Face à la piraterie maritime dans le golfe de Guinée, la riposte s’organise

Face à la piraterie maritime dans le golfe de Guinée, la riposte s’organise

Si le nombre d’attaques est en baisse, la zone reste la plus touchée au monde par le phénomène des enlèvements de marins.

L’alerte est cette fois venue des Nations unies. « Si l’Asie du Sud-Est et le golfe de Guinée ont connu presque le même nombre d’incidents en 2020, 623 des 631 marins (99 %) touchés par des enlèvements dans le monde en 2020 travaillent dans le golfe de Guinée », révèle un rapport intitulé « Pirates du golfe de Guinée : une analyse des coûts pour les Etats côtiers ». Le document, publié mardi 7 décembre, estime que la piraterie a coûté 1,925 milliard de dollars par an aux pays africains concernés.

« Bien qu’il y ait une diminution du nombre d’attaques de pirates jusqu’à présent en cette saison sèche, nous avons vu des attaques plus brutales, dans lesquelles un plus grand nombre de marins ont été enlevés », a expliqué la ministre norvégienne des affaires étrangères, Anniken Huitfeldt, venue à New York sensibiliser les membres de l’ONU sur ce dossier crucial pour cette nation maritime et qui a financé le rapport.

S’étendant du Sénégal à l’Angola et connu pour ses eaux riches en hydrocarbures et ses ressources halieutiques, le golfe de Guinée est considéré comme la zone maritime la plus dangereuse au monde. Depuis plusieurs années, la mobilisation internationale s’est accrue, mais la tache est titanesque : chaque jour, près de 1 200 embarcations croisent dans ces eaux dont l’étendue équivaut à sept fois celle de la France.

Hébergé depuis juin 2016 à Brest, dans les sous-sols de la préfecture maritime de l’Atlantique, à quelque 5 500 kilomètres du golfe ouest-africain, le Maritime Information Cooperation and Awareness Center (MICA Center) est au cœur du dispositif. Sept jours sur sept et 24 heures sur 24, tout signalement d’un acte de piraterie à la surface du globe y est traité en temps réel. Le service est gratuit pour les bateaux – quels que soient leur pavillon ou leur nationalité – pour lesquels il suffit d’indiquer leur présence lorsqu’ils pénètrent dans une zone à risque.
« Urgent, urgent… Piracy Attack ! »

Le 6 février 2021, c’est là qu’est arrivé l’appel au secours du Sea Phantom, un pétrolier de 130 mètres. Quelques heures après avoir levé l’ancre de Lomé, capitale du Togo, en direction du port camerounais de Limbe, le tanker est approché par un skiff naviguant à vive allure avec à son bord neuf pirates originaires du delta du Niger, dans le sud du Nigeria. En quelques minutes, ils déploient une échelle d’une dizaine de mètres et se hissent à bord du navire immatriculé dans les îles Marshall.

Il est 23 h 19 lorsque le capitaine du Sea Phantom lance un message d’alerte : « Urgent, urgent, urgent… Piracy Attack ! Crew Inside Citadel. [Attaque de pirates ! L’équipage est réfugié dans la citadelle, une salle du navire dont les accès sont sécurisés.] » A bord, les pirates prennent les commandes du navire et coupent les moteurs en haute mer.

« D’abord, nous avons prévenu tous les bateaux des alentours afin qu’ils s’éloignent, indique Gilles Chehab, capitaine de corvette et commandant du MICA Center jusqu’en août. Lorsqu’une attaque échoue, les pirates restent dans la zone et se reportent sur d’autres navires jusqu’à ce qu’ils parviennent à leur but. »

Au même moment, les autorités de tous les pays côtiers sont prévenues qu’une attaque est en cours. La marine nationale de Sao Tomé envisage d’envoyer le Zaïre, un navire de la marine portugaise croisant dans la zone. Mais la distance de ralliement est jugée trop importante.

Tolérance zéro au Nigeria

La Guinée équatoriale décide finalement de dérouter un navire militaire nigérian et un autre camerounais. Au petit matin, l’équipage du Sea Phantom parvient à reprendre le contrôle du navire. A 15 h 20, le pétrolier est enfin sécurisé par des marins et des soldats camerounais. Les pirates, ayant compris que la partie était perdue, ont pris le large quelques heures plus tôt.

Si un drame a été évité de justesse, l’épisode illustre la complexité de lutter contre le phénomène. En 2013, les dix-neuf pays qui composent le golfe de Guinée ont signé l’accord de Yaoundé pour mener des actions communes et concertées contre la piraterie. Début novembre à Pointe-Noire (Congo), un symposium, organisé avec le ministère de la défense français a réuni tous les responsables sécuritaires des pays pour marquer le début de l’opérationnalisation de cette architecture de Yaoundé. Il s’est achevé avec l’organisation de l’exercice Grand African Nemo, une démonstration dynamique des marines au large de Pointe-Noire.

Le Nigeria a également pris des mesures fortes. En juillet, la justice du pays a condamné à douze ans d’emprisonnement dix hommes ayant détourné en 2020 au large des côtes ivoiriennes le FV Hailufeng, un navire chinois. Il s’agissait du deuxième procès mené en vertu d’une nouvelle loi contre la piraterie.

« Ce verdict envoie un avertissement fort : le Nigeria a une tolérance zéro envers les criminels maritimes et ses institutions », a confié le porte-parole de la marine nationale nigériane. En juin, le pays s’est également doté de seize navires d’interception rapides et de trois hélicoptères pour un coût total de 195 millions de dollars.

« Business model »

Ces efforts conjoints semblent porter leurs fruits : dans un rapport publié le 14 octobre, le Bureau maritime international a fait savoir que les activités criminelles au large des côtes nigérianes étaient en baisse de 77 % par rapport aux neuf premiers mois de 2021.

« Le Nigeria donne aujourd’hui une très forte impulsion, mais il y a aussi une montée en puissance du Ghana et du Togo, estime l’amiral français Olivier Lebas, commandant de la zone maritime Atlantique. Les pirates sont obligés d’attaquer plus loin des côtes, ce qui signifie qu’il est plus difficile pour eux de cibler les bateaux et de motiver d’éventuels candidats aux attaques. En compliquant leur “business model”, on les coupe dans leur élan. Mais il faut rester prudent. »

En une dizaine d’années, la piraterie maritime s’est déplacée du golfe d’Aden, où elle a quasiment disparu grâce à l’opération Atalante, une mission militaire et diplomatique initiée par la France et mise en œuvre par l’Union européenne fin 2008, au golfe de Guinée. Mais, sur les plans géographique et diplomatique, les situations sont totalement différentes.

« Le golfe d’Aden est un couloir, il est donc plus facile à contrôler, rappelle Olivier Lebas. A l’est de l’Afrique, nous sommes face à des Etats faillis, comme le Yemen ou la Somalie, qui ne peuvent assurer la sécurité de leurs côtes. Dans le golfe de Guinée, il y a une multitude de ports et donc de routes sur un territoire qui est immense. Et les pays côtiers qui le bordent veulent prendre en main leur sécurité. »

Le profil des criminels est également différent. Face aux anciens pêcheurs reconvertis en pirates que l’on peut rencontrer au large de la Somalie, on trouve des bandes parfaitement structurées au large du Nigeria, du Cameroun ou du Bénin. Elles sont dirigées par des gangs avec à leur tête des chefs puissants ayant bâti leurs empires grâce aux trafics d’otages mais aussi de drogue.

Selon le rapport de l’ONU, les groupes de pirates concentrés dans le delta du Niger qui donne sur le golfe de Guinée « gagnent peut-être 5 millions de dollars de revenus directs par an grâce au vol et à la prise d’otages ».