Mozambique: Pemba, la plage refuge de milliers de déracinés

Une baie interminable, des palmiers penchés et des bateaux de pêche longilignes aux couleurs pimpantes: la plage de Pemba n’accueille pas de touristes mais des milliers de Mozambicains fuyant les persécutions de groupes armés jihadistes.

Depuis plusieurs mois et semaines, des familles arrivent sur des embarcations bondées, avec de rares affaires emportées dans leur exode.

Leurs tourmenteurs, des hommes armés qui ont fait allégeance à l’État islamique en 2019, incendient les villages, exécutant les hommes, emportant des jeunes filles. De la zone côtière, stratégique en raison d’installations gazières, ils poursuivent leurs attaques vers l’intérieur des terres.

Pemba, capitale de la province de Cabo Delgado (nord), à majorité musulmane, comptait 200.000 habitants avant la crise. Aujourd’hui quasiment le double.

Selon les estimations, quelques 150.000 personnes “déplacées” par la crise, c’est-à-dire réfugiées dans leur propre pays, sont arrivées, cherchant refuge auprès de leur famille mais le plus souvent sans point de chute.

La pression s’accroît sur les autorités locales pour faire face à cet afflux. “Eau, soins médicaux, collecte d’ordures et questions d’hygiène…”: le maire de Pemba égrène une longue liste de défis à relever.

“Beaucoup plus de gens font de la vente informelle”, achetant des biens de première nécessité pour les revendre à petit profit, “car ceux qui restent ici doivent trouver un moyen de subsistance”, explique Florete Simba à l’AFP.

Cette crise oblige le maire à “réaffecter des ressources” prévues ailleurs. “Nous avons organisé des transports de Pemba vers plusieurs camps” mis en place dans les alentours, avec l’aide d’ONG. Et installé des toilettes de chantier à Paquitequete, plus vieux quartier de la ville situé juste derrière la plage.

  • “On partage ce qu’on a” –

Le maire constate une augmentation de petits délits, liés à cet afflux de personnes ayant tout perdu. Mais il s’inquiète surtout que parmi eux se trouvent des jihadistes se faisant passer pour des “déplacés”.

Il a ainsi mis en place un comité de sécurité au sein duquel policiers et autorités locales enregistrent les arrivées.

La réalité est évidemment plus poreuse. “Sur la plage, quand les bateaux arrivent, certains donnent un petit billet aux policiers et ça passe”, raconte un témoin à l’AFP. “Les tueurs ont la tête de tout le monde. Je préfèrerais qu’on vérifie”.

A l’opposé, ceux qui hébergent des “déplacés” n’ont pas d’états d’âme: “J’accueille une famille nombreuse”, raconte Sani Bernardo, 36 ans. “Il n’y a pas assez pour nourrir tout le monde mais nous sommes des êtres humains, alors on les reçoit, sans discrimination, et on partage ce qu’on a”.

Fulcane Saide, 25 ans, travaille dans une pêcherie. Paquitequete c’est chez lui. Il dit ressentir “de la fraternité” pour les gens perdus qui débarquent sur sa plage.

“On s’entend bien, nos parents viennent aussi de ces zones qu’ils fuient”, dit-il. “Nous les hébergeons sans appréhension parce que nous savons qu’ils sont dans le besoin. Si ce n’était pas le cas, ils ne seraient pas là”.

Certains déracinés parviennent à gagner un peu leur vie. Suleimane Saíde, 49 ans, est arrivé il y a trois mois avec sa famille de la zone de Mocímboa da Praia. “Quand ils (les groupes armés) ont attaqué mon village, ils ont pris ma fille”, confie-t-il.

“Nous avons été accueillis par une famille et j’ai décidé de travailler comme menuisier pour voir si ça pouvait me permettre de nourrir les miens”, dit-il, sculptant un morceau de bois destiné à un bateau de pêche. “Mais je n’oublie rien. Je ne dors pas. Ma tête me fait mal. Il faut arrêter cette guerre”.