En Tunisie, la crise politique atteint un nouveau sommet

En Tunisie, la crise politique atteint un nouveau sommet

Le président Kaïs Saïed a gelé les travaux du parlement et démis le chef du gouvernement, s’octroyant le pouvoir exécutif.

En Tunisie, durement ébranlée par l’épidémie de Covid-19 et les difficultés économiques, c’est désormais la crise politique qui atteint un nouveau sommet. Dimanche 25 juillet au soir, lors d’une réunion d’urgence au palais de Carthage, le président de la République, Kaïs Saïed, a décidé de geler les activités du Parlement pendant trente jours, lever l’immunité des députés, et limoger le chef du gouvernement, Hichem Mechichi. « Selon la Constitution, j’ai pris des décisions que nécessite la situation afin de sauver la Tunisie, l’Etat et le peuple tunisien », a-t-il déclaré sur la page Facebook de la présidence. « Nous traversons des moments très délicats dans l’histoire de la Tunisie », a-t-il ajouté.

Juste après cette déclaration, des milliers de Tunisiens ont déferlé dans les rues malgré le couvre-feu en vigueur. Au son des klaxons, ils ont célébré ce que beaucoup considèrent comme la tentative de donner un nouveau souffle au système après des mois de blocage politique. Le chef de l’Etat avait plusieurs fois menacé ces dernières semaines de devoir agir pour dénouer la crise politique que traversait la jeune démocratie tunisienne. Une crise dans laquelle il joue aussi un rôle en raison de son désaccord avec le chef du gouvernement Hichem Mechichi.

Ce dernier avait décidé d’un remaniement en janvier, en nommant des ministres dont certains sont « soupçonnés de corruption et de conflits d’intérêts », selon la présidence, qui a refusé de leur faire prêter serment. Depuis, neuf ministères sont dirigés par intérim. M. Mechichi a été à plusieurs reprises critiqué pour sa gestion de la crise politique mais également sanitaire alors que le pays connaît de 150 à 200 décès par jour du Covid-19 et une saturation de son système hospitalier. Le chef du gouvernement a limogé, le 20 juillet, en plein pic de la quatrième vague, son ministre de la santé, Faouzi Mehdi.
De nombreuses questions demeurent

A ces problèmes de gouvernance s’ajoute l’impopularité du Parlement en proie aux conflits et à la violence politique depuis les élections de 2019. Lors de manifestations contre le pouvoir qui ont eu lieu dimanche dans le pays, de nombreux slogans réclamaient sa dissolution. La mosaïque de partis qui le compose et les désaccords autour de la personnalité clivante de son président, le leader du parti islamo-conservateur Ennahda, Rached Ghannouchi, ont accentué les problèmes au sein de l’Assemblée.

Rached Ghannouchi a qualifié de « coup d’Etat » les décisions de Kaïs Saïed. Dimanche soir, il n’a pas pu entrer au Parlement, empêché par l’armée qui a été aussi déployée devant le siège de la télévision nationale, plusieurs institutions et l’avenue Habib-Bourguiba, épicentre de la révolution de janvier 2011. Kaïs Saïed s’y est, lui, rendu tard dans la nuit pour réaffirmer face aux médias que ses décisions étaient « constitutionnelles ».

Malgré les scènes de liesse dans les rues tunisiennes, et la popularité dont jouit le président, élu avec 72 % des suffrages en 2019, de nombreuses questions demeurent à l’issue de cette nuit théâtrale. Les experts divergent sur l’interprétation de l’article 80 de la Constitution invoqué par Kaïs Saïed pour prendre ces mesures spectaculaires. Cet ancien enseignant de droit se pose souvent en garant de la Constitution tunisienne, en l’absence d’une Cour constitutionnelle, jamais mise en place dans le pays jusqu’à aujourd’hui du fait des blocages politiques. Or, le texte ne détaille pas les mesures d’exception ayant pour objectif « de garantir, dans les plus brefs délais, le retour au fonctionnement régulier des pouvoirs publics ».
L’immunité parlementaire des députés a été levée

Par ailleurs, le chef du gouvernement, le président de l’Assemblée et celui de la Cour constitutionnelle doivent être consultés dans un tel cas de figure. Kaïs Saïed clame avoir prévenu les deux premiers, le troisième étant inexistant, mais Rached Ghannouchi dément, et Hichem Mechichi n’a pas donné de nouvelles de lui depuis dimanche soir. Autre inconnue : les pouvoirs que peut réellement s’octroyer la présidence, notamment vis-à-vis de la justice. Le chef de l’Etat veut, par exemple, prendre la tête du ministère public et poursuivre en justice les députés ayant des affaires en cours. Il a annoncé dimanche lever l’immunité parlementaire de tous les députés.

Quid, enfin, de la sécurité dans le pays ? Le président, qui est également chef des forces armées, va-t-il mettre en vigueur la loi martiale pour appliquer ses mesures ou se reposera-t-il sur les forces de sécurité ? Jusqu’à dimanche, le ministère de l’intérieur était, lui aussi, dirigé par intérim par le chef du gouvernement. Pendant les premiers jours de la révolution de 2011, l’armée avait assuré la sécurité du pays face aux problèmes politiques que traversait le ministère de l’intérieur, forteresse du régime policier de Zine El-Abidine Ben Ali.

Lundi matin, une apparence de normalité régnait dans les rues de Tunis, hormis le sit-in auxquels se livraient le président du Parlement et quelques députés devant le palais du Bardo. La nuit a été longue en Tunisie, les jours à venir le seront encore plus face à l’imbroglio institutionnel.