Dans le nord-ouest du Nigeria, l’armée peine à contrer les « bandits »

Au moins 200 personnes ont été massacrées dans l’attaque de leurs villages du nord-ouest du pays la semaine dernière, alors qu’une opération militaire est en cours depuis plusieurs mois dans la région.

La violence ne faiblit pas dans le nord-ouest du Nigeria, comme l’ont rappelé les toutes dernières attaques survenues dans l’Etat de Zamfara. Entre mercredi 5 et jeudi 6 janvier, plusieurs centaines d’hommes, armés et à moto, ont pris d’assaut une dizaine de villages, pillant, brûlant les maisons et tirant à vue sur les habitants terrifiés. Cette équipée sauvage, qui a ciblé les districts d’Anka et de Bukkuyum et duré près de vingt-quatre heures, a fait au moins 200 victimes, selon les témoignages des survivants.

Ce nouveau massacre, condamné par les autorités, a marqué les esprits, mais il est loin d’être un cas isolé. Le 17 octobre 2021, une attaque au marché de la ville de Goronyo, dans l’Etat de Sokoto, a fait quelque 120 morts. Dans la même région, quelques jours plus tôt, ceux que l’on surnomme « bandits » au Nigeria ont encerclé un marché du district de Sabon Birni et tiré sporadiquement sur la foule avant de dévaliser les étals. Au moins trente personnes ont été tuées.

En novembre 2021, des hommes armés ont également tué treize personnes et en ont capturé dix-sept autres dans le district de Batsari, situé dans l’Etat de Katsina… Mais le bilan de ces événements sanglants est souvent difficile à appréhender, et rarement confirmé par les autorités.

Dans le nord-ouest du pays, il existerait au moins une centaine de gangs armés. Certains comptent une dizaine de membres, d’autres plusieurs centaines, parfois sédentaires, parfois mobiles, se déplaçant au gré des exactions. « Il y a de véritables seigneurs de guerre dans la région, mais également une multitude de petites bandes autonomes, dirigées par de très jeunes hommes, quasiment des adolescents », décrit James Barnett, chercheur affilié au Hudson Institute de Washington DC, qui a approché et interviewé plusieurs bandits, en plein cœur de leur territoire.

« Déchaînement de violence »

Selon lui, l’attaque meurtrière des 5 et 6 janvier n’a probablement pas été conduite par un leader d’envergure, mais plutôt par une alliance de groupes secondaires. « Ceux-ci ne sont pas spécialement bien organisés. Ils peuvent opérer de manière indépendante au jour le jour, puis se mettre sous les ordres d’un baron local auquel ils sont fidèles », poursuit James Barnett.

Du fait de cette organisation protéiforme, il n’est guère aisé d’analyser les motivations de ces groupes. Mais les observateurs s’accordent à dire que ceux-ci sont probablement plus mus par l’appât du gain que par une quelconque idéologie. « Rien ne dit qu’il y ait une stratégie derrière ce déchaînement de violence », tranche James Barnett.

D’autres experts évoquent la possibilité de représailles de la part de ces groupes criminels, alors que l’armée nigériane a lancé, au mois de septembre, une vaste opération militaire dans le nord-ouest du pays. Les manœuvres se sont d’abord concentrées dans l’Etat de Zamfara – le cœur du banditisme dans cette partie du Nigeria – avant de s’étendre aux Etats limitrophes de Katsina, Sokoto et Kaduna et dans l’Etat de Niger.

Depuis quelques mois, les bandits sont donc forcés de se déplacer pour échapper aux bombardements de l’aviation nigériane, qui a enregistré quelques victoires, en éliminant, par exemple, deux importants chefs de gang le 1er janvier. La vague de kidnappings a également largement perdu en intensité. Et de nombreux otages ont retrouvé leur liberté ces derniers mois, alors que la première partie de l’année 2021 avait été marquée par une litanie d’enlèvements de masse dans les écoles, les lycées et les universités du nord-ouest.

Les bombardements aériens ne suffisent plus

« Il est possible que les attaques des districts d’Anka et de Bukkuyum soient liées à l’intervention militaire, mais ce n’est pas clair », reconnaît Nnamdi Obasi, analyste pour l’ONG International Crisis Group. Quoi qu’il en soit, l’opération conjointe de l’armée et de la police représente un virage « à 180 degrés » selon l’expert, par rapport à la stratégie initiale de certains gouverneurs locaux, persuadés qu’une sortie de crise passerait nécessairement par la négociation de redditions.

Plusieurs amnisties ont ainsi été signées début 2021 dans les Etats de Zamfara ou Katsina, mais les cessez-le-feu n’ont jamais duré bien longtemps. A l’opposé, le gouverneur de l’Etat de Kaduna a toujours été un fervent défenseur de la manière forte, réclamant depuis des mois le bombardement systématique des forêts du nord-ouest, repaire de nombreux bandits.

Sauf que cette méthode montre aujourd’hui ses limites. « Ces bandes sont très dynamiques et elles ont prouvé leur capacité à mener de grandes opérations, mais aussi à innover sans cesse », souligne Idayat Hassan, la directrice du Centre pour la démocratie et le développement en Afrique de l’Ouest, à Abuja.

Face à des groupes multiples et très mobiles, les bombardements aériens ne suffisent pas. « Pour gagner cette guerre, il faudrait mettre plus de forces au sol et mener une action simultanée, plutôt que des opérations ponctuelles », martèle Idayat Hassan. « Pour le moment, les bandits reviennent systématiquement après l’intervention de l’armée et redoublent de violence sur place », constate-t-elle. Le manque d’effectifs et de moyens des forces de sécurité nigérianes n’arrange rien, même si le président Muhammadu Buhari affiche sa détermination à lutter contre ceux qu’il qualifie de « meurtriers de masse ».

Le 5 janvier, les autorités ont officiellement qualifié les « bandits » de « terroristes », afin de durcir les sanctions contre les auteurs d’attaques, leurs partisans ou leurs informateurs. Nnamdi Obasi s’inquiète de cette nouvelle désignation concernant « des groupes fluides qui se mêlent souvent à la population et vivent parfois à l’intérieur même des communautés », – tout en admettant que le terme de « banditisme » n’est plus approprié.

De la même manière, la possibilité d’avoir recours aux avions de chasse Super Tucano, livrés fin août 2021 par les Etats-Unis, pour écraser cette insurrection pose question. « On a vu que les frappes aériennes n’avaient que des effets limités. En les intensifiant, on risque vraiment de faire des victimes collatérales », s’alarme l’analyste. De nombreux civils ont été victimes de cette même stratégie de pilonnage par l’armée dans l’Etat de Borno au nord-est du Nigeria, en proie à l’insurrection des djihadistes de Boko Haram depuis plus d’une décennie.