L’interminable attente des proches du journaliste Olivier Dubois, enlevé il y a six mois au Mali

L’interminable attente des proches du journaliste Olivier Dubois, enlevé il y a six mois au Mali

Depuis la confirmation, le 4 mai, de son enlèvement par un groupe affilié à Al-Qaida un mois auparavant, ses proches sont sans nouvelles.

Dans le bureau de Déborah Al-Hawi Al-Masri, planté sur la rive droite de Bamako, la capitale du Mali, le temps est suspendu. Les minutes lui semblent être des heures et les heures des jours entiers, depuis six mois. « On me dit d’être patiente, mais je suis déjà à bout de forces », glisse la Française de 35 ans, vissée à ses deux téléphones. Depuis le 8 avril, elle vit dans l’attente et l’espoir de voir son compagnon, le journaliste français Olivier Dubois, sortir de sa captivité. Ce jour-là, à Gao, dans le nord-est du Mali, une zone où pullulent les katibas djihadistes depuis le déclenchement de la guerre en 2012, Olivier Dubois a été enlevé, après avoir voulu interviewer un chef intermédiaire du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaida).

« Il était pourtant confiant de revenir de ce voyage sain et sauf », soupire Déborah Al-Hawi Al-Masri. Elle en tient pour preuve leurs derniers messages, échangés lorsque Olivier Dubois monte à bord de l’avion, direction Gao, le 8 avril. Un selfie accompagné d’un mot : « Je vais éteindre mon téléphone. Dis à Aminata de préparer ses beignets à la viande pour mon retour. » Que s’est-il passé, ce 8 avril, dans la cité des Askia ? Le mystère demeure. Le journaliste indépendant, fin connaisseur des dynamiques sécuritaires maliennes, avait bien préparé son voyage. A-t-il trop fait confiance à son réseau, pourtant solide et qu’il ne cessait d’alimenter depuis son installation au Mali, en 2015 ?

Cette année-là, lui et sa compagne posent leurs valises à Bamako, séduits par « la simplicité de vie, le sens de l’accueil et la chaleur humaine des Maliens », raconte Déborah Al-Hawi Al-Masri. Les premières impressions d’Olivier Dubois sont celles d’« un pays à l’histoire riche et complexe », qu’il décide d’observer quelque temps, pour le comprendre avant d’être en mesure de le raconter. « C’est un journaliste animé par le désir de gratter la surface pour aller au fond des choses. Il paie aujourd’hui le prix de cet engagement », estime Célia D’Almeida, ancienne rédactrice en chef du Journal du Mali.
« Un journaliste exigeant »

Olivier Dubois écrit son premier reportage pour cet hebdomadaire malien le 20 novembre 2015. Son récit de l’attentat perpétré au Radisson Blu, un grand hôtel de Bamako, fait la « une » du journal. Le journaliste est alors l’un des premiers sur place, pour raconter, minute par minute, cette attaque qui a coûté la vie à 22 personnes et qui fut revendiquée par Al-Mourabitoune, un groupuscule affilié au GSIM.

Au Journal du Mali, Olivier Dubois gravit les échelons et devient le rédacteur en chef du site Internet. « Olivier impulsait une volonté de faire mieux et plus. C’est un journaliste exigeant. Strict sans être méchant », détaille Boubacar Sidiki Haidara, l’actuel rédacteur en chef, qui était stagiaire quand Olivier est arrivé dans la rédaction. Il forme volontiers les novices mais intimidait aussi certains stagiaires. « Monsieur Olivier », le surnommaient les uns, quand les autres tentaient parfois de s’en aller sur la pointe des pieds les soirs de bouclage, par crainte de voir le Français leur demander une énième correction ou précision sur leur article.

« Tête chercheuse en mouvement, qui aime découvrir, tout le temps, toujours », dit le journaliste pour se présenter sur Twitter. En 2018, il quitte l’hebdomadaire malien pour devenir pigiste, contribuant, depuis lors, pour Le Point Afrique, Libération et Jeune Afrique. Célian Macé, journaliste à Libération, se souvient d’un confrère « enthousiaste ». « Sa grande curiosité l’amenait à proposer des sujets originaux », dit-il. Juste avant de disparaître, Olivier Dubois avait signé un entretien, publié sur Le Point Afrique le 3 avril, avec le chef de la milice Dan Na Ambassagou, Youssouf Toloba, accusé d’avoir tué de nombreux Maliens et avec lequel il a passé plusieurs jours dans le centre du pays.
« Il s’est construit lors de ses voyages »

« Olivier est quelqu’un de très ouvert et désireux de comprendre la différence. Il s’adapte à tous les milieux. C’est une force pour l’épreuve qu’il vit aujourd’hui », souligne Marc de Boni, un de ses amis les plus proches. Bon vivant, débatteur acharné, ami attentionné et pudique, Olivier Dubois a toujours été animé par l’amour du terrain. Son périple en solitaire d’un an sur les traces de la route de la soie, en 2010, lui a donné le goût du reportage. Sur son blog, Olivier Dubois racontait ses découvertes et ses rencontres, à travers la douzaine de pays parcourus sac au dos.

« Il aime écouter les autres et découvrir. Il s’est construit lors de ses voyages », raconte son père, André-Georges Dubois. Né à Créteil, Olivier Dubois, d’origine martiniquaise, grandit dans le Vaucluse, au sein d’une famille aux parents séparés dans laquelle « il est rare de se dire je t’aime », comme l’a regretté sa mère sur les ondes de Radio France internationale (RFI) dans un message adressé à son fils qui fêtait, le 6 août, son 47e anniversaire. « Tu es dans mon cœur et je pense à toi », concluait-elle, la gorge serrée, avant que soient diffusés quelques mots des deux enfants du couple. Ceux d’Angie, 13 ans, fille de Déborah qu’Olivier élève comme son propre enfant, et du petit dernier de 5 ans, qui porte le prénom de cette région d’Afrique qu’ils aiment tant : Saël.

Eux comme le reste des proches d’Olivier Dubois ont eu la confirmation de sa captivité près d’un mois après son enlèvement. Le 4 mai, dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, le journaliste français affirmait, le visage grave, être captif du GSIM, devenant le seul otage français dans le monde. Pendant un mois, ses proches avaient tu sa disparition, animés par l’espoir de le voir revenir de cette interview qui aurait nécessité plus de temps que prévu.
« Je n’ai plus de vie »

Pour Déborah Al-Hawi Al-Masri, le 4 mai fut une journée sous forme d’ascenseur émotionnel, entre le soulagement de savoir son compagnon en vie et le déchirement de découvrir son statut d’otage. Avec les enfants, comment trouver les mots justes pour expliquer sa captivité ? « Comme dans un film de superhéros, Papa a été enlevé très loin et tous ses amis se mobilisent pour le libérer », dit-elle au petit Saël. « Papa est-il détenu dans une cage ? Lui donne-t-on à manger ? » , demande-t-il à sa mère, qui lui répond que « papa mange beaucoup de brochettes, dort dans un lit et peut même regarder la télé ». « Je le rassure comme je peux », glisse-t-elle, le regard vide. « Je n’ai plus de vie, je ne suis plus qu’un corps », ajoute la trentenaire, dont la solitude, au Mali, rend le quotidien infernal, malgré le grand support du comité de soutien créé par des proches et rassemblant une centaine de connaissances du journaliste.

Une enquête antiterroriste a été ouverte en France et avance dans le plus grand secret. En attendant une potentielle libération dont elle a déjà imaginé le scénario des centaines de fois, Déborah Al-Hawi Al-Masri s’efforce de maintenir une vie normale pour ses enfants. La jeune femme remonte un long fil de messages envoyés à un numéro inconnu sur WhatsApp. Sur cette conversation fictive destinée à son compagnon, qu’elle a créée au lendemain de son enlèvement, elle et ses enfants envoient chaque jour des vidéos, des messages vocaux et des écrits pour raconter leur quotidien, les bons et les mauvais moments, le manque, leur amour et les soutiens de l’extérieur. En face, personne ne répond, même si les enfants « pensent qu’Olivier lit tout », raconte sa compagne les yeux embués.

Ce journal de bord multimédia, Déborah Al-Hawi Al-Masri l’a imaginé « pour maintenir le lien avec Olivier et pour, qu’à son retour, il puisse tout revoir du quotidien, ne rien manquer », lâche-t-elle, pleine d’espoir. Un moyen aussi de montrer au journaliste français que lors de sa captivité, ses proches ne l’ont jamais oublié.