Algérie-France : Joséphine Baker, l’espionne venue du show

Algérie-France : Joséphine Baker, l’espionne venue du show

La chanteuse de music-hall qui a fait son entrée au Panthéon a séjourné en Algérie entre les années 1930 et 1950. En sa qualité d’artiste. Mais aussi comme espionne pour le compte du renseignement français durant la Seconde Guerre mondiale. Elle adoptera plus tard deux orphelins : un garçon d’origine kabyle et une fillette de parents pieds-noirs.

Joséphine Baker, entrée au Panthéon ce 30 novembre 2021, n’est pas encore espionne au service de la France libre quand elle débarque pour la première fois en Algérie.

C’est un mardi 1e décembre 1931, journée froide mais ensoleillée, que la vedette du music-hall arrive à Alger avec son mari et deux de ses collaborateurs pour une petite tournée dans les salles de la capitale. Sur le quai de la gare, elle est accueillie par une délégation du Racing universitaire d’Alger, le club omnisports, dont elle est devenue marraine quelques mois plus tôt.

Dans la section foot de ce club où Algériens et Européens évoluent ensemble, un certain Albert Camus a exercé ses talents de gardien de but au sein de l’équipe junior. Joséphine Baker est logée à l’hôtel Saint-Georges, un palais mauresque qui abritera le 10 novembre 1942 la cérémonie de signature du cessez-le-feu entre l’amiral Darlan, ancien chef du gouvernement vichyste, et les Américains, qui venaient de débarquer à Alger.

Le lendemain de son arrivée, Joséphine Baker, accompagnée de son orchestre de musiciens noirs, donne un concert au Majestic (aujourd’hui salle Atlas), dans le quartier de Bab el-Oued. Elle chante notamment « J’ai deux amours », qui a lui a valu un grand succès en France dès la sortie du titre en 1930.

« Honorable correspondante »

Joséphine Baker n’a pas deux amours mais trois : son pays, Paris et Alger. Sa passion pour cette ville, elle la déclame en 1936 dans sa chanson « Nuit d’Alger », qu’elle chante en roulant les r de son accent américain.

Dix ans plus tard, elle y revient, non pas seulement comme chanteuse, mais surtout comme « honorable correspondante » du contre-espionnage français. Janvier 1941, elle arrive à Alger où elle descend cette fois à l’hôtel Aletti, situé à deux pas de la baie d’Alger. L’Algérie est alors sous le contrôle de Vichy.

L’Aletti est déjà mythique pour avoir reçu Charlie Chaplin lors de l’inauguration de l’établissement en 1931. Il maintiendra sa légende en accueillant l’écrivain américain John Steinbeck ou le photojournaliste Robert Capa, qui immortalisera le débarquement des Alliés en Normandie en juin 1944.

Joséphine Baker reste une semaine à l’Aletti avant de rejoindre le Maroc. À Casablanca, elle subit une fausse couche et une lourde opération d’ablation de l’utérus. Elle reste clouée à l’hôpital, où sa chambre devient une succursale du Deuxième bureau, les services de renseignements français.

Ses messages passent inaperçus grâce à une encre invisible sur ses partitions musicales

Rétablie, elle reprend la route en 1943, souvent à bord d’une jeep militaire, pour se rendre en Algérie, alors que les troupes vichystes ont perdu la partie. Elle y donne des représentations pour les soldats alliés. Et en profite pour transmettre messages et renseignements à l’occasion de ses déplacements à travers le pays, d’Oran à Alger en passant par Mostaganem et Blida.

Ces messages passent inaperçus grâce à une encre invisible sur ses partitions musicales. Elle travaille sous les ordres de Jacques Aptey, chef du contre-espionnage militaire à Paris, qui l’a recrutée en 1939, avant de rejoindre la résistance à Londres en 1940.

En octobre 1943, celle qu’on surnomme « la perle noire » va être doublement comblée. Elle donne un gala à l’Opéra d’Alger et rencontre son idole, le général de Gaulle, celui qu’elle a décidé de suivre après son appel du 18 juin.

Croix de Lorraine

Pendant l’entracte, l’officier d’ordonnance lui demande de se rendre dans la loge d’honneur du général. Le chef de la France libre lui cède son fauteuil et lui remet une petite croix de Lorraine en or.

Son partenaire sur scène et dans les Folies Bergères, Frédéric Rey, raconte la scène : « Quand elle revient en coulisses, elle tenait son poing crispé sur une petite croix de Lorraine en or… Jamais je ne devais lui voir un visage plus bouleversé. C’était le cadeau du général. Elle ouvrit la main, nous montra le bijou, la gorge si serrée qu’elle ne put articuler une parole. »

Elle quitte Alger peu de temps après ce spectacle, sa voiture se perd dans les montagnes de Kabylie, puis effectue un long périple pour rallier Tunis, d’où débute une longue tournée : Sfax, Le Caire, Tripoli (en Libye), Benghazi, Tobrouk, Alexandrie, Beyrouth, Jérusalem, Tel-Aviv, Haïfa.

Là où elle passe, Joséphine déchaine les passions et collecte des renseignements. À Beyrouth, elle se déleste de la petite croix offerte par De Gaulle dans une vente aux enchères destinée à récolter des fonds pour la résistance.

Joséphine recueille Brahim et Marianne, dont les parents ont été tués pendant les combats avec l’armée française

Retour à Alger en mai 1944. Cette fois comme sous-lieutenante de l’armée de l’air de la France libre. Fini les tournées et les spectacles, terminé les tenues de scène affriolantes. Elle est en uniforme au sein de la direction des formations féminines de l’état-major général de l’armée de l’air comme officier de propagande.

Son séjour algérois dure un peu plus de cinq mois. Puis elle regagne la France quelque temps après la libération de Paris en août, pour reprendre ses tournées durant lesquelles elle ne manque pas de chanter « Nuit d’Alger ».

Mère adoptive de plusieurs enfants, elle retourne une fois de plus en Algérie en 1957, en pleine bataille d’Alger. Cette fois, son séjour n’est pas lié à sa vie d’artiste ou à ses états de service comme honorable correspondante. Joséphine recueille deux orphelins, Brahim et Marianne, dont les parents ont été tués pendant les combats avec l’armée française.

Tous deux étaient présents à la cérémonie d’entrée de leur mère au Panthéon. À l’hôtel Saint-Georges d’Alger, la photo de Joséphine Baker trône toujours à l’entrée du bar, à côté de celles de Churchill, Che Guevara, Jean Cocteau, Eisenhower ou encore Albert Camus.