Le Mali et les sanctions de la Cédéao : une dangereuse impasse

Le Mali et les sanctions de la Cédéao : une dangereuse impasse

La Cédéao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) a dévoilé la liste de 149 personnalités maliennes visées par des sanctions individuelles, gel des avoirs et interdiction de voyages. Des décisions prises par la conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’organisation régionale le 7 novembre 2021.
Gilles Yabi, vous n’êtes pas convaincu que cette décision soit la plus appropriée en ce moment ?

En effet, il est difficile de penser que le seul impératif dans le contexte politique et sécuritaire malien actuel soit l’organisation des élections présidentielle et législatives le plus rapidement possible. En avril 2021, les autorités de transition avaient rendu public le calendrier électoral et annoncé la date du 27 février 2022 pour le premier tour.

Mais entre-temps, l’attelage de transition a changé au terme du coup d’État dans le coup d’État, le 24 mai 2021, qui a fait passer le colonel Assimi Goïta de vice-président à président de la transition. Il était clair que cette prise de contrôle explicite du pouvoir par les militaires allait altérer la trajectoire de la transition et rendre improbable le respect du calendrier électoral initial.

On ne peut pas reprocher à la Cédéao de continuer à appeler à ce que le pouvoir de transition annonce un calendrier électoral raisonnable, mais on ne peut pas non plus interdire aux dirigeants de fait d’un pays englué dans une crise sécuritaire profonde d’estimer que le retour à l’ordre constitutionnel n’est pas leur seule priorité.

L’option du bras de fer engagé par la Cédéao avec Bamako vous paraît risquée…

Oui, elle l’est. Le Mali d’aujourd’hui, c’est à la fois une insécurité permanente dans de vastes parties de son territoire, un processus de paix dont plus personne ne se souvient du calendrier de mise en œuvre, une fragmentation incroyable de la classe politique qui fait le bonheur des militaires. Dans ce contexte, je ne suis pas sûr que l’option du bras de fer ouvre le chemin à une sortie de crise.

Le texte de la décision du conseil de médiation et de sécurité de la Cédéao indique que « l’imposition des sanctions ciblées est susceptible de créer une atmosphère favorable au retour à l’ordre constitutionnel et à l’État de droit ainsi qu’au maintien de la paix et de l’intégrité territoriale du Mali ». C’est fort discutable.

Réfléchissons un peu aux scénarios possibles dans les prochains mois. Dans le meilleur des scénarios, qui n’est pas à mon avis le plus probable, les sanctions pousseraient les décideurs actuels du pays à se focaliser sur la préparation des élections et à annoncer de nouvelles dates rapidement, mais pense-t-on vraiment qu’ils ne feraient pas tout soit pour que ces élections se passent mal, soit pour en déterminer les résultats ? Et même si un pouvoir civil élu et distant des militaires venait à s’installer, quelle serait son espérance de vie ?

Les autres scénarios ouvrent sur des perspectives déprimantes, voire dangereuses, dites- vous.

Oui, une accentuation de la fragmentation politique et militaire provoquée par les sanctions peut très bien ouvrir la voie à une nouvelle rectification d’un coup d’État, déjà rectifié une première fois. Ce serait la garantie de la poursuite de la décomposition du Mali et de la fragilisation de tous ses voisins.

La Cédéao ne peut pas avoir comme seule politique à l’égard d’un pays désorienté les sanctions. Si elle veut influencer positivement la trajectoire de la transition, elle doit avoir sur place une présence diplomatique renforcée permettant de dialoguer avec tous les acteurs, de comprendre les alliances, les divisions, et de favoriser la construction d’un consensus minimal sur la suite à donner à la transition.

Soyons clairs. On ne peut pas se réjouir d’avoir à la tête de deux États de la région, le Mali et la Guinée, des commandants de forces spéciales formés à l’évidence à grands frais pour des missions autres que l’exercice du pouvoir politique. Mais ils sont là, surprotégés par leurs hommes, et bénéficient du soutien sinon de la bienveillance de beaucoup d’autres acteurs militaires et civils. Aider le Mali aujourd’hui ne se résume pas au retour le plus vite possible à l’ordre constitutionnel. Il est au moins aussi important de l’aider à survivre.