RDC : quel bilan tirer des « cent jours » de Sama Lukonde Kyenge ?

RDC : quel bilan tirer des « cent jours » de Sama Lukonde Kyenge ?

Sécurité, finances publiques, diplomatie, social… Trois mois après son installation, le bilan du gouvernement du nouveau Premier ministre congolais est contrasté. Décryptage.

La nomination de Sama Lukonde Kyenge à la primature par Félix Tshisekedi, en février dernier, a été le dernier acte de la rupture de l’alliance de gouvernement qu’avait scellé le chef de l’État avec son prédécesseur, Joseph Kabila. Il aura ensuite fallu de longues semaines avant que le successeur de Sylvestre Ilunga Ilunkamba ne dévoile la composition de son équipe.

Le 26 avril dernier, devant une Assemblée nationale appelée à voter l’investiture de son gouvernement, Sama Lukonde Kyenge avait dressé les grandes lignes du programme qu’il entendait mettre en œuvre. Le Premier ministre avait notamment insisté sur les questions sécuritaires, sur les mesures envisagées en vue de relancer une économie durement frappée par la crise du Covid-19 ainsi que sur la lutte contre la corruption. Il s’était également engagé à organiser la présidentielle de 2023 « dans les délais constitutionnels ».

Trois mois après, jour pour jour, si des avancées sont indéniables sur plusieurs de ces fronts, le gouvernement peine encore à concrétiser de nombreuses mesures. En cause, notamment, l’absence d’une ordonnance fixant clairement les prérogatives des différents ministères, qui conduit à des conflits de compétences.

Surtout, l’exécutif n’a, pour l’heure, pas budgété les actions envisagées : aucune loi de finances rectificative n’a été votée, et le processus n’a pas même été engagé devant l’Assemblée. « On est en face d’un gouvernement qui multiplie les communications sur ses intentions, mais rien de concret n’a encore été fait », déplore la Lucha (Lutte pour le changement). Faut-il croire le mouvement citoyen lorsqu’il parle d’un « gouvernement qui se cherche encore » ? État des lieux.

Sur le plan sécuritaire, la décision de proclamer l’état de siège dans les provinces de l’Est durement frappées par les violences, en lieu et place de l’état d’urgence initialement envisagé, n’a pas encore donné les résultats escomptés. Si l’établissement d’une administration militaire dans les provinces du Nord Kivu et de l’Ituri est désormais une réalité, le dossier de Minembwe est, lui, encore en souffrance.

Outre les craintes exprimées par plusieurs ONG et certains observateurs de voir le remède s’avérer pire que le mal, certains éléments de l’armée congolaise étant régulièrement accusée d’exactions ou de collusion avec certains groupes armés, la situation sécuritaire demeure très préoccupante. L’état de siège a malgré tout été prorogé une cinquième fois par l’Assemblée nationale le 3 août, et ce alors que certains élus réclamaient une évaluation préalable de l’efficacité du dispositif.

« Nous sommes optimistes quant à l’atteinte des objectifs recherchés », a assuré, début juin, Patrick Muyaya, le ministre porte-parole du gouvernement, évoquant « des centaines de redditions de miliciens » et promettant l’instauration – « très vite » – d’un mécanisme de réinsertion. De fait, le Programme de désarmement, de démobilisation et de relèvement communautaire et de stabilisation (PDDRCS) a récemment été formalisé à travers une ordonnance présidentielle. Mais la mise en place d’une plateforme opérationnelle – qui sera placée sous l’autorité directe du chef de l’État – n’est pas encore effective.

S’il se félicite des mesures engagées, Félix Tshisekedi reconnaît lui-même que les avancées se font trop lentes. En déplacement dans l’Est, fin juin, il n’a pas hésité à évoquer des « magouilles qui minent nos forces de sécurité » et dénoncé le développement d’une « mafia » au sein de l’armée et des institutions. « Il faut détricoter cela, patiemment », a lâché le chef de l’État en marge d’un déplacement à Bunia, la capitale de l’Ituri. Sur ce front, c’est donc à la patience qu’appellent en cœur le président congolais et son gouvernement.

C’est l’une des grandes victoires enregistrées par l’exécutif depuis l’entrée en fonction de la nouvelle équipe gouvernementale : le feu vert accordé par le FMI pour un financement de 1,5 milliard de dollars, dont le principe a été validé le 15 juillet dernier par le conseil d’administration. La somme, qui sera débloquée dans le cadre d’un programme triennal, a pour but de permettre à Kinshasa de « soutenir les réformes visant à maintenir la stabilité macroéconomique, à accroître la marge de manœuvre budgétaire, à garantir la viabilité de la dette et à promouvoir une croissance économique durable et menée par le secteur privé », a fixé Mitsuhiro Furusawa, directeur général adjoint du FMI.

Obtenu au terme de longues négociations, l’accord avec le FMI est assorti d’une série d’exigences 

Mais cette nouvelle facilité de crédit, obtenue au terme de longues négociations, est assortie d’une série d’exigences : amélioration de la transparence dans le secteur minier, lutte contre la corruption ou encore amélioration de la gouvernance économique. « Reste à voir quels seront les effets concrets de cet accord, en particulier sur les conditions de vie des Congolais les plus pauvres, sachant que le FMI prône une réduction des dépenses publiques à caractère social », prévient Valery Madianga, porte-parole de l’Observatoire de la dépense publique.

La bouffée d’air budgétaire que permettra l’accord obtenu avec le FMI va notamment permettre d’accélérer le projet Tshilejelu (« Exemple », en français). Lancé en mars dernier par Félix Tshisekedi et destiné à succéder au « Programme des cent jours », initié au début de son mandat mais largement entaché par l’affaire Vital Kamerhe – l’ancien directeur de cabinet du président condamné en appel à 13 ans de prison pour corruption – il est censé constituer le cœur de la politique du gouvernement en matière d’infrastructures. Il démarre cependant timidement. Des travaux de voiries ont été lancés, mais les résultats concrets tardent à sortir de terre.

Sur le plan social, les fronts sont multiples. Si le gouvernement est parvenu à trouver un accord avec les médecins, qui ont suspendu leur grève ce mercredi 4 août, le bras de fer a été tendu. La colère des professeurs d’université, en guerre contre leur ministre de tutelle sur des questions statutaires et salariales, n’est pas éteinte. Pour tenter d’apaiser les salariés de la société Transport du Congo (Transco), qui se sont mis en grève pour exiger le versement d’arriérés de salaires, le ministre des Transports, Chérubin Okende Senga, a cédé à l’exigence des syndicats et limogé le directeur de l’entreprise, Blackson John Bongi, nommant Chief Tshipamba Ngambamalu directeur général de la société publique.

Sur le plan politique, la situation est pour le moins agitée. L’Union sacrée que Félix Tshisekedi a constitué autour de lui après sa rupture avec Joseph Kabila commence à montrer des signes de dissensions internes profondes.

Les débats sur la loi Tshiani et sur la désignation du successeur de Corneille Naanga à la tête de la Commission électorale nationale indépendante n’en divise pas moins la classe politique congolaise, au point de créer des points de convergence inattendus entre les différents camps. Le Front commun pour le Congo de Kabila et la coalition Lamuka de Martin Fayulu sont en effet, sur ce dossier, sur une ligne similaire, même s’ils sont évidemment loin de parler d’une même voix.

Le retard qu’accuse l’enclenchement du processus d’enrôlement des électeurs fait en outre peser de nombreux doutes sur la tenue des échéances électorales de 2023 à la date fixée. Des discussions sont d’ailleurs en cours en vue de la possible création d’une plateforme réunissant des organisations de la société civile et des opposants à Félix Tshisekedi en vue de la création d’une plateforme destinée à lutter contre un éventuel « glissement » du calendrier électoral.

Dans ce contexte, le large consensus autour des réformes constitutionnelles qu’espérait obtenir le gouvernement est loin d’être acquis.

Les efforts de Félix Tshisekedi en vue de normaliser les relations avec ses neuf voisins ont payé. Les accords signés avec le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda en sont le signe le plus spectaculaire. Reste désormais à traduire ces signatures dans les faits. Sur ce point, la mise en musique de l’accord entre Kinshasa et Kigali, qui prévoit notamment l’exploitation des ressources aurifères congolaises par des sociétés rwandaises, reste encore à concrétiser. Félix Tshisekedi n’a en outre pas encore nommé les ambassadeurs plénipotentiaires qu’il prévoyait d’envoyer dans les capitales de chacun de ses voisins.

Le rapprochement avec les voisins de l’Est, et les tentatives de mieux coordonner la réponse face aux groupes armés, restent fortement freinées par les tensions persistantes entre Kampala et Kigali, que Kinshasa peine à réconcilier.

Il faut repenser la stratégie diplomatique pour permettre l’accroissement de l’influence congolaise

L’offensive menée tous azimuths par Félix Tshisekedi sur le plan international, s’appuyant en particulier sur l’Union africaine, dont il est le président en exercice jusqu’en février prochain, a permis de sortir la RDC de l’isolement dans lequel elle se trouvait à l’issue du mandat de Joseph Kabila. Mais, à en croire Martin Ziakwau, enseignant à l’Institut facultaire des Sciences de l’information et de la communication, les retombées en matière d’influence ne sont pas encore palpables. « Il faut repenser la stratégie diplomatique pour permettre le rayonnement du pays et l’accroissement de l’influence congolaise. Il faut aller au-delà de la quête de postes honorifiques », expliquait le chercheur à Jeune Afrique mi-juillet.

Tshisekedi, qui devrait succéder à Denis Sassou-Nguesso à la tête de la CEEAC en 2022, n’a pas non plus renoncé à l’élection de Faustin Luanga au poste de secrétaire exécutif de la SADC. Son pays devrait également rejoindre officiellement l’East African Community dans les prochains mois.