La Centrafrique ciblée par les infox, au service des intérêts russes

La Centrafrique ciblée par les infox, au service des intérêts russes

L’image est censée symboliser la générosité de la Russie à l’égard de la Centrafrique. La légende de la photo évoque la livraison d’un jet privé par Moscou à l’intention du Président de la RCA Faustin-Archange Touadéra. L’image du jet sortant des entrailles d’un Antonov circule abondamment sur les réseaux sociaux, mais tout est faux dans cette histoire.

Contrairement à la légende qui l’accompagne, le cliché n’a aucun rapport ni avec la Russie, ni avec la République Centrafricaine. C’est une image sortie de son contexte qui a été partagée des milliers de fois sur les réseaux et dans les groupes privés, comme sur WhatsApp.

En réalité, ce n’est pas le tarmac de Bangui qui accueille l’appareil, mais celui de l’aéroport de Nuremberg en Allemagne. Le jet privé -un Challenger 604 de Bombardier- a été convoyé de Mascate (sultanat d’Oman), après un incident de vol le rendant inutilisable. Il a été racheté pour ses pièces détachées par une société allemande. On le voit sortir d’un Antonov, certes, un avion construit par la Russie, mais celui-là porte les couleurs de l’Ukraine.
Recherche d’image inversée

Pour vérifier l’authenticité de cette photo, il suffit de recourir aux outils disponibles sur internet pour effectuer une recherche d’image inversée. Cela permet de savoir quand cette photo est apparue sur les réseaux pour la première fois. On enregistre l’image ou son URL et on rentre le fichier dans un moteur de recherche comme Tin Eye ou Google image, qui très rapidement, retrouvent les articles dans lesquels elle est déjà parue. En l’occurrence, c’était en décembre 2017, car nombre de revues spécialisées s’étaient intéressées à cet avion victime d’un phénomène de turbulence après avoir frôlé un Airbus A 380 dans les airs, comme le montre l’AFP factuel qui a également repéré la circulation de cette infox.
Exploitation du sentiment anti-français

La nature des commentaires accompagnant la photo en dit long sur les intentions de cette publication, en même temps que de renforcer l’adhésion au récit pro-russe, il s’agit d’attiser la haine de la France: « La Fédération de Russie offre un jet privé au président centrafricain qui jusqu’ici ne voyageait que par des vols commerciaux. Continuez à croire à ces menteurs de Français qui selon eux, sont les seuls bons sur terre et les autres des démons », ou encore « Jamais la France n’a fait cela, comment détester la Russie après ça », « merci Poutine » etc… beaucoup de réactions pro-russes et hostiles à la France, dans ce pays où Moscou ne ménage pas ses efforts dans la divulgation de contenus internet mensongers. En fait, il est difficile de connaître précisément l’origine de cette infox. C’est un exemple parmi d’autres, venant alimenter un narratif pro-russe qui ne s’embarrasse pas de la réalité factuelle, et de façon concomitante, promeut un récit anti-onusien, et anti-français. Ces sites internet et page Facebook multiplient les diatribes contre l’ONU et la Minusca, que la France est accusée d’avoir corrompue. De fausses informations circulent annonçant le remplacement de Mankeur Ndiaye, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU et chef de la MINUSCA, voir même son décès, non avéré.
Implication de l’extrême droite européenne

Comment se répandent ces infox ? On observe une nébuleuse de médias en ligne, propageant des thèses complotistes, comme Afrique Media, où l’on voit fréquemment intervenir l’activiste belge d’extrême droite Luc Michel, membre de groupes néo-nazis actifs en Europe et en Afrique au service des intérêts russes. Au lendemain de la parution d’une enquête de RFI sur les exactions des « instructeurs » russes contre des civiles en RCA, l’ambassadeur de Russie en RCA Vladimir Titorenco poste sur sa page Facebook, l’entretien qu’il a accordé à afriquemediatv. Dans cette interview, tout comme dans son communiqué, il conteste les accusations de violences commises par des supplétifs russes, après avoir pris soin de préciser que les instructeurs incriminés « ne sont pas des forces régulières ». Ce qui permet de s’interroger : si l’État russe n’a rien à voir avec ces mercenaires, pourquoi vouloir étouffer les accusations de viol et autres témoignages bien réels sur les violences que ces hommes sont suspectés d’avoir commises ?