En Guinée-Bissau, le président échappe à une tentative de putsch

En Guinée-Bissau, le président échappe à une tentative de putsch

Umaro Sissoco Embalo est resté plusieurs heures enfermé dans le palais du gouvernement, visé par des tirs nourris, mardi 1er février. Ces troubles interviennent alors que les coups d’Etat se multiplient dans la région.

« La situation est sous contrôle. » Indemne, mais les traits tirés, le président de la Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embalo, s’est exprimé, mardi 1er février au soir, de son palais présidentiel, dans un message télévisé adressé à la nation. L’ancien général de brigade, élu fin 2019, à l’issue d’un scrutin controversé, venait de passer plusieurs heures coincé avec les ministres du pays, dans le palais du gouvernement, cible de tirs nourris pendant une bonne partie de l’après-midi. Il a annoncé que l’attaque avait fait « plusieurs blessés graves et des morts », sans donner plus de précisions sur le bilan. Mercredi, le porte-parole du gouvernement, Fernando Vaz, a finalement annoncé la mort de onze personnes, dont quatre civils.

Une semaine après le putsch perpétré au Burkina Faso, l’Union africaine a qualifié l’événement de « tentative de coup d’Etat ». A la télévision, le président Embalo n’a pas désigné les auteurs du coup de force, mais l’a attribué aux « décisions [qu’il a] prises, notamment contre le narcotrafic et la corruption », deux fléaux qui déstabilisent la Guinée-Bissau depuis des décennies.

Ce petit pays de près de deux millions d’habitants, frontalier du Sénégal et de la Guinée, est connu pour son instabilité politique permanente. L’ancienne colonie portugaise, depuis son indépendance en 1974, a déjà connu quatre putschs, dont le dernier date de 2012, une quinzaine de tentatives de coup d’Etat, et une valse des gouvernements.

« C’était la panique totale »

Les troubles ont commencé en début d’après-midi. Le président, le premier ministre, Nuno Gomes Nabiam, les membres du gouvernement et les chefs de l’armée s’étaient réunis pour un conseil des ministres extraordinaire au sein du palais gouvernemental, qui abrite les ministères en périphérie de Bissau, la capitale. Selon une source proche du gouvernement, les discussions devaient notamment concerner les conséquences de la disparition récente d’un homme important : le général Biagué Na Ntan, chef d’état-major des forces armées bissau-guinéennes et vétéran de la guerre d’indépendance.

Alors que la réunion était sur le point de débuter, des hommes lourdement armés ont pénétré dans l’enceinte du palais. « Ils étaient bien une quarantaine, raconte la même source alors en lien direct avec un participant à la réunion. Ils étaient habillés en civil pour ne pas qu’on sache à quel corps de l’armée ils appartenaient. Ils ont attendu que tout le monde soit là pour attaquer. »

Des échanges de tirs ont résonné une bonne partie de l’après-midi. Dans les rues de Bissau, c’était « la panique totale, tout le monde courait dans tous les sens », décrit Mamadou Ndao, un responsable d’ONG sénégalais, vivant la moitié du temps dans la capitale. La circulation s’est arrêtée, les élèves se sont barricadés dans les écoles, les marchés se sont vidés et les banques ont fermé leurs portes.

Des photos et vidéos relayées sur les réseaux sociaux montrent plusieurs gardes du corps au sol dans l’enceinte du palais. Caché dans son bureau, le directeur de cabinet du premier ministre a répondu en chuchotant à l’appel de RTP Africa, une chaîne de télévision publique portugaise. Il a expliqué que son garde avait été tué, et qu’il était sans nouvelles du président et du premier ministre.

Spirale de coups d’Etat

Suspectant un nouveau coup d’Etat dans une sous-région politiquement tendue, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a publié un communiqué indiquant aux « militaires » qu’ils sont « responsables de l’intégrité physique » du chef de l’Etat et les sommant de « retourner dans leurs casernes ». Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a réclamé, quant à lui, « l’arrêt immédiat » des combats à Bissau et « le plein respect des institutions démocratiques du pays ». De son côté, Paris a condamné « fermement la tentative de coup de force » et appelé au « respect de l’ordre constitutionnel » dans ce pays.

Alors que les rumeurs de la mort du président commençaient à se propager sur les réseaux sociaux, l’armée loyaliste, aidée de la garde rapprochée du président et de commandos de gendarmerie a finalement lancé une contre-offensive. Ceux que certains appellent déjà « les mutins » ont été arrêtés. Libéré, Umaro Sissoco Embalo s’est empressé de tweeter : « Je vais bien al-hamdou Lillah [“Dieu merci”]. »

Si M. Embalo parle d’« éléments isolés », la tentative de putsch n’est pas totalement une surprise dans ce pays à l’histoire troublée et qui passe pour être une plaque tournante du trafic de cocaïne. Après la récente spirale de coups d’Etat en Afrique de l’Ouest (Mali en août 2020 et mai 2021, Guinée en septembre 2021, Burkina Faso en janvier 2022), la Guinée-Bissau était désignée par certains observateurs comme l’un des prochains sur la liste.

Connu pour son franc-parler et soucieux de s’afficher comme un homme à poigne, M. Embalo semblait fragilisé depuis quelque temps. Arrivé à la tête du pays, à l’issue d’une longue crise postélectorale, le chef de l’Etat est aujourd’hui accusé de vouloir « s’arroger tous les pouvoirs dans un régime pourtant semi-présidentiel, rappelle Maurice Toupane, chercheur à l’Institut d’études de sécurité, basé au Sénégal. Aujourd’hui, son style de gouvernance pose problème. » Critiqué dans son propre camp, le chef de l’Etat a décidé, fin janvier, de remanier son gouvernement. Les relations étaient particulièrement tendues depuis plusieurs mois avec le premier ministre.

Pour certains observateurs, le calendrier de cette tentative de putsch n’est pas anodin. Il survient juste après la mort de Biagué Na Ntan, élément central du dispositif de M. Embalo. « Il faisait le lien entre le président et l’armée, révèle un proche du palais. Il était influent et avait déjà permis d’éviter d’autres coups d’Etat. Sa disparition fragilise encore plus le président. » Ce dernier était censé participer, jeudi, à un sommet des dirigeants ouest-africains, durant lequel doit être évoquée la multiplication des coups d’Etat dans la région. La situation en Guinée-Bissau pourrait bien figurer à l’ordre du jour.