Les révolutionnaires soudanais condamnent le pacte avec l’armée

Les révolutionnaires soudanais condamnent le pacte avec l’armée

REPORTAGE. Le Premier ministre a signé ce 21 novembre un accord avec les putschistes. Manifestants prodémocratie et partis politiques y voient une trahison.

Cet accord est déjà qualifié de « partenariat du sang », notamment dans la déclaration conjointe de l’Association des professionnels soudanais, instigatrice de la révolution de décembre 2018, et du Parti communiste, critique dès la signature du document de transition en août 2019. Le général Abdel Fattah al-Burhane et le Premier ministre Abdallah Hamdok – qui était jusqu’à présent assigné à domicile – ont en effet présenté un texte commun ce dimanche 21 novembre. Le commandant de l’armée, auteur du coup d’État perpétré un mois plus tôt, s’engage, entre autres, à rétablir le chef du gouvernement. Ce même jour, des milliers de manifestants ont à nouveau défilé dans tout le pays, refusant tout compromis avec les militaires, qui ont continué à les réprimer dans la violence.

La commodité politique plutôt que la justice

« Abdallah Hamdok devrait respecter la volonté de la rue. La communauté internationale a fait pression sur lui car elle se préoccupe davantage de la stabilité que de ce que nous voulons », résume Tasabih Ismail, une développeuse informatique manifestant, comme des milliers de Soudanais, devant le palais présidentiel où l’accord a été paraphé. Également venu protester, Abubakar Abdeen explique que « tout politique passant un accord avec les militaires du Conseil souverain tombera avec eux. Leurs mains sont pleines du sang de nos frères, de notre peuple », ajoute ce membre d’un Comité de résistance, groupes locaux de révolutionnaires à l’initiative des manifestations. Il a lui-même perdu son frère lors du sanglant démantèlement du sit-in le 3 juin 2019. La brutale répression menée par les forces de l’ordre a fait au moins une nouvelle victime ce 21 novembre, faisant grimper le bilan à 41 morts depuis le putsch.

Parmi les 14 points de l’accord figure d’ailleurs le lancement d’une enquête sur les blessures et décès intervenus à la suite des manifestations. Mohamed Osman, chercheur soudanais pour Human Rights Watch, rappelle toutefois que « la capacité à établir une justice significative et efficace s’est avérée faible, en particulier au cours des deux dernières années ». Il estime, en outre, que « ce texte cautionne la longue culture d’impunité au Soudan ». « Au lieu de mener les auteurs de violences en justice, cela leur confère davantage de pouvoir. Depuis 2019, la communauté internationale est restée aveugle face à l’impunité au Soudan. Elle continue à prioriser la commodité politique plutôt que la liberté, la justice et la paix », poursuit le chercheur en référence au slogan du soulèvement populaire qui a conduit à la chute du dictateur Omar el-Béchir le 11 avril 2019.

Un gage de légitimité pour le coup d’État

« La communauté internationale veut voir Abdallah Hamdok regagner son siège de Premier ministre et ne regarde pas au-delà », regrette, de son côté, Babikir Faisal, le secrétaire général de l’Alliance unioniste. Ce parti compte parmi les quatre majoritairement représentés au sein des Forces pour la liberté et le changement (FFC), la coalition qui avait désigné le Premier ministre et avec qui les militaires partageaient le pouvoir avant de dissoudre le gouvernement. « Abdallah Hamdok n’a pas le pouvoir de signer cet accord sans le feu vert des FFC et des pouvoirs de la révolution soudanaise tels les Comités de résistance, souligne Babikir Faisal. Ce texte renforce le poids des militaires, légitime le coup d’État du 25 octobre et va empêcher les civils d’accomplir les slogans et les objectifs de la révolution de décembre. Cela inclut la réforme de l’armée et du ministère des Finances car une large proportion d’entreprises demeure gérée par les militaires. »

De son côté, la Mission intégrée des Nations unies pour l’assistance à la transition au Soudan (Unitams) a salué ce développement qui devrait permettre de « parvenir à un consensus sur la résolution de la crise constitutionnelle et politique qui menaçait la stabilité du pays ». L’ONU appelle aussi à la libération des prisonniers politiques arrêtés depuis le coup d’État, comme le texte paraphé s’y engage. Il est en revanche question de la formation d’un gouvernement de technocrates et donc, par conséquent, « de remplacer les FFC par un autre parapluie politique », regrette Babikir Faisal. De quoi discréditer le Premier ministre, dont l’image était encore fièrement brandie lors de la « marche du million » du 17 novembre. « Hamdok a vendu la révolution », clament désormais les pro-démocratie, qui devraient retourner dans la rue dès ce jeudi 25 novembre. « Je ne vois pas comment Abdallah Hamdok peut gouverner le pays en étant considéré comme un traître », conclut Eric Reeves, chercheur au Rift Valley Institute. Il rappelle enfin qu’« un accord ne signifie absolument rien pour le général al-Burhane ». Ce dernier n’a pas hésité à s’emparer du pouvoir il y a un mois après avoir assuré le contraire, la veille, à l’envoyé spécial des États-Unis, Jeffrey Feltman.