’Interpol.

Si cette ruée vers l’or africain a ouvert la voie au développement de mines industrielles exploitant les filons principaux actuellement identifiés, l’exploitation à petite échelle continue de dominer dans de nombreuses régions. Avec toutes les dérives que cela implique, en premier lieu pour les orpailleurs – parfois des enfants -, qui risquent leur vie à chaque descente au fond de la mine ou ruinent leur santé au contact du mercure ou du cyanure utilisés pour amalgamer les pépites.

Cette prédominance de l’informel a aussi de lourdes conséquences sécuritaires. Nombre de ces mines artisanales sont en effet contrôlées par des consortiums criminels ou des groupes armés, qui en font l’une des sources de financement des conflits en cours dans l’est de la RDC comme dans le Sahel.

Dubaï, Genève, Londres

Pour écouler cet or « sale », de nouvelles routes se sont dessinées, au centre desquelles on retrouve Dubaï. La capitale des Émirats arabes unis, qui s’est donné pour objectif de concurrencer Genève et Londres sur le marché de l’or, est en passe d’en devenir l’une des plaques tournantes. Pour ce faire, les Émiratis misent principalement sur le continent. En 2020, sur les 57 milliards de dollars de métal jaune importés d’Afrique dans le monde, 45 % étaient allés dans les Émirats.

Officiellement, Kampala n’importe pas d’or en provenance de la RDC voisine

Avant d’arriver sur les étals du Gold Souk de Dubaï, le minerais brut provenant d’Afrique centrale, en particulier de RDC, passe souvent d’abord par l’Ouganda ou le Rwanda. Les deux pays, pourtant considérés comme de petits producteurs, sont en effet devenus des poids lourds dans ce domaine grâce à la réexportation de minerais venus des pays voisins.

Officiellement, Kampala n’importe pas d’or en provenance de la RDC voisine, et Kigali n’en importe pas du tout. Mais, et c’est un secret de polichinelle, une partie des ressources aurifères extraites dans l’est de la RDC franchissent ses frontières pour gagner les pays voisins. Dans un rapport paru en mai 2021, Interpol estime ainsi que « 95 % à 98 % de l’or extrait des mines artisanales transiterait illégalement, principalement par l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi », ce qui corrobore les conclusions qu’avait déjà formulées le groupe d’experts de l’ONU, en 2018.

Faux pedigree

Cet « or de conflit », une fois raffiné, serait ensuite vendu – avec un faux pedigree – ou mélangé à de l’or d’une autre provenance avant d’être expédié à Dubaï. Un trafic maintes fois documenté par les ONG telles que The Sentry ou Global Initiative Against Transnational Organized Crime.

Au cœur de ce business florissant, on trouve les raffineries. En 2017, le président Yoweri Museveni – qui vient d’abolir la taxe des redevances sur l’or – inaugure en grande pompe à Entebbe l’African Gold Refinery (AGR), capable de traiter 219 tonnes de minerai par an. Son fondateur ? Alain Goetz, descendant d’une famille belge de négociants en or, qui est également actionnaire d’une raffinerie à Aldango, au Rwanda, et détient une société basée à Dubaï, la PGR Gold Trading. L’homme d’affaires, suspecté à plusieurs reprises d’être impliqué dans le trafic de métal jaune, a quitté la direction d’AGR mi-2021 à la suite d’une condamnation pour blanchiment d’argent en Belgique. Il doit également faire face à des accusations d’évasion fiscale au Rwanda.

Pour juguler la contrebande, Kigali a signé un accord avec Kinshasa en juin 2021 afin d’assurer une meilleure traçabilité du commerce du métal jaune. Un mois plus tard, Kampala a annoncé la remise en place d’une taxe sur l’or transformé et non transformé… Mais, devant la gronde des négociants, l’Ouganda a finalement fait machine arrière.

Pour mieux comprendre le complexe circuit que suit ce métal si convoité et identifier ses nouvelles routes, Jeune Afrique a exploré les bases de données de Comtrade, l’organisation onusienne qui concentre les statistiques officielles sur le commerce international, et du Gold World Council, qui regroupe les principaux acteurs officiels du marché de l’or. Qui sont les principaux producteurs ? Et les principaux exportateurs et importateurs ? Qui profite le plus des ressources aurifères africaines ? Décryptage en infographies.