Une nouvelle vague de violence endeuille le Darfour

Une nouvelle vague de violence endeuille le Darfour

REPRISE. Mi-novembre, la situation a de nouveau explosé dans cette région difficilement accessible aux humanitaires et ravagée par une guerre sanglante.

La paix paraît s’éloigner, encore une fois, au Darfour. Plus de 300 000 riverains ont péri dans la guerre qui ravage cette région de l’Ouest soudanais presque aussi grande que la France. Ce conflit a été déclenché en 2003 sous les ordres d’Omar el-Béchir, dictateur déchu par la rue en avril 2019. Or, le retrait de la Mission conjointe des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour (Minuad), amorcé début 2021, semble avoir permis un nouveau cycle de violence. Et ce, en dépit de l’accord de paix signé à Juba en octobre 2020 entre les groupes rebelles armés et le gouvernement de transition.

Volker Perthes, le chef de la Mission intégrée des Nations unies pour l’assistance à la transition au Soudan (Minuats), estime en effet que les déplacements de civils ont été multipliés par huit cette année, par rapport à l’an passé. Le Darfour-Occidental, frontalier avec le Tchad, est devenu la principale scène de ces attaques. Le 17 novembre, un nouvel épisode y a éclaté faisant, d’après le Comité des médecins du Darfour-Occidental, 148 morts et 123 blessés en un mois.

Ces violences résultent d’une dangereuse combinaison de tensions intercommunautaires alimentées par un sentiment d’impunité renforcé par le coup d’État du 25 octobre, voire par les appétits de Mohamed Hamdan Dogolo alias « Hemeti ». Vice-président du Conseil souverain de transition, il dirige à la fois la puissante milice armée des Forces de soutien rapide (RSF) et la principale entreprise d’extraction d’or du pays.

Des conflits récurrents

« Chaque année, au moment des récoltes, des conflits éclatent entre agriculteurs et nomades. Il existe cependant certains groupes, tels les RSF, qui possèdent leur propre agenda et utilisent ces tensions pour couvrir leurs crimes. Les mêmes problèmes observés au Darfour-Occidental se retrouvent dans le reste de la région, car il y a de l’or partout et que Hemeti et ses alliés égyptiens, émirats et saoudiens veulent l’exploiter », explique Kamal Ahmed, un membre du comité de victimes qui rassemble 70 délégués autour du Soudan. Pour cet activiste originaire d’el-Geneina, la capitale du Darfour-Occidental, « les conflits tribaux s’avèrent instrumentalisés pour éviter les sanctions de la communauté internationale ».

« Ce n’est pas un problème entre agriculteurs et nomades », confirme Mohamed Aldoma, l’ex-gouverneur du Darfour-Occidental. Cet avocat membre de l’Association du barreau du Darfour ajoute que le Jebel Moun, l’un des épicentres de la récente vague de violences, possède « plein de ressources, notamment de l’uranium et de l’or. Les RSF veulent écarter les peuples indigènes de leurs terres pour les occuper et extraire ces matières rares ». Les spécialistes de la région nuancent toutefois ces affirmations. « Il n’y a pas de recherches fiables sur les ressources de cette zone », souligne ainsi Mohamed Osman, chercheur sur le Soudan pour Human Rights Watch.

Une position stratégique

« Personne n’a jamais trouvé d’or dans le Jebel Moun », enchérit Jérôme Tubiana, docteur en études africaines, qui vient de publier un rapport sur le Darfour pour la Fédération internationale pour les droits humains. « Si les RSF voulaient contrôler des zones riches en minerais pour la compagnie de Hemeti ou une autre, ils n’auraient pas d’intérêt à créer un conflit. La vraie richesse du Jebel Moun concerne, en revanche, sa position stratégique puisqu’il s’agit de la seule montagne à proximité de la frontière tchadienne et d’el-Geneina. C’est une zone historiquement contrôlée par les rebelles, qui se trouve sur les routes migratoires des nomades arabes en raison de sa terre arable et de ses réserves en eau. C’est donc plutôt au niveau de la terre qu’il peut y avoir une compétition », détaille Jérôme Tubiana.

Les conflits dépassent néanmoins effectivement le cadre de tensions intercommunautaires. « Souvent, au Darfour, les Nations unies et le gouvernement de Khartoum, que ce soit avant, sous Béchir, ou maintenant, avec le Premier ministre Abdallah Hamdok, attribuent les violences à des problèmes entre éleveurs et agriculteurs. Alors que des groupes armés pro-Béchir attaquent des communautés et des rebelles prorévolutionnaires par nostalgie de l’ancien régime », constate le chercheur. Selon lui, de petits incidents, de l’ordre du vol de bétail ou du piétinement des champs par ces mêmes animaux, entraînent des réactions « systématiques et disproportionnées » motivées par « un sentiment d’impunité » hérité des trente années de dictature militaro-islamiste.

Un environnement propice à l’escalade

« Il s’agit vraiment de querelles localisées liées à l’accès et à l’utilisation des ressources, surtout à la terre et l’eau. Or, en l’absence de mécanismes de justice et de résolution des conflits, l’étincelle génère une énorme mobilisation qui intervient dans un environnement où énormément d’armes circulent et où l’impunité est la règle. Les criminels savent qu’ils n’auront pas de sanctions s’ils détruisent un village », avance Mathilde Vu, chargée de plaidoyer au Norwegian Refugee Council (NRC) et qui s’est rendue à el-Geneina début décembre. Le NRC recense au moins douze villages et camps de déplacés brûlés entre le 17 et le 30 novembre.

Tandis que des dizaines d’autres avaient été incendiés lors des deux précédentes attaques massives perpétrées aux mois de janvier et d’avril sur lesquelles plane l’ombre des RSF. « Nous n’avons pas de preuves pour le dernier épisode. Par contre, lors du massacre intervenu début avril à el-Geneina, des témoins nous ont dit que des soldats portant l’uniforme des RSF et conduisant des véhicules des RSF ont participé aux attaques », détaille Mohamed Osman. Ces raids pourraient avoir été menés à titre individuel et non ordonnés par leur chef, Hemeti, dont le rôle demeure ambigu. Il est en effet l’un des principaux artisans de l’accord de paix de Juba, mais refuse, dans le même temps, d’intégrer ses troupes à l’armée nationale, comme le prévoit ce texte.

Il s’est par ailleurs rangé aux côtés du général Abdel Fattah el-Burhane, l’auteur du putsch. Cet événement risque d’entraver davantage la quête de justice. « Le renforcement des militaires et l’impunité dont ils bénéficient motivent la poursuite des attaques », prévient Mohamed Osman. Il alerte en outre sur la concentration de l’attention de la communauté internationale sur la capitale et l’actuelle crise politique qui s’y déroule. « L’absence de volonté internationale pour la paix au Darfour est regrettable. Ce conflit nécessite la mise en place de dispositifs de contrôle, de rapports publics et surtout que la communauté internationale et les donneurs n’oublient pas ce qu’il se passe au Darfour quand ils évoquent la situation politique du pays », préconise le chercheur de Human Rights Watch.

Des refuges insalubres

Le NRC recense plus de 430 000 nouveaux déplacés par les conflits au Soudan cette année, qui s’ajoutent aux plus de 3 millions de déplacés internes depuis vingt ans. « Une attaque de civils ne représente pas seulement des villages brûlés, des blessés et des morts, mais aussi des mois, voire des années, de déplacement », insiste Mathilde Vu. Au Darfour-Occidental, les citoyens qui ont fui les villages et camps attaqués depuis le début de l’année ont trouvé refuge dans des « points de rassemblement » aux abords des bâtiments publics de la ville. « L’un d’eux m’a confié que “vivre dans cet endroit est une insulte” », déplore la chargée de plaidoyer du NRC. Elle précise que certains abris de fortune ont cédé aux pluies diluviennes intervenues entre juin et septembre, contraignant certains riverains à regagner les camps situés en périphérie de la ville. « Ils privilégient leur dignité à leur sécurité », conclut Mathilde Vu.

Le comité de victimes de Kamal Ahmed a, lui, publié une déclaration, le 2 décembre, pour proposer sept axes de sortie face à cette double crise sécuritaire et humanitaire : une protection assurée par la communauté internationale, la poursuite des criminels en justice, le désarmement des RSF, une assistance matérielle pour les victimes, un soutien psychologique et légal pour ces dernières, la conduite d’enquêtes sur les crimes commis et, enfin, une coordination avec les autorités tchadiennes afin de les aider à accueillir les réfugiés ayant franchi la frontière. De son côté, le gouvernement de Khartoum s’est contenté d’annoncer le déploiement d’une force conjointe de quelque 3 000 hommes, incluant des RSF. De quoi renforcer les doutes sur sa capacité à rétablir la paix au Darfour.