Soudan: nouvelles tensions à Khartoum, la mobilisation toujours aussi importante

Soudan: nouvelles tensions à Khartoum, la mobilisation toujours aussi importante

Les manifestations contre le coup d’État persistent au Soudan, même au lendemain de la répression sanglante menée mercredi et qui a fait au moins 15 morts. Jeudi 18 novembre était un jour de deuil pour les habitants de Bahri, ville jumelle de Khartoum : au moins 13 personnes habitant ses rues sont mortes mercredi. Des manifestations sporadiques ont eu lieu. Elles ont été à nouveau confronté à un important déploiement de police et de miliciens en uniforme ou en civil.

Dans le cimetière qui fait face à la mosquée Al-Tagwa, Ismael Taj el Sir se recueille sur la tombe de son frère Luay. Ce professeur a reçu une balle fatale dans la poitrine alors qu’il manifestait pacifiquement mercredi. « Les responsables sont clairement identifiés. J’accuse la junte militaire et le conseil souverain. Ils sont à l’origine de tous ces morts depuis le 25 octobre dernier. Celui qui dit le contraire n’a pas vu ce qui se passe dans la rue. Il y aura une justice, cela prendra du temps mais justice sera faite », confie Ismael Taj el Sir à Eliott Brachet.

À quelques rues de là, des affrontements se poursuivent entre manifestants du quartier qui ont dressé des barricades et les forces de police qui tentent de les dégager. Un docteur sort de chez lui. Il lève les bras en l’air, furieux : « Là, ils sont en train de nous encercler, à balles réelles et à coups de gaz lacrymogène lancés au hasard jusque dans nos maisons. Ce sont les mêmes pratiques que sous le régime d’Omar el-Béchir. Le rôle de l’armée est clair, c’est de protéger nos frontières. Le gouvernement doit être civil. »

À la nuit tombée, certains von+t présenter leur condoléances aux 13 familles endeuillées du quartier. D’autres reconstruisent les barricades. Pour beaucoup, la tristesse a déjà laissé place à la colère.

«C’est une question de vie ou de mort. On ne peut pas avoir sacrifié toutes ces vies pour rien»

Comme en 2018 et 2019, les Soudanaises sont nombreuses au sein des comités de résistance, fers de lance de la contestation contre le coup d’État. Maryam, 36 ans, est l’une d’entre elles. Elle a fondé, il y a presque trois ans, un comité dans son quartier de Khartoum. Malgré la répression, elle reste déterminée, comme l’a constaté notre envoyée spéciale, Florence Morice.

Maryam nous reçoit en tout discrétion. Depuis le putsch du 25 octobre, dans son comité de résistance, on fait profil bas en dehors des jours de manifestation, pour éviter les arrestations qui se multiplient. « Ça devient compliqué pour notre sécurité. On a eu l’impression que nous étions surveillés, donc on a décidé de changer de lieux pour chacune des réunions et d’aller faire imprimer nos tracts dans un autre quartier, pour qu’on ne nous reconnaisse pas », explique-t-elle.

Avant décembre 2018, Maryam n’avait jamais manifesté. Très vite, elle fait pourtant sien le slogan phare de la révolution soudanaise : « Paix, justice et liberté. » « Liberté en tant que citoyenne d’exprimer mes opinions sans avoir peur d’être arrêtée, et liberté en tant que femme. Je ne veux plus avoir peur d’être harcelée par la police juste parce que je n’aurais pas porté correctement le voile. On a connu le goût de la liberté et on ne peut pas revenir en arrière », martèle Maryam.

Pour cette jeune femme, la résistance engagée depuis le 25 octobre est une course de fond : « On garde l’espoir. Peut-être que les gens ne vont pas sortir dans la rue à toutes les manifestations que nous organisons, mais nous savons que nous avons leur soutien. Quand on mobilise dans la rue, ils nous répondent en faisant le signe de la victoire. Donc on sait qu’un jour, le coup d’État finira par échouer. Pour nous, c’est une question de vie ou de mort. On ne peut pas avoir sacrifié toutes ces vies pour rien. »

« Plus ils nous oppresseront et plus nous nous battrons », conclut Maryam avant se rendre à une réunion de son comité, pour débattre de la tactique à adopter pour poursuivre la mobilisation.

Ahmed Soliman, chercheur au sein de l’institut Chatham House