Les sociétés de sécurité chinoises suivent le fil de l’Initiative ceinture et route

Les sociétés de sécurité chinoises suivent le fil de l’Initiative ceinture et route

En l’absence d’un cadre réglementaire solide, le déploiement des sociétés de sécurité chinoises en Afrique va croissant. Cela constitue des risques accrus envers les citoyens africains, et pose des questions fondamentales sur la responsabilité de la sécurité en Afrique.

Depuis 2012, plus de 200 000 travailleurs chinois se sont expatriés en Afrique pour travailler sur l’Initiative « La Ceinture et la Route » (One Belt, One Road ou OBOR, yī dài, yī lù, 一带一路), aussi connue sous le nom d’Initiative ceinture et route, amenant à 1 million le nombre d’immigrants chinois sur le continent. Il y a plus de 10 000 entreprises chinoises en Afrique, dont au moins 2000 entreprises publiques. Les entreprises publiques chinoises ont un enjeu majeur dans les projets de construction en Afrique, qui génèrent des recettes de plus de 40 millions de dollars par an.

L’Académie des Sciences Sociales de Chine a remarqué que 84 % des investissements de la Chine liés à l’Initiative ceinture et route sont dans des pays à risque moyen ou élevé. Trois cent cinquante incidents graves impliquant des entreprises chinoises se sont produits entre 2015 et 2017, allant du kidnapping aux attaques terroristes en passant par la violence anti-Chinois, d’après le ministère chinois de la Sécurité de l’État. Cela a donné une place prépondérante à la sécurité, afin de protéger ces investissements, et du fait de la demande croissante de la direction des entreprises publiques chinoises de disposer d’une présence sécuritaire chinoise plus puissante sur le terrain. Alors que l’Armée populaire de libération (APL) a rechigné à maintenir une large présence en Afrique du fait d’un certain nombre de facteurs liés à la logistique et aux risques de réputation, la Chine n’a pas confiance dans les forces de sécurité africaines pour faire ce travail.

« Un processus réglementaire plus ferme sera essentiel en Afrique afin de prioriser et de protéger les intérêts des citoyens africains ».

Le gouvernement chinois se repose par conséquent de plus en plus sur les sociétés de sécurité chinoises pour assurer sa sécurité. Il y a 5 000 sociétés de sécurité immatriculées en Chine, qui emploient 4,3 millions d’anciens militaires de l’APL et de la Police armée du peuple. Vingt de ces sociétés ont une autorisation d’exploitation à l’étranger, et elles déclarent employer 3 200 vacataires, encore plus que les déploiements de maintien de la paix de l’APL – qui se montent à environ 2 500 militaires. Le nombre réel de prestataires chinois en Afrique est certainement encore bien plus élevé. Beijing DeWe Security Service et Huaxin Zhong An Security Group emploient 35 000 vacataires dans 50 pays d’Afrique, de l’Asie du Sud, du Moyen-Orient et en Chine. Overseas Security Guardians et China Security Technology Group emploient 62 000 personnes dans les mêmes régions. Au Kenya, DeWe emploie environ 2 000 vacataires de sécurité pour protéger uniquement la ligne de chemin de fer à voie normale de Mombasa à Nairobi et Naivasha, qui a coûté 3,6 milliards de dollars.

La Chine ne veut pas que ses prestataires de sécurité soient comparés à des organisations telles que le Wagner Group russe, de réputation équivoque, ou l’entreprise de sécurité américaine aujourd’hui dissoute, Blackwater. Mais c’est un véritable danger. De plus, les contrats de sécurité chinois comportent de nombreux risques identiques à ceux liés à certaines entreprises publiques chinoises, c’est-à-dire un manque de transparence, une insuffisance des procédures de contrôle nationales, une influence excessive des élites du régime, ainsi que des tensions sociales.

La prolifération de sociétés de sécurité étrangères a des implications importantes sur les politiques de l’Afrique, puisque cela sape le rôle des gouvernements en tant que premiers pourvoyeurs de sécurité de leurs pays, et que cela accroît le risque de violations des droits de l’homme. Un processus réglementaire plus ferme sera essentiel en Afrique afin de prioriser et de protéger les intérêts des citoyens africains.
Des contrats de sécurité avec des caractéristiques chinoises

Le terme « société de sécurité privée » est trompeur et inexact dans le contexte chinois. En tant que régime à parti unique (dǎng guó, 黨國), la Chine exige que toutes les « entreprises » obéissent aux directives du parti, d’où le slogan, « quand l’État avance, le secteur privé recule » (guo jin, min tui, 国进民退).

Une entreprise avec trois employés ou plus doit établir une section du parti au pouvoir dans sa structure. Les dirigeants des entreprises publiques sont non seulement des membres de confiance du parti, mais ils sont aussi secrétaires de leurs organisations internes au parti respectives. Les sociétés de sécurité doivent soit être propriété exclusive de l’État, soit avoir au moins 51 % de leur capital qui appartient à l’État.

En résumé, les sociétés de sécurité chinoises ne sont pas privées. Elles sont contrôlées par l’État et servent ses intérêts. Les occasions qu’elles recherchent n’en demeurent cependant pas moins lucratives. Le China Overseas Security and Defense Research Center, basé à Pékin, remarque que les entreprises publiques chinoises dépensent environ 10 milliards de dollars au niveau mondial chaque année pour la sécurité. Leur entrée en Afrique a coïncidé avec les missions anti-piraterie de l’APL au large des côtes de Somalie en 2008. Huaxin Zhong An et Overseas Security Guardians ont été les premiers à recevoir l’autorisation du gouvernement chinois de fournir des escortes maritimes armées aux flottes chinoises dans ces eaux.

Les sociétés de sécurité chinoises ont depuis diversifié leurs portefeuilles. Beijing DeWe Security Service protège un projet de 4 milliards de dollars lié au gaz naturel en Éthiopie pour le groupe chinois Poly-GCL Petroleum Group Holdings. Shandong Haiwei Security Group protège des mines dont les propriétaires sont chinois en Afrique du Sud. Un conglomérat de cinq sociétés, China Overseas Security Group, protège les projets liés à l’Initiative ceinture et route dans les zones de conflit, y compris en Somalie. Le China Security and Technology Group protège les voies de transport terrestre et maritime, y compris dans les Golfes de Guinée et d’Aden et dans le corridor LAPSSET, allant du port de Lamu au Soudan du Sud et en Éthiopie.

Les sociétés de sécurité chinoises ne sont pas autorisées à porter des armes localement ou à l’étranger, ce qui les contraint à ajuster leur fonctionnement en fonction des différents contextes légaux. Plus l’environnement est permissif, et plus leur latitude est étendue. En Afrique du Sud, où les lois sont strictement appliquées, les sociétés de sécurité chinoises travaillent par l’intermédiaire de filiales locales. Par exemple, le Shandong Huawei Security Group travaille en partenariat avec Raid Private Security, qui assure la sécurité des intérêts miniers. Dans le contexte plus permissif du Kenya, les prestataires de sécurité chinois sont plus présents et travaillent directement avec les forces de sécurité locales auxquelles ils offrent des suppléments de salaire, des formations, des outils techniques, des informations et du matériel.

« Les sociétés de sécurité chinoises ne sont pas privées. Elles sont contrôlées par l’État et servent ses intérêts ».

Dans les contextes encore plus permissifs du Soudan et du Soudan du Sud, les acteurs de la sécurité chinois travaillent sur le terrain avec les forces locales, et dans certains cas les accompagnent lors de leurs missions. En 2012, des anciennes unités de l’APL – qu’on pense appartenir au VSS Security Group – ont aidé l’armée soudanaise à libérer 29 travailleurs chinois de l’industrie pétrolière qui avaient été kidnappés dans la province du Kordofan du Sud. En 2016, le DeWe Security Service a recruté des Soudanais du Sud armés pour aider à l’évacuation de 300 travailleurs chinois de l’industrie pétrolière, après que des combats aient éclaté entre bandes rivales dans le cadre de la guerre civile du Soudan du Sud. Ces initiatives peuvent compromettre la sécurité des citoyens africains. La China National Petroleum Corporation, par exemple, a secrètement fait parvenir du carburant, des devises fortes et des véhicules de transport de troupes blindés aux milices gouvernementales pour la protection de ses champs pétrolifères du Soudan du Sud. Certains de ces groupes du Soudan du Sud ont été accusés par les Nations unies d’avoir commis des atrocités contre des civils.

Certaines entreprises chinoises recrutent des vétérans des armées occidentales pour former des structures gérées par des occidentaux, mais entièrement propriété des Chinois, qui sont paraît-il plus « professionnelles ». Basée au Royaume-Uni, la China Overseas Security Services se présente comme une initiative sino-britannique qui « comprend parfaitement les besoins spécifiques des clients chinois ». Même ces structures « qui ont l’air occidentales » sont cependant l’objet de controverses. Basé à Hong Kong, le Frontier Services Group a été l’objet d’une intense curiosité médiatique du fait d’opérations discutables dans de nombreux pays africains en situation de conflit, tels que la Somalie, le Soudan du Sud et la République démocratique du Congo. Le Frontier Services Group, qui opère dans un certain nombre de pays d’Afrique, a été fondé et dirigé par l’ancien Navy Seal de la marine des États-Unis et fondateur de Blackwater, Erik Prince, mais appartient en totalité au CITIC Groupe, le plus grand conglomérat public de Chine. En 2021, les experts des Nations Unies ont accusé Erik Prince de profiter d’une « opération militaire privée bien dotée » pour fournir des armes évoluées, y compris des drones et des hélicoptères d’attaque, à Khalifa Haftar, commandant d’une faction qui tente de saper le gouvernement d’unité soutenu par les Nations Unies en Libye. De tels exemples constituent des avertissements au sujet des contrats discutables qu’on peut anticiper, liant des entreprises publiques chinoises et des sociétés de sécurité étrangères – lesquelles ont grande envie de profiter du besoin en prestataires de sécurité qu’a la Chine.

Un risque envers la sécurité des citoyens et l’intégrité réglementaire

Les prestataires de sécurité chinois ont provoqué plus que leur part de problèmes, en contournant les restrictions liées aux armes. En 2018, deux ressortissants chinois ont été arrêtés à Livingstone en Zambie, pour avoir assuré une formation militaire illégale destinée à une entreprise de sécurité locale. Les stagiaires portaient des uniformes similaires à ceux utilisés par la Zambia Wildlife Authority, afin d’éviter de se faire repérer et de s’intégrer plus facilement dans la ville touristique à la mode. Au Zimbabwe voisin, deux gardes chinois ont été emprisonnés pour avoir tiré sur le fils d’un parlementaire et l’avoir blessé. Ils avaient précédemment été expulsés pour avoir tiré sur des ouvriers locaux lors d’un conflit sur les salaires dans une mine d’or, mais étaient restés illégalement dans le pays. Au Kenya et en Ouganda, des prestataires chinois ont été arrêtés en 2018 et 2019 respectivement, pour avoir possédé du matériel de grade militaire à destination d’une société locale, ainsi qu’un dispositif illégal d’interception des communications.

Certains ont l’impression que ces fautes ne sont souvent pas punies, même lorsque les affaires passent devant les tribunaux. En Zambie, deux directeurs de mine sont sortis libres après que leur inculpation pour meurtre ait été abandonnée, provoquant un tollé. Ils avaient tiré sur 11 mineurs de charbon et les avaient blessés, lors d’un conflit au sujet des conditions de travail. Dans les pays où l’ordre public est fort, les entreprises publiques chinoises ont dû respecter des normes plus strictes, telles que respecter les lois et règlements locaux, utiliser les canaux diplomatiques pour régler les questions de sécurité, et garantir le respect des règles de l’Association du Code de conduite international (ICoCA) qui émet des directives s’appliquant aux prestataires de sécurité privés.

La Convention sur l’élimination du mercenariat de l’Union africaine est en fait muette au sujet des sociétés de sécurité étrangères, puisqu’elle a été signée en 1985, avant que les acteurs étrangers du secteur de la sécurité ne deviennent courants en Afrique. Des groupes de la société civile poussent les gouvernements africains à mettre à jour cette convention du fait de l’omniprésence des prestataires étrangers militaires et de sécurité, en particulier dans les pays instables.

L’influence venant d’Afrique est aussi croissante, stimulée par des groupes qui travaillent sur les industries d’extraction, la justice économique et la dette. Ces organisations sensibilisent au sujet de la dimension sécuritaire des investissements chinois, y compris l’utilisation de prestataires de sécurité. L’objectif de tout cela est de parvenir à un plus grand contrôle et de responsabilité des initiatives chinoises.
Perspectives africaines

La demande d’une plus grande transparence et d’une meilleure surveillance des sociétés de sécurité chinoises et étrangères en Afrique vient principalement des acteurs de la société civile. Des groupes de la société civile africaine ont principalement axé leurs revendications sur les industries extractives, là où les investissements des entreprises publiques chinoises et les contrats de sécurité sont particulièrement visibles. Les contentieux stratégiques ont rapidement démontré être un outil puissant permettant une meilleure sensibilisation et plus de transparence autour de la nature opaque des contrats de sécurité. La Law Society of Kenya, par exemple, a questionné la base légale de l’accord entre le Kenya et la China Roads and Bridges Corporation (CRBC) concernant la ligne de chemin de fer à voie normale, qui recouvrait également le contrat de sécurité avec DeWe.

De ce fait, le projet avec la CRBC a été déclaré illégal en juin 2020 par la Cour d’appel du Kenya parce qu’il enfreignait les règles de passation des marchés. Un responsable chinois de la sécurité de CRBC a par ailleurs été inculpé pour fraude dans un dossier connexe antérieur. Au Zimbabwe, un contentieux soulevé par la Zimbabwe Environmental Law Association (ZELA) a abouti à l’interdiction de toute extraction de charbon dans le parc national Hwange en septembre 2020, qui était effectuée par des entreprises chinoises.

« Les contentieux stratégiques ont rapidement démontré être un outil puissant permettant une meilleure sensibilisation et plus de transparence autour de la nature opaque des contrats de sécurité ».

La ZELA a également lancé une procédure d’injonction obligeant le gouvernement à fournir au public des bilans de situation concernant la centrale électrique de Sengwa, coûtant 3 milliards de dollars, qui est en cours de construction par le China Gezhouba Group et dont la sécurité est coordonnée par le China Security Technology Group. Des initiatives similaires ont été lancées dans d’autres pays, y compris le Ghana et la Guinée. Les plaignants ont compris que viser les grandes entreprises publiques est un moyen efficace d’attirer l’attention du public sur les activités des sociétés de sécurité qu’elles embauchent.

Il existe une suspicion durable envers les sociétés de sécurité étrangères dans les organisations de la société civile africaine du fait de l’implication de mercenaires étrangers dans les guerres civiles les plus meurtrières d’Afrique. Par conséquent, si les sociétés de sécurité chinoises sont moins visibles que les autres acteurs extérieurs, elles sont aussi vues sous un angle tout aussi négatif. Les opinions envers ces firmes sont aussi façonnées par les réactions du public aux controverses entourant les entreprises publiques qui les ont engagées. De nombreuses contestations contre les investissements chinois en Zambie, par exemple, ont pour origine les conflits persistants (et parfois mortels) entre l’encadrement chinois et les ouvriers locaux dans le secteur de l’extraction minière, qui est dominée par les entreprises publiques chinoises. Cela est également le cas au Zimbabwe.
Regard sur l’horizon

Du fait de l’évolution actuelle, on peut prévoir l’augmentation de la présence des sociétés de sécurité chinoises en Afrique. Ces sociétés seront probablement surveillées d’encore plus près, du fait d’une exigence publique croissante pour une plus grande responsabilité des entreprises publiques chinoises — qui financent les prestataires de sécurité. Ceux qui soulèvent ces contentieux stratégiques comprennent que le fait d’appeler à plus de transparence des entreprises publiques chinoises mettra également en lumière les activités des prestataires de sécurité chinois. Les réformateurs africains comprennent également que la Chine est sensible à son image, en particulier du fait que ses investissements en Afrique sont dans l’ensemble bien accueillis. C’est aussi l’intérêt de la Chine elle-même de faire respecter les règles par ses entreprises publiques et ses prestataires de sécurité, faute de quoi elle pourrait endommager son influence discrète sur l’Afrique.

Du fait de l’évolution actuelle, on peut prévoir l’augmentation de la présence des sociétés de sécurité chinoises en Afrique. Ces sociétés seront probablement surveillées d’encore plus près, du fait d’une exigence publique croissante pour une plus grande responsabilité des entreprises publiques chinoises — qui financent les prestataires de sécurité. Ceux qui soulèvent ces contentieux stratégiques comprennent que le fait d’appeler à plus de transparence des entreprises publiques chinoises mettra également en lumière les activités des prestataires de sécurité chinois. Les réformateurs africains comprennent également que la Chine est sensible à son image, en particulier du fait que ses investissements en Afrique sont dans l’ensemble bien accueillis. C’est aussi l’intérêt de la Chine elle-même de faire respecter les règles par ses entreprises publiques et ses prestataires de sécurité, faute de quoi elle pourrait endommager son influence discrète sur l’Afrique.