Burkina Faso : les Burkinabè ont voté, malgré la menace djihadiste

VOTE. Ce dimanche, près de 6,5 millions de Burkinabè étaient appelés à choisir leur président et leurs députés. Un double scrutin sous haute surveillance.

Dimanche 22 novembre, quelque 6,5 millions de Burkinabè se sont rendus aux urnes pour élire à la fois leur nouveau président et leurs députés. Jusqu’au dernier moment, le pays aura vibré au rythme de la campagne et des préparatifs. Au total, 21 155 kits de matériel, notamment les bulletins de vote et les procès-verbaux, ont été distribués. Pour organiser ces élections, le budget a été révisé à 90 milliards de francs CFA soit 13 millions d’euros.

Treize candidats, dont le président sortant Roch Marc Christian Kaboré, sont en lice. Concernant le scrutin législatif, 96 partis, cinq formations politiques et 25 regroupements d’indépendants, soit 10 652 candidats, se disputent les sièges.

10 600 observateurs internationaux et nationaux ont été déployé sur le terrain avec pour objectif essentiel de s’assurer du bon déroulement du processus électoral en vue d’une élection libre, transparente et crédible. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, qui a déployé 80 observateurs a appelé les candidats à éviter de faire des auto-proclamations. « Tant que le dépouillement n’est pas terminé, tant que la compilation est en cours, il vaut mieux éviter de faire des auto-proclamations », a conseillé le commissaire aux affaires politiques, paix et sécurité de l’institution sous-régionale, le général Francis Behanzin.

La Ceni a assuré qu’elle tâchera de proclamer les premiers résultats du scrutin au lendemain du double scrutin, soit le 23 novembre, comme ce fut le cas lors des élections de 2015. Une idée rejetée par l’opposition politique qui estime que procéder de la sorte « c’est courir le risque de faire des erreurs et de semer les graines d’une crise postélectorale ».

Une journée de vote dans le calme…

Dans la capitale Ouagadougou, plusieurs bureaux de vote ont ouvert leurs portes très tôt dans la matinée, aux alentours de 6 h GMT. « Je suis venu voter tôt, à l’ouverture, parce que j’ai des courses à faire plus tard », a dit Félix Ouédraogo, interrogé par l’Agence France Presse dans la queue d’un autre bureau.

« J’attends beaucoup de bonnes choses pour le pays à venir : d’abord un président qui sera à la hauteur de la situation sécuritaire et aussi des députés qui vont voter des lois à même de nous apporter le développement », a témoigné à la sortie de son bureau de vote dans la capitale Christian Koula.

« On attend beaucoup de la sécurité. On sait que ce n’est pas facile mais on aimerait qu’il y ait la paix, qu’il y ait le pardon entre les Burkinabè et qu’on puisse vivre ensemble tranquille », a estimé Abdoulaye Koula, un autre électeur de Ouagadougou.

    Not everyone has the opportunity to make it to a polling station. The government of incumbent President @rochkaborepf says that nearly half of the country's 13 regions have little or no access to voting booths due to violence. #BurkinaFaso #BurkinaVote2020 @dw_francais @dwnews pic.twitter.com/dorCiTVLog
    — Fanny Facsar (@FannyFacsar) November 22, 2020 

À Bobo-Dioulasso, capitale économique dans l’ouest du pays, des témoins sur place ont assuré que le vote a débuté dans plusieurs bureaux avec quelques minutes de retard dans certains quartiers.
…mais sous la menace djihadiste

Le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), a expliqué que tout avait été mis en œuvre pour régler les difficultés liées au démarrage. Seul bémol, un « certain nombre de bureaux de vote » ont dû être fermés, à cause de « menaces » alors que le pays en proie aux attaques djihadistes incessantes, a ajouté le président de la Commission électorale, Newton Ahmed Barry.

« Il y a un certain nombre de bureaux de vote qui avaient ouvert dans l’Est et dans d’autres régions qui ont dû fermer en raison des menaces », a-t-il dit sans plus de précision sur le nombre de bureaux fermés et la nature de ces menaces. « Des individus ont interdit des populations de prendre part au vote », a-t-il dit lors d’un bilan à la mi-journée, estimant néanmoins que « dans l’ensemble (…) tout se passe bien ».

La fermeture de bureaux de vote a été confirmée à l’AFP par une source sécuritaire dans l’Est : « compte tenu des menaces d’individus armés, ils (bureaux) ont refermé ».

Dans certaines localités de l’Est et du Nord, les régions les plus touchées par les attaques, « on a dit à des populations que celui qui plonge son doigt dans l’encre indélébile peut dire adieu à son doigt », toujours selon Newton Ahmed Barry.

À Arbinda, dans le Nord où 42 personnes avaient été tuées en décembre 2019, « en temps normal, on a cent bureaux de vote mais on a pu (en) ouvrir 25 » seulement, a déclaré M. Barry à la presse.

À Tin-Akoff (Oudalan), où 14 soldats ont été tués dans une embuscade durant la campagne électorale, aucun bureau de vote n’a ouvert.

« Si le vote devrait avoir lieu sans trop d’accrocs [à Ouagadougou], il sera très certainement perturbé dans certaines zones rurales », avait estimé International Crisis Group (ICG).

Dans certains endroits du nord du pays, « il n’y a pas d’élection, et c’est loin d’être la priorité des populations qui cherchent d’abord à éviter de se faire tuer », souligne un observateur de la région de Dori (Nord).
L’opposition ne lâche rien

Jusqu’au dernier moment, l’opposition a fait monter la pression, dénonçant une « fraude massive » en préparation par le pouvoir et menaçant de ne pas reconnaître les résultats en cas de victoire au premier tour du président sortant Kaboré. Le chef de file de l’opposition Zéphirin Diabré, principal challengeur du président sortant, et cinq autres candidats ont dénoncé lors d’un point de presse à Ouagadougou des fraudes dans l’organisation du double scrutin présidentiel et législatif de dimanche. « Il est clair qu’il y a une grande opération orchestrée par le pouvoir en place d’une fraude massive pour légitimer » une victoire au premier tour du président Kaboré, a-t-il déclaré, menaçant de ne « pas accepter des résultats entachés d’irrégularité ».

« Il est absolument inconcevable, après avoir parcouru tout le Burkina Faso, de penser avoir un parti gagnant dès le premier tour », a-t-il encore martelé, avec à ses côtés Eddie Komboïgo, candidat du parti de l’ancien président Blaise Compaoré et présenté comme le troisième homme du scrutin.

Le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) de Blaise Compaoré, qui avait été interdit de scrutin en 2015, est en effet de retour, l’ex-président semblant bénéficier d’un certain retour en grâce dans l’opinion publique burkinabè. Depuis sa chute, en 2014, il vit en exil à Abidjan (Côte d’Ivoire), où Alassane Ouattara lui a accordé la nationalité ivoirienne.

Le clan Kaboré a promis, comme en 2015, une victoire au premier tour de ce scrutin considéré comme le plus ouvert de l’histoire du Burkina, pays agricole et minier très pauvre d’Afrique de l’Ouest, qui a connu de multiples coups d’État depuis son indépendance. « L’heure est au vote et non aux polémiques. Aujourd’hui, ce que je voudrais simplement dire, c’est que je suis venu voter, un acte citoyen et j’appelle tous les Burkinabés, quelles que soient leurs tendances, à ne pas faire preuve de paresse parce qu’il s’agit de la démocratie du Burkina Faso, du développement du Burkina Faso et de la paix dans notre pays », a déclaré le président sortant Roch Marc Christian Kaboré après avoir voté à l’école primaire Patte d’Oie B, à Ouagadougou.

    Mes chers compatriotes.
    J'ai accompli ce dimanche matin mon devoir citoyen en exprimant mon choix dans les urnes.
    Je vous invite tous à voter massivement pour renforcer la maturité démocratique de notre pays.#BurkinaVote2020 pic.twitter.com/BJ8nWJIvaA
    — Roch KABORE (@rochkaborepf) November 22, 2020 

Plusieurs autres candidats à la présidentielle ont également accompli leur devoir électoral. Parmi eux, Zéphirin Diabré, le chef de file de l’opposition, qui a voté dans la matinée à Ouagadougou. Le candidat Tahirou Barry a voté à de l’école Nonglom de Toudoubweogo, dans la capitale. Quant au candidat de l’ex-parti au pouvoir, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), Eddie Komboïgo, il a lui aussi voté dans la matinée.

    #BurkinaVote2020

    Le candidat du CDP Eddie Komboïgo vient de s'acquitter de son devoir citoyen.

    "Je suis venu accomplir un devoir patriotique", a laissé entendre le candidat qui a voté au bureau N° 3 à l'école primaire Bogodogo à Zogona.

    En direct ➡️ https://t.co/o4Dw94EITz pic.twitter.com/UFaphX1NDd
    — Burkina 24 (@burkina24) November 22, 2020 

Kaboré à la recherche du « coup KO »

Une victoire « un coup KO » permettrait à M. Kaboré d’éviter un second tour contre un candidat soutenu par l’ensemble de l’opposition, une « hantise », selon le professeur de sciences politiques Drissa Traoré cité par l’Agence France Presse.

En 2015, le parti « avait réussi cet exploit [d’une victoire au premier tour], mais c’était surtout grâce à son faiseur de rois », le défunt président du parti présidentiel Salif Diallo, réputé stratège politique, décédé en 2017. Il n’y a jamais eu de second tour dans une élection présidentielle au Faso jusqu’à présent.

Vendredi, lors de son dernier meeting de campagne, le président Kaboré avait raillé ces accusations de fraude, déjà évoquées par M. Diabré : « Comment peut-on anticiper des fraudes ? » s’était interrogé le président devant des dizaines de milliers de militants.

Il avait moqué « ceux qui ne savent même plus comment des élections se passent ».

Cette montée en pression samedi se produit après une campagne sans entrain véritable, hormis la maigre effervescence des meetings où la présence de milliers de personnes était « motivée » par un petit billet, racontent nos confrères de l’AFP.

La sécurité, l’enjeu majeur des élections

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a salué vendredi le « climat de respect mutuel durant le processus électoral » alors que le Burkina Faso vit ses heures les plus sombres depuis l’indépendance, miné par des attaques de groupes djihadistes qui ont fait au moins 1 200 morts en cinq ans.

Tout le Burkina Faso est en zone rouge pour le Quai d’Orsay, à l’exception de la capitale.

La présidence Kaboré n’a pas réussi à enrayer cette spirale depuis les premières attaques en 2015. « Le diagnostic a été mauvais et la réponse n’a pas été adéquate ni adaptée », estime le spécialiste des questions de sécurité Mahamoudou Sawadogo.

Au Burkina Faso, comme au Mali et au Niger voisins, les violences djihadistes ont aussi dégénéré en affrontements intercommunautaires. L’amalgame entre les populations peules et le djihadisme est répandu. Des ONG ont dénoncé des massacres de civils peuls par des milices progouvernementales ou l’armée, et les exactions d’une communauté entraînent des représailles de l’autre.

Le choix du tout-sécuritaire a été fait, mais l’armée burkinabè, mal équipée et mal entraînée, va de pertes en pertes, malgré quelques succès revendiqués. La question d’un possible dialogue avec les groupes djihadistes, très présente au Mali, a fait débat durant la campagne, le président Kaboré étant contre, ses challengeurs se prononçant à la quasi-unanimité pour.

Une des solutions proposées par le chef de l’État sortant a été la création début 2020 de milices villageoises encadrées par l’État, les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP).

Leur rôle dans la sécurisation du scrutin de ce dimanche reste flou : le parti présidentiel « pourrait être accusé d’utiliser ses troupes » pour encourager à voter Kaboré, dit une source diplomatique occidentale à Ouagadougou. À côté de ce possible dispositif, des membres de forces de sécurité, dont le nombre n’a pas été révélé, ont été déployées dans tout le pays.

En attendant, le nombre de personnes déplacées du fait de ces attaques a augmenté de façon exponentielle en deux ans jusqu’à atteindre le million, soit 5 % de la population burkinabè, des pans entiers du territoire échappant au contrôle de l’État.

Ce scrutin est également inédit, puisque les Burkinabè résidant à l’étranger ont pu participer au vote, pour la première fois dans l’histoire du pays.