Guerre en Ethiopie : où en est le conflit dans la région du Tigré ?

Un conflit armé a éclaté le 4 novembre entre le gouvernement et le Front de libération du peuple du Tigré, plongeant la région du nord du pays dans une crise humanitaire, qui implique les Etats voisins.

Depuis le 4 novembre en Ethiopie, le petit Etat régional du Tigré est plongé dans un conflit qui oppose le gouvernement fédéral du premier ministre Abiy Ahmed, Prix Nobel de la paix 2019, et le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). La zone, située à 700 kilomètres au nord de la capitale, Addis-Abeba, et qui compte 6 millions d’habitants, est depuis coupée du monde.

Après avoir annoncé, le 28 novembre, la prise de Makalé – capitale du Tigré – à la suite de violents combats, le gouvernement éthiopien a déclaré ouvrir la voie aux ONG, empêchées jusqu’à lors de se rendre sur place. Mais l’accès est très compliqué pour les organisations humanitaires, qui dénombrent des centaines de morts et près de 50 000 réfugiés au Soudan voisin. Un déplacement de population sans précédent depuis deux décennies, selon les Nations unies. La communauté internationale craint que le conflit ne s’enlise et ne déstabilise toute la Corne de l’Afrique.

Selon le gouvernement éthiopien, c’est l’attaque par des forces du Tigré, le 3 novembre, de plusieurs positions de l’armée fédérale qui expliquerait sa violente réplique, estimant que les autorités tigréennes ont franchi « la dernière ligne rouge » après une série de provocations. Les autorités locales tigréennes, de leur côté, avaient répété que le mandat du premier ministre et des autorités fédérales venaient d’expirer, faute d’avoir vu se tenir des élections générales courant 2020 – repoussées à 2021 à cause de la pandémie de Covid-19.

Le Tigré a décidé d’aller à l’encontre de l’avis de l’Etat fédéral et a maintenu ces élections en septembre. Une prise de position qui a irrité Addis-Abeba, où des responsables électoraux ont clamé en juin que le scrutin au Tigré n’avait « pas de base légale » et où le Sénat a déclaré ces élections « nulles et non avenues ». Pour sanctionner les dissidents, le ministère des finances a transféré une allocation budgétaire – normalement destinée aux dirigeants de Makalé, la capitale de la région – aux administrations locales du Tigré. Les autorités du Tigré ont jugé la décision inconstitutionnelle car, contraire au pacte fédéral éthiopien, elle « équivaudrait donc à une déclaration de guerre ». Le conflit est alors amorcé.

Mais ce conflit à des racines bien plus profondes. Depuis avril 2018, date à laquelle le premier ministre Abiy Ahmed a pris ses fonctions – mettant fin à la prédominance du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), au sein de la coalition au pouvoir depuis 1991 –, les tensions s’intensifient entre Addis-Abeba et Makalé.

M. Abiy a rapidement expulsé de nombreuses personnes nommées par le TPLF des institutions fédérales et transformé la coalition en Parti de la prospérité, auquel le Front a refusé de se joindre. Cette décision va à l’encontre des discours de campagne, avec un accent sur l’unité nationale, qui ont largement contribué à le faire élire.

Un conflit opaque

Lundi 7 décembre, le gouvernement éthiopien a annoncé la fin de l’offensive militaire de ses troupes. Mais dans les faits, plus d’un mois après le déclenchement du conflit, la province du Tigré reste prise au piège des combats et commence à manquer de tout. Dans cette région du nord de l’Ethiopie, où vivent 6 millions d’habitants, il reste difficile de se rendre compte de l’ampleur des violences, car très peu d’informations parviennent aux yeux du monde : toutes les routes et communications ont été coupées.

L’administrateur provisoire du Tigré, Mulu Nega, nommé par le pouvoir central, a de son côté déclaré que la paix était revenue dans la région. Un scénario bien éloigné des scènes que décrivent au Monde les personnes en fuite vers le Soudan. Les réfugiés tigréens évoquent des persécutions et des scènes de massacre, ainsi que la présence de troupes érythréennes pour renforcer l’action de l’Ethiopie.

Les Etats-Unis ont jugé vendredi 11 décembre « crédibles » et « graves » les informations sur la présence de troupes érythréennes au Tigré. Une rumeur qui inquiète également la communauté internationale depuis plusieurs semaines. Car l’Ethiopie et l’Erythrée ont été en guerre pendant près de cinquante ans et n’ont trouvé la paix qu’en 2018 après l’élection d’Abiy Ahmed. Les observateurs s’inquiètent d’une résurgence des tensions entre les deux parties.

Une situation humanitaire « très inquiétante »

Le Tigré est privé d’aide et de tout approvisionnement depuis que le premier ministre y a envoyé le 4 novembre l’armée fédérale pour chasser les dirigeants de la région. « Il est extrêmement compliqué de déterminer le nombre de blessés et de morts, indique un représentant de l’ONG Amnesty International. La situation humanitaire y est très inquiétante. »

Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a annoncé, mercredi 9 décembre, qu’un accord avait été trouvé entre l’ONU et l’Ethiopie, qui a longuement empêché l’accès aux ONG malgré la pression internationale. Il vise à organiser des missions conjointes d’évaluation au Tigré afin d’acheminer de l’aide humanitaire. Cet accord permettra « de s’assurer qu’il y a un total accès à l’ensemble du territoire et une pleine capacité à débuter des opérations humanitaires fondées sur des besoins réels et sans aucune discrimination possible », a ajouté Antonio Guterres. Un premier convoi est arrivé à Makalé samedi.Près de 50 000 personnes ont fui les combats pour se réfugier au Soudan voisin et ont été réinstallées dans des camps, notamment celui d’Um Rakuba, à environ 70 km de la frontière. Mais beaucoup restent également autour d’un point de transit de réfugiés à Hamdayet, dans l’espoir de rentrer chez eux ou de retrouver leur famille une fois qu’ils seront en sécurité. « Ce rythme des arrivées de réfugiés éthiopiens au Soudan n’a jamais été vu au cours des deux dernières décennies », assure l’Agence des Nations unies pour les réfugiés. Depuis le 10 novembre, près de 4 000 femmes, hommes et enfants traversent la frontière par jour, ce qui accable rapidement la capacité d’intervention humanitaire sur le terrain.