Côte d’Ivoire : à l’approche de l’élection présidentielle, la jeunesse veut se faire entendre

Des jeunes gens de tous les bords politiques venus débattre des « mouvements de protestation de la jeunesse » : face à une telle assistance, Blandine Angbako savait qu’elle allait devoir user de toute son autorité et de son agilité de militante de la société civile pour tenir son rôle de modératrice.

Mais qu’importe si le ton est parfois monté, transformant les échanges en règlements de compte. « L’objectif est atteint », se félicite Mme Angbako. A quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle prévu le 31 octobre, « les jeunes Ivoiriens dialoguent, ils se parlent les yeux dans les yeux plutôt que d’aller dans la rue pour se taper dessus », se réjouit cette juriste.

Depuis que le président Alassane Ouattara a confirmé début août son intention de briguer un troisième mandat, des violences ont éclaté dans différentes villes du pays. Le bilan – une quinzaine de morts, principalement des jeunes hommes – est lourd. La tension ne risque pas de retomber de sitôt alors que l’ancien président, Henri Konan Bédié, a appelé dimanche 20 septembre, au nom de l’opposition, à la « désobéissance civile » face à la « forfaiture » de la candidature controversée d’Alassane Ouattara.

Des échauffourées ont eu lieu ces derniers jours dans plusieurs localités après l’annonce du Conseil constitutionnel, lundi 14 septembre, de la liste des candidats retenus pour le scrutin.
Refus d’être « instrumentalisé »

Tour à tour, le pouvoir en place et l’opposition ont accusé des « jeunes » d’être les instigateurs autant que les premières victimes de ces violences. Excédée de se sentir manipulée, une partie de cette génération a décidé de prendre les devants et multiplie les actions d’éducation civique et les appels à la non-violence.

L’objectif est clair : se choisir le rôle qu’elle veut jouer dans ce contexte préélectoral tendu. D’autant plus que les deux principaux candidats, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, sont respectivement âgés de 78 et 86 ans… Ce qui n’empêche pas les deux rivaux de se présenter comme les « candidats de la jeunesse ».

« A défaut d’avoir une place sur l’échiquier politique, on veut mettre la jeunesse au cœur du processus électoral », explique Ben Coulibaly, l’un des responsables de l’antenne ivoirienne du Forum de la société civile d’Afrique de l’Ouest (Foscao). Agé de 30 ans, il refuse d’être, une fois encore, « instrumentalisé », ou « réduit, comme du bétail, à un simple rôle d’électeur docile ».

En l’espace de quelques semaines, son organisation a lancé sur le terrain et en ligne des « agoras », sortes de tribunes d’expression « affranchies de toute récupération politique pour se parler franchement entre nous », ajoute-t-il. L’affluence des rencontres qu’il organise témoigne, selon lui, de l’appétence des jeunes pour la chose publique, mais aussi de la « frustration née de la confiscation du pouvoir par toute une ancienne génération ».
Frustration de la jeunesse

« La bataille électorale est lancée et le résultat dépend de nous », veut croire Josué Yao Vah, le président du Parlement des jeunes de Côte d’Ivoire. Le responsable de cet organe de la société civile, sans aucun pouvoir, mais très actif dans les villes et sur les campus, fait référence à un chiffre sans cesse mis en avant par la jeunesse du pays : 77 % de la population ivoirienne a moins de 35 ans. Il n’en reste pas moins qu’en 2018, lors de la dernière révision de la liste électorale, les 18-35 ans représentaient à peine 29 % du corps électoral.

Un contingent loin d’être insignifiant, mais qui ne justifie guère les fantasmes de certains responsables d’organisation de jeunesse. La donne va-t-elle changer avec l’élection à venir ? La Commission électorale indépendante (CEI) a indiqué avoir enregistré 900 000 nouveaux électeurs, sans pour autant préciser s’il s’agissait de nouveaux majeurs ou de personnes qui n’étaient auparavant pas inscrites sur les listes.

« De toute manière, la jeunesse n’est pas un parti politique. Elle ne vote pas de manière homogène », tempère Didier Amani, le responsable de l’association Tournons la page. Le jeune homme, qui se dit « engagé mais pas partisan », sillonne les quartiers depuis des mois pour sensibiliser aux enjeux de l’élection. Mais il a parfois l’impression de donner des coups d’épée dans l’eau : « Face à une jeunesse aussi pauvre, l’argent permet tout, salit tout et ruine nos efforts. »

Un avis partagé par d’autres militants de la société civile qui ont observé combien certains jeunes se laissent facilement entraîner dans la violence. « Tu applaudis la veille quand on t’explique qu’il faut rester calme. Mais le lendemain, pour 1 000 francs CFA [1,50 euro], tu montes un barrage sur une route ou tu jettes des pierres sur les policiers », regrette le responsable d’une organisation de jeunesse.

Quels que soient ses moyens d’expression, la frustration de cette génération fait peu de doute. C’est en tout cas elle qui s’exprimait lundi 14 septembre, au Palais de la culture de Treichville, à Abidjan, lors d’une rencontre avec les principales associations de la jeunesse ivoirienne organisée par le premier ministre Hamed Bakayoko.

« La jeunesse de Côte d’Ivoire est fatiguée, fatiguée de vos turpitudes, fatiguée de vos hésitations, fatiguée de la manipulation dont elle est victime. Nous voulons simplement vivre », a lancé l’un des responsables invité à prendre la parole sur scène. Comme un cri du cœur et un avertissement.