« Ils les ont décapités un par un » : au Mozambique, la terreur des rescapés des attaques djihadistes

Depuis trois ans, les groupes armés qui sévissent dans la province de Cabo Delgado ont tué plus de 2 400 personnes, dont la moitié de civils.

« Mon mari, mon fils, mon beau-frère, tous ont été décapités » par les groupes armés djihadistes qui sèment la terreur dans le nord du Mozambique depuis trois ans. Rabia Ali, grand-mère aux yeux hagards, dit son chagrin d’un ton monocorde. Comme si le choc de cette violence avait enfermé ses émotions, son regard reste sec, absent. Ça s’est passé il y a presque un an. Comme si c’était hier.

« J’ai réussi à m’échapper. Maintenant je suis ici, à Metuge », raconte-t-elle à l’AFP, plantée devant sa tente dans le camp du 25-Juin, qui héberge 16 000 déracinés comme elle. Selon le gouvernement, les déplacés sont désormais quelque 500 000 dans la province de Cabo Delgado (nord-est). Et les groupes armés ont tué plus de 2 400 personnes, dont la moitié de civils, selon l’ONG Acled, qui répertorie déjà plus de 700 attaques.

Cette femme de 50 ans a quitté en février sa région de Quissanga. Elle a marché deux jours vers ce camp situé 60 km au nord, non loin de Pemba, capitale de la province. Ce qui la préoccupe aujourd’hui, c’est de savoir comment elle va pouvoir manger, avec les trois enfants et trois petits-enfants qui partagent sa tente offerte par le Programme alimentaire mondial (PAM). Deux de ses fils bénéficient de rations, qu’ils partagent en famille. C’est tout.

Les décapitations, comme le fait d’incendier les villages attaqués, sont devenues l’une des signatures des djihadistes qui terrorisent cette région riche en ressources gazières. Le mois dernier, des assaillants ont ainsi décapité et démembré cinq hommes et quinze adolescents qui participaient à un rite d’initiation. En avril, une cinquantaine de jeunes avaient été fusillés et décapités, apparemment pour avoir refusé de rallier les groupes armés.
« Je ne peux ni manger ni dormir »

Muanassa Amulia, 64 ans, a été battue et forcée d’assister à une série de décapitations dans son village. Elle pleure à chaudes larmes, inconsolable, en faisant le récit de sa tragédie. Son fils a été tué, décapité lui aussi, et, tourment sans fin, deux de ses petites-filles ont été enlevées. Chemisier bleu à fleurs et « capulana » assorti – un tissu traditionnel noué autour de la tête –, cette grande femme digne, fine, a fui sa région pour échapper aux tortionnaires.

Elle se trouvait dans les champs avec une dizaine de villageois quand les hommes armés sont arrivés, un jour de septembre. Ils les ont regroupés, avant de les mener dans le village, où le feu dévorait déjà leurs maisons. « Ils ont isolé les vieilles femmes et nous ont battues. Puis ils ont emmené un homme à cinq mètres et lui ont coupé la tête. Puis d’autres, décapités un par un », raconte-t-elle, reprenant son souffle, se tordant les doigts d’angoisse.

Les joues trempées, elle termine : « Ils m’ont demandé ce que je faisais là, j’ai dit que j’étais revenue dans les champs parce que j’avais faim. Ils se sont lassés, ont recommencé à me battre avec un bâton, frappant fort, longtemps. Enfin ils sont partis, emmenant deux filles. Mes petites-filles. » A partir de là, « mon cœur n’a jamais été bien ». « Quand j’y pense, je ne peux ni manger ni dormir. Je ne sais pas si les filles sont vivantes. Je prie tous les jours. Je demande à Dieu qu’elles puissent revenir mais il ne se passe rien », ajoute-t-elle, rageant contre son impuissance.