Dissolution de la junte au Mali: l’armée plus que jamais au cœur du pouvoir?

Le Conseil national pour le salut du peuple formé par les militaires qui ont renversé en août dernier le régime contesté d’Ibrahim Boubacar Keïta a été officiellement dissous par un décret daté du 18 janvier, signé notamment par le président de transition Bah Ndaw et le Premier ministre Moctar Ouane. Mais est-ce que les militaires ont pour autant quitté les arcanes du pouvoir?

La dissolution de cet organe cinq mois après le putsch qui a renversé le président IBK était une exigence de la CEDEAO.

Sous la pression l’organisation sous régionale, les militaires avaient mis en place des organes de transition –présidence, primature, gouvernement, organe législatif.

Ils s’étaient aussi engagés à rendre le pouvoir à des dirigeants civils issus d’élections après 18 mois, sans toutefois promettre la dissolution du CNSP.

Qu’est ce qui change avec la dissolution du CNSP

Dans les faits, la disparition du Comité nationale pour le salut du peuple (CNP) ne signifie pas la fin de la présence des militaires à tous les niveaux des instances de décisions.

Au sein du gouvernement, tous les postes régaliens sont confiés au membres de la junte.

Le colonel Assimi Goïta, à la tête du coup d’Etat et qui était jusque-là chef de la junte, est le vice-président de la Transition depuis le 25 septembre 2020.

Les ministères de la Défense, de la Sécurité, l’Administration territoriale et la Réconciliation nationale sont dirigés par des officiers supérieurs de l’armée.

Le Conseil National de transition(CNT), qui sert d’organe législatif de transition est aussi présidé par un membre de l’ancienne junte, Colonel Malick Diaw.

Le colonel-major Ismaël Wagué est à la tête du département de la Réconciliation nationale.

Le colonel Modibo Koné, est à la tête du ministère de la Sécurité et de la Protection civile alors que le colonel Abdoulaye Maïga, dirige celui de l’Administration territoriale.

L’analyste politique Alexy Kalambri souligne que “le problème avec la classe politique c’est qu’elle ne comprend pas les multiples nominations de militaire dans les hautes fonctions de l’administration publique”.

Une Administration en uniforme

A la suite d’un redécoupage administratif, le nombre de régions est passé de 15 à 20. Treize militaires proches du colonel Goïta, le vice-président et homme fort de l’ex junte, et sept civils ont été nommés gouverneurs de ces régions. Dans les services déconcentrés et décentralisés, les militaires font une entrée en force.

Des officiers ont été nommés comme préfets notamment à Abeibara, et Achibogho, et sous-préfets dans plusieurs arrondissements du Nord du pays.

Les militaires, estime Alexy Kalambri, gardent “la main mise sur l’appareil de l’état et sur la haute administration”.

Une situation que dénonce le syndicat national des Administrateurs civils. “De mémoire d’administrateur civil, il n y a jamais eu autant de volonté de militariser l’administration civile qu’aujourd’hui sous cette transition”, s’indigne Ousmane Christian Diarra, secrétaire général dudit syndicat.

Le ministre de l’Administration territoriale, le colonel Abdoulaye MAIGA évoquait pour expliquer le recrutement de militaires au postes de représentants de l’Etat, une insuffisance de personnels due aux départs massifs á la retraite et à l’absence de recrutement de nouveaux agents, entre autres.

Ousmane Christian Diarra y voit plutôt “un alibi monté de toute pièce pour justifier la volonté de récompenser les putschistes”.

Le secrétaire général du syndicat affirme que le Mali dispose de 971 administrateurs civils qualifiés pour occuper les postes à pourvoir par le gouvernement.

A son arrivée en août de l’année dernière, la junte avait promis une “transition politique civile”. Aujourd’ hui nombre d’observateurs s’ interrogent.

Mountaga Tall pointe du doigt un régime militaire ou les ex putschistes “tiennent tous les leviers importants de l’Etat”.

La BBC a contacté plusieurs personnalités politiques maliennes qui se disent opposées à la junte mais qui souhaitent garder l’anonymat.

Elles notent que la pauvreté, les inégalités, la corruption et l’insécurité qui avaient poussé des milliers de personnes dans les rues et qui avaient eu raison du régime de l’ex-président IBK ne semblent pas avoir trouvé de solutions.

“Nous voyons aujourd’hui toutes sortes d’atteintes aux libertés, et qu’il n’y a aucune action résolue pour y mettre un terme. L’impunité demeure la règle. L’insécurité s’aggrave, la corruption tout autant, l’état de droit est bafoué”, conclut Mountaga Tall de M5 RFP.