« Bourhane veut faire comme le maréchal Sissi en Egypte » : au Soudan, les manifestations contre le putsch militaire réprimées

« Bourhane veut faire comme le maréchal Sissi en Egypte » : au Soudan, les manifestations contre le putsch militaire réprimées

Des centaines de milliers de personnes ont défilé pacifiquement, à travers le pays, pour demander l’établissement d’un gouvernement civil. A Khartoum, trois manifestants ont été tués par balles.

« Tu auras beau barrer les routes et fermer les ponts, oh Bourhane, on viendra jusqu’à toi ! », scandait samedi 30 octobre la foule rassemblée sur les grandes avenues de Khartoum. A l’appel d’organisations de la société civile et des comités de résistance – fers de lance du soulèvement de 2019 –, des centaines de milliers de Soudanais ont défilé pacifiquement à travers le pays contre le coup d’Etat du général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane. Un putsch déclenché dans la matinée de lundi et qui a abouti à la dissolution du gouvernement censé assurer la transition vers la démocratie et à l’arrestation de la quasi-totalité des représentants civils.

Pour empêcher que les cortèges se rejoignent dans la capitale, les autorités ont bloqué l’accès aux ponts qui relient Khartoum à ses jumelles, Oumdurman et Bahri, par-delà le Nil bleu et le Nil blanc. Des fils de fer barbelés entravaient également la circulation sur l’avenue de l’aéroport. Bravant l’état d’urgence après six jours de répression et d’arrestations qui ont ravivé le spectre des trente années de règne du dictateur déchu Omar Al-Bachir, les manifestants ont répété à grands cris que « le peuple est plus fort et le retour en arrière, impossible ! ». Des rassemblements similaires ont eu lieu dans plus d’une quarantaine de villes pour exiger la chute de la junte militaire et la libération d’Abdallah Hamdok, le premier ministre limogé et assigné à résidence.
Des hôpitaux dépassés par l’afflux de blessés

Malgré les mises en garde des Nations unies et de nombreuses chancelleries, des violences ont éclaté en fin d’après-midi dans plusieurs quartiers de la capitale. Arrivés en trombe sur des pick-up lourdement armés, des soldats de l’armée régulière, des policiers et des miliciens des Forces de soutien rapide ont fait usage de gaz lacrymogène contre les manifestants avant de tirer à balles réelles, visant la foule à la mitrailleuse Douchka et à la kalachnikov. Trois manifestants ont été tués par balles à Oumdurman alors que la foule se massait devant le bâtiment vacant du Parlement. En quelques heures, les hôpitaux de ce quartier historiquement contestataire ont dû faire face à l’afflux de centaines de blessés. Au point que l’hôpital Al-Arbaeen a annoncé samedi soir ne plus pouvoir recevoir de patients.

A l’est de Khartoum, dans le quartier de Burri, les miliciens des Forces de soutien rapide ont pris d’assaut l’hôpital Royal Care, dans lequel s’étaient réfugiés des manifestants. Dans les rues, à la nuit tombée, des pick-up de miliciens pourchassaient des civils et se livraient à des passages à tabac. Au fil de la nuit, des images de la répression ont également inondé les réseaux sociaux en provenance de Nyala ou Zalenji, au Darfour, Wad Madani, dans l’Etat d’Al-Jazira, ou Gedaref dans l’est du pays.

La police a nié dans un communiqué avoir tiré à balles réelles et accusé les protestataires d’avoir « attaqué » les forces de l’ordre. Le ministère de l’intérieur, pour sa part, a fait état de plusieurs blessés chez les soldats. Une ligne défendue dans l’entourage d’Abdel Fattah Al-Bourhane, qui continue de marteler que la prise de pouvoir du général est un moyen de « rectifier le cours de la révolution » et de mener le pays à des élections libres.

« On va prendre le temps de panser nos plaies »

« Il ne faut surtout pas tomber dans le panneau, enrage un ingénieur se faufilant entre les barricades après avoir accompagné des blessés à l’hôpital. Bourhane ne veut pas la démocratie. Il veut faire comme le maréchal Sissi en Egypte. Nous, nous pensons qu’il est temps que l’armée rentre dans ses casernes. »

Un bras de fer est lancé entre la rue et le nouveau pouvoir. Si on dénombre au moins 12 morts depuis lundi, le bain de sang que certains redoutaient n’a pas eu lieu. En coulisse, Abdel Fattah al-Bourhane semble de plus en plus fragilisé. Devant faire face à d’intenses pressions diplomatiques, le général tente, en vain, de mener des consultations pour trouver un nouveau premier ministre. Jusqu’à présent, aucun candidat n’a souhaité endosser la colère de la rue. Le chef de l’armée a affirmé que la place était toujours libre pour Abdallah Hamdok. Mais ce dernier s’y refuse pour le moment.

De leur côté, les manifestants refusent unanimement un éventuel retour au statu quo qui prévalait avant le coup d’Etat. Ils demandent l’établissement d’un gouvernement entièrement civil. « Les militaires ont dirigé pendant la première moitié de la transition, comme prévu, rappelle une étudiante en médecine présente dans les cortèges samedi. Aujourd’hui ils ont fait leur temps et n’ont pas respecté leurs engagements en s’accaparant le pouvoir. Il n’y aura pas de négociation avec eux. »

Signe que la détermination des manifestants n’est pas entamée, des chants révolutionnaires résonnaient encore au milieu de la nuit dans les rues de Khartoum. La désobéissance civile va également se poursuivre dans les jours à venir. A partir de dimanche la capitale restera ville morte. « On va prendre le temps de panser nos plaies et nous serons à nouveau debout contre ce régime militaire. Il va falloir être patient », prévient un étudiant en faisant rouler dans sa main des douilles vides ramassées par terre.