Nigeria : la bataille contre les « SIM fantômes »

STRATÉGIE. Pour lutter contre le terrorisme, les autorités ont imposé que toutes les lignes téléphoniques soient clairement identifiées.

Dans la lutte contre le terrorisme, le Nigeria veut au moins gagner la bataille contre les « SIM fantômes ». Jusqu’à présent, les données personnelles et les informations biométriques étaient collectées séparément par une douzaine d’agences fédérales et par des agences étatiques.

Depuis une dizaine d’années, le gouvernement essaie de centraliser toutes ces informations avec le projet du numéro d’immatriculation unique (NIN). En effet, dans le contexte d’insécurité globale avec un groupe Boko Haram toujours actif, Abuja estime qu’une carte nationale d’identité dotée d’un numéro d’immatriculation permettrait de lutter contre le terrorisme en plus de mieux planifier les politiques publiques budgétaires. Car il a été prouvé et pas seulement au Nigeria que les terroristes se servaient de lignes téléphoniques non identifiées pour perpétrer des attentats. Logique, car si les autorités mettaient la main sur leur téléphone, elles ne pouvaient en général pas remonter jusqu’à eux.
La difficulté de s’enregistrer dans le contexte du Covid-19

Le gouvernement a donc poussé les opérateurs mobiles à bloquer les cartes SIM de ceux n’ayant pas de numéro national d’identité au 9 février. Mais le défi est immense dans ce pays où le nombre de cartes SIM actives s’élève à 208 millions, pour 206 millions d’habitants. « Si je n’ai pas de téléphone, je ne fais pas d’argent », résume Raphael Ajih, 38 ans, qui craint de voir sa ligne suspendue. Au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, de nombreux habitants comme Raphael Ajih sont en colère : ils tentent de s’inscrire pour obtenir ce numéro, mais se heurtent à des jours d’attente dans les centres d’inscription, souvent bondés en dépit des cas de contamination au Covid-19 en hausse dans le pays. Raphael Ajih vend des marchandises via WhatsApp et Amazon et est chauffeur Uber dans la capitale Abuja – des emplois qui lui permettent de soutenir financièrement ses deux jeunes frères et sa sœur ainsi que les membres de sa famille élargie. Il envoie de l’argent à ses proches par transfert téléphonique, une démarche qu’il ne pourra plus faire s’il n’obtient pas un NIN. Il a déjà tenté deux fois de s’inscrire, mais a été refroidi par la foule qui attendait, très souvent sans porter de masque et sans respecter la distanciation physique. « Le Covid est une réalité, et ils disent aux gens d’y aller, et il n’y a pas de contrôle », déplore-t-il, après avoir décidé de ne pas se mêler à la foule. « Si je tombe malade, je ne fais pas d’argent, donc ma santé passe en premier », dit-il. Le ministre nigérian de la Santé n’a pas répondu aux questions de l’AFP sur la situation dans les centres d’inscription et le porte-parole de la Commission chargée de la mise en place du numéro national d’identité (NCC) a décliné tout commentaire.

Les opérateurs télécoms, des acteurs clés de la lutte contre le terrorisme

Outre la foule, de nombreux Nigérians se sont plaints d’une procédure d’inscription trop lente et trop compliquée. C’est la Commission des communications (NCC), l’autorité de régulation indépendante pour les télécoms au Nigeria, qui a été chargée de faire le ménage. Récemment, à l’extérieur de l’hôtel Grand Ibro qui a alloué un espace pour s’inscrire, des hommes et des femmes de tous âges attendaient assis sur le trottoir. Tandis qu’un homme s’avançait en hésitant vers l’entrée pour appeler un nom écrit sur un bout de papier sale, un homme dans la foule s’est mis à crier. « Ils disent qu’ils peuvent seulement recevoir 50 personnes par jour, alors qu’on est des milliers à attendre ici, ce n’est pas juste ! » s’est emporté cet homme, Ugochukwu Ofor. « C’est très, très, très difficile. C’est la septième fois que je viens ». « Je viens de Suleja [situé à 70 kilomètres]. Je suis arrivé vers 5 h 15 ce matin à Abuja et je ne sais toujours pas si je vais pouvoir m’inscrire. Ce n’est pas juste ! » « Oui ! Il a raison ! » a clamé la foule autour de lui. « C’est très frustrant. J’ai laissé mes enfants à la maison, je n’ai pas pu les amener à l’école aujourd’hui », confiait, pour sa part, Otitoju Funmi.

Dans un centre d’inscription où s’est rendue l’AFP, à Karu, une cinquantaine de personnes attendaient dehors dans la chaleur tandis qu’à l’intérieur, dans une pièce de 12 mètres carrés, seuls deux employés étaient disponibles pour taper les données des habitants sur de vieux ordinateurs. Dans un communiqué, la Commission des communications a indiqué que « relier le NIN à la carte SIM est pour le bien de tous les Nigérians » et aura « des bénéfices considérables ». Deux semaines avant le 9 février, entre 16,8 et 64,6 millions devaient encore être reliées à un numéro national d’identité, selon les données publiées par la NCC, quitte à infliger de lourdes sanctions aux opérateurs, comme ce fut le cas en 2015. Le régulateur nigérian avait alors infligé une amende de 5,2 milliards de dollars au géant de la téléphonie mobile MTN pour n’avoir pas désactivé à temps les cartes SIM dont les détenteurs ne s’étaient pas identifiés dans le temps imparti.