Mali: Le Mali : Comment ensemble peut-on relever le défi multidimensionnel ?

« Et quand on ne peut revenir en arrière, on ne doit se préoccuper que de la meilleure manière d’aller de l’avant ». Paulo COELHO

En 2013, M. Ibrahim Boubacar KEITA venait d’être élu haut la main à la présidence du Mali, il était l’espoir de tout un peuple. Les attentes étaient nombreuses et les défis étaient immenses. Sept ans plus tard, malgré des efforts consentis par l’exécutif, il est difficile de dire que les attentes ont été comblées. Un contexte social tendu à la suite des élections législatives d’Avril 2020 a donné lieu à des manifestations de l’opposition.

Le Mali démocratique, contrairement à la plupart des pays africains, a toujours su éviter les crises post-électorales. Il faut dire que la fibre sociale et les forces vives ont toujours eu un rôle important dans l’apaisement du climat social. L’exécutif était affaibli bien avant ces législatives, l’attitude de la Cour Constitutionnelle n’arrangea pas les choses, un sentiment de victoire volée naquit, ce qui poussa des jeunes à Bamako, comme à Sikasso à manifester. Et ce malgré le couvre-feu instauré par le gouvernement et la pandémie de coronavirus. Une nouvelle défiance envers le régime d’IBK venait de naître.

Il est là les prémisses d’une crise sociale qui bloquera le pays pendant plusieurs mois. A l’issue des différentes manifestations de contestation, s’est créé le M5-RFP (Mouvement du 5 Juin – Rassemblement des Forces Patriotiques) qui arriva à mobiliser des milliers de malien lors de chaque sortie. Le pays est resté sans gouvernement pendant plus de deux mois avant la mise en place d’un gouvernement restreint. Les différentes médiations de la CEDEAO n’arrivant pas à faire débloquer la situation du Mali, un coup de force militaire le 18 Aout amena le président IBK à démissionner.

Le Mali vécut le renversement d’un régime qui n’a probablement pas su répondre aux multiples défis pour le redressement du pays. En témoigne le discours de démission du président déchu Ibrahim Boubacar Keita « pendant 7 ans j’ai eu le bonheur et la joie d’essayer de redresser ce pays », nous pouvons interpréter l’usage du mot essayer dans cette phrase comme un aveu d’impuissance.

En partant du principe que le coup d’état est consommé, il faut désormais penser aux perspectives et aux défis qui nous sont imposés.

La prise de conscience
Depuis les événements de 2012, le rapport du peuple malien avec la vie de la république a complètement changé. Il est devenu plus exigeant en termes de résultats et se tient au courant de la gestion du pays. Une jeunesse créative, inventive qui s’est saisie des instruments du siècle, les smartphones, les réseaux sociaux, l’informatique, les médias en ligne pour informer, s’informer, sensibiliser, mobiliser et former. Notre jeunesse à l’instar de la jeunesse africaine casse les codes de ces démocraties monarchiques voir souvent patriarcales. Elle met en défit nos gouvernants, les pousse à se réinventer tant dans leurs communications que dans leurs prises de décisions.

Il est illusoire voir utopique de penser qu’on peut gouverner aujourd’hui comme on le faisait dans les années 90 ou encore dans les années 2000 car cette jeunesse a des rêves, des aspirations, des exigences et des ambitions. Elle ne demande qu’à être aidé, guidé, armé pour faire face aux défis du pays.

L’engagement civique, associatif et/ou politique des jeunes doit être de plus en plus accentué afin de revivifier le sens patriotique, républicain de notre pays. La prise de conscience née des dernières années doit poser les bases d’un Mali nouveau qui renaitra de ses cendres.

Renouveler le paysage politique vs Faire de la politique pour servir le peuple…

Au Mali comme dans certains pays africains, les partis politiques riment souvent avec le culte de personnalité avant d’être un combat idéologique devant faire naitre l’idéal pour un peuple désabusé.

Cela peut se sentir même au niveau des votes ; quand voter revient à choisir un candidat pour son nom de famille ou autre sans jamais se référer à son programme, à son projet. Nous n’allons pas blâmer l’électorat malien pour ça, car nous pouvons trouver la même attitude dans de nombreuses autres démocraties comme celle d’Allemagne, de la France etc.

Le culte de personnalité dans des partis politiques s’explique principalement par le fait que les partis sont souvent fondés par une personnalité qui y investit financièrement pour accéder à la magistrature suprême au mieux ou à d’autres postes. Ce qui est inquiétant avec ce concept, il a tout l’air d’une entreprise donc le fondateur est le PDG.

Les personnes ayant créé leurs partis et rejointes par d’autres, ne sont jamais ainsi désavouées au sein de leurs organisations quand elles souhaitent être candidat à un post. Elles restent ainsi l’affiche du parti pendant des décennies pour les grosses compétitions électorales. Voici quelques exemples illustratifs :

IBK après son départ de l’ADEMA avant les élections présidentielles de 2002, a créé le RPM (Rassemblement pour le Mali) et a toujours été l’affiche du parti pour les présidentiels. Heureusement qu’il a gagné les élections de 2013 et de 2018 sinon il serait de nouveau candidat en 2023.

Soumaila CISSE, comme IBK après son départ de l’ADEMA en 2003, a créé aussi l’URD (Union pour la République et la Démocratie) dont il est la tête d’affiche à chaque présidentiel depuis 2003. Il le restera très probablement tant qu’il ne briguera pas la magistrature suprême.

Mountaga TALL, fonda le CNID (Congrès national d’initiative démocratique) en 1990 dont il a été le candidat en 1991, 1997, 2002, 2007, 2013, 2018 et probablement il le sera en 2023. Ça fait pratiquement 30 ans qu’il est le seul candidat à la présidentielle de ce parti.

Choguel Kokala MAIGA, Blaise SIDIBE, Oumar MARIKO pour ne citer qu’eux sont également dans la même configuration.

Comment expliquer pendant 30 ans qu’un parti politique ne peut avoir que le même candidat à proposer à chaque échéance ?

De plus, si nous regardions le paysage politique malienne, pour la plupart c’est les mêmes acteurs depuis les années 90, donc les mêmes acteurs d’il y’a 30 ans (certains d’entre nous n’étaient pas encore nés).

Il faut que nous sortions de ces jeux d’hommes providentiels afin de permettre l’émergence d’autres figures politiques, idéologiques et surtout l’émergence des jeunes qui ne demandent qu’on les fasse confiance. Nos partis politiques doivent se refonder d’avantage, il faut qu’il y’ait de la compétition en leurs seins au moment des choix des candidats pour une échéance électorale au lieu des petits arrangements personnels où chacun essaie de favoriser son protéger. Cela peut se faire en mettant à la disposition des citoyens les moyens de débattre, d’exprimer leur avis et de peser dans les décisions qui les concernent.

Faire de la politique ne doit plus être une question d’élever son niveau de vie mais une vocation à servir le peuple, la nation afin de leur rendre le quotidien meilleur. Une des possibilités afin que nos partis politiques regagnent la confiance de la population, peut-être la déclaration des biens et des enquêtes de moralités systématique pour tout candidat voulant se présenter au suffrage universel. Cette pratique doit-être adoptée en premier lieu par les partis politiques et des reformes la rendant obligatoire.

Mettre fin à l’achat de conscience et revivifier l’engagement civique…

La corruption qui gangrène notre société se fait sentir au moment des élections. Ainsi être un élu de la république revient à être le plus offrant. Le problème est que ces dernières années cela a tendance à devenir la règle. Plus on donne de l’argent, plus on corrompt, plus on a de la chance d’être élu. Les campagnes politiques sont ainsi devenues : A la place de projets de sociétés et des programmes, ce sont des biens (thé, sucre etc.) et de l’argent que les candidats présentent en échange du vote des électeurs. C’est ainsi qu’au Mali, le processus électoral est toujours piégé par des pratiques peu orthodoxes et indignes de la démocratie. Oui il faut des sous pour une campagne politique, pour la communication, les déplacements etc. Mais il ne doit être en aucun moment question d’avoir des fonds pour acheter les voix des électeurs.
Dans une démocratie aussi fragile que la nôtre (le taux de participation aux dernières législatives était de 35,58 %) avec une forte abstention s’il faut ajouter à cela des votes truqués par l’achat de conscience nous nous retrouvions facilement avec des élus non représentatifs des tendances sociales et là c’est notion même la démocratie qui est en jeu. Comment parler de démocratie si les élections ne reflètent pas les réalités du pays ?

Il faut que nous citoyens comprenions que certaines attentes ont un coût. Nous ne pouvons pas exiger de la droiture à nos élus si nous ne le sommes pas au quotidien. Miser sur un candidat à qui nous croyons profondément, à son projet, un candidat dont l’intégrité n’est plus à démontrer est un pari qui va potentiellement assurer l’avenir de nos enfants, niveau qualité de formation et de vie. Par ailleurs, acheter la conscience de l’électorat à travers des offrandes est tout simplement un phénomène pittoresque au Mali. Il est important de rappeler que les partis politiques ont failli à leur mission de formation des militants. Il est d’ailleurs temps de se demander pourquoi continuer à fourguer l’argent du contribuable à ces mêmes partis politiques qui deviennent ainsi un lourd fardeau pour la nation. En effet, ces subventions appelées financements des partis politiques contribuent à doter ces formations d’un trésor de guerre utilisable en grande partie pour faire fonctionner la machine d’achat de conscience lors des scrutins. Nous rappelons le vote est un droit imprescriptible des individus dans une république. Le troquer contre de l’argent ou du bien matériel doit être considéré comme une aliénation pure et simple de sa liberté et de sa citoyenneté.

Il faudra certainement des reformes mettant en place des outils juridico-constitutionnels pour poursuivre tout parti politique qui s’adonnerait à cette pratique car il s’agit là d’une des fraudes qui met en danger la démocratie. Une simple annulation des voix ne peut suffire car chaque cas doit-être puni rigoureusement afin de lancer un message fort aux autres partis politiques.

L’amélioration du niveau de vie de la population, son attachement aux valeurs morales historiques qui reflètent notre société sont des éléments à ragaillardir pour lutter contre cette pratique qui mine nos processus électoraux pour ne pas dire notre démocratie.

Chaque changement de régime forcé a eu souvent acclamation d’une partie voir une majeure partie de la population. Ce fut le cas en 1968, en 1991, en 2012 et même aujourd’hui. En regardant de près les attentes après chaque coup de force n’ont pourtant pas changé tant que ça. Par exemple, en 1992 lors des 1ères élections législatives de la toute nouvelle 3è république, les débats étaient autour des sujets économiques et le chômage des jeunes. Aujourd’hui les deux sujets sont toujours d’actualité en plus des problématiques d’insécurité et de recouvrement de son territoire national que le pays connait.

Les jeunes, présent dans les différentes manifestations avec leurs envies de changement, ils ont toujours été en 1ère ligne. Ils sont souvent les 1ers à tomber sous les balles des régimes. Ils étaient les piliers de toutes les manifestations du M5-RFP. Ils étaient engagés pour la patrie, pour leurs convictions.

La jeunesse doit capitaliser sur l’expérience des évènements des dernières années pour élever son niveau d’exigence, d’engagement afin qu’arrive enfin le changement tant attendu. C’est en impliquant au maximum notre société aux sujets politiques qu’ensemble nous allons relever les défis que l’avenir nous impose et redonner un nouveau souffle à notre démocratie.

Réinventons notre monde d’après…

Toutes les couches de la société semblent avoir pris la mesure des principaux problèmes du pays. Pour faire face aux nombreux défis (l’éducation, la réconciliation, insécurité au centre comme au nord, recouvrir l’intégrité du territoire nationale), il faut partir sur une réforme profonde des institutions (pourquoi pas une réforme constitutionnelle afin d’adopter une constitution à l’image de nos réalités) et de l’administration malienne, la nouvelle équipe du potentiel gouvernement de transition doit construire une base institutionnelle saine pour aller vers les nouvelles élections. Ensuite il appartiendra aux maliens de tous les horizons cette fois de faire analyse réfléchie et consciencieuse du programme, de la personnalité et la bonne foi des différents candidats. En harmonie avec sa société, chaque malien doit être moteur et matière première pour l’avancement du Mali.

Une justice forte et indépendante pouvant interpeler des élus, des hommes d’état ayant manqué à leur engagement. Notre justice doit se réconcilier avec les maliens en montrant qu’elle est là pour garantir le droit de chaque individu et non le droit du plus riche ou du plus offrant. Elle est indispensable pour réconcilier, il ne peut y avoir de paix sans justice. Le tissu social a énormément souffert des problèmes du centre. Au Mali, il n’y avait jamais eu de conflits ethniques comme nous le connaissons aujourd’hui, il faudra assurer la sécurité dans ses zones, faire justice et réconcilier ces populations.

Il faut des structures de contre-pouvoirs. Malheureusement, nous avons une presse relativement faible, car elle fonctionne comme la classe politique : elle est alimentaire. Une presse renforcée, libre et indépendante fera énormément de bien à notre démocratie.

Un exécutif au service du peuple avec un président, des ministres, des députés réduisant leurs salaires et/ou leurs indemnités de 30% voire de 60%. Il faut que ceux qui gouvernent le pays soient des modèles aux yeux du peuple. En acceptant de baiser leurs salaires, cela est un moyen de renouer avec la confiance des citoyens. On ne peut pas servir un pays en espérant s’y faire fortune.

Il est difficile de dire à un enseignant de faire des efforts quand on voit des ministres ou son entourage baigner dans l’opulence. La bonne gouvernance ne doit plus être une option mais la seule issue possible. Servir l’état doit être motivé par un engagement civique profond, un amour inconditionnel pour la nation malienne.

Le sacrifice ne peut pas se limiter qu’aux hommes d’état, il doit concerner chaque citoyen. Les syndicats des médecins, des enseignants ou autre, au moment où l’état prouve sa bonne foi et les limites de ses capacités, ces derniers doivent accepter les augmentations qui leurs sont proposées avec des engagements de l’état à revoir ses copies une fois que les finances seront meilleures. Il s’agit là d’un effort, un sacrifice dont chaque malien doit consentir. Dans notre situation actuelle, des dépenses sont à faire pour l’armée ce qui va impacter probablement le budget d’autres secteurs.
Une école qui promeut l’excellence afin de donner la chance à tous d’accéder à l’ascenseur social. De 1991 à nos jours, l’école malienne a souffert de tous les maux. Ces dernières années furent les pires avec des mois et des mois de grèves chaque année et ceux qui en souffrent le plus sont principalement les enfants issus de milieux défavorisés, précaires.

L’éducation doit être une pièce clé pour le renouveau comme le disait Nelson Mandela « l’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde ». Cette éducation ne se limite pas à l’instruction dans les écoles de l’état, elle commence la famille passant par la vie quotidienne dans la société (les valeurs transmises par l’entourage) et finir sur les bancs de l’école. La bonne éducation reste un principe basique qui anime toute société. C’est pour ça que les futurs dignitaires de la gestion du pays doivent en faire une priorité absolue. Une école de qualité aidera le pays à tous les niveaux. Elle garantira la formation de citoyens impliqués dans la vie de la république, armés pour faire face au défi du pays. Le problème de l’engagement citoyen que nous avons connu ces dernières années est lié aux problèmes de la qualité de notre école. Il faut que nous ne commettions plus les mêmes erreurs du passé. La refondation de notre école nécessitera également une réforme profonde de l’AEEM. Une école de qualité ne doit plus être un privilège pour ceux dont les parents ont les moyens de leur payer une école privée ou les envoyer à l’étranger. Il s’agit là d’installer les socles d’une société juste donnant la chance à chacun de tracer sa voix et de trouver sa place.

Une armée renforcée dans sa mission régalienne pour être la fierté des maliennes et maliens.

Ce Mali est possible, nous y croyons profondément. Œuvrons pour ce Mali, pour notre dignité, pour être à la hauteur de ceux qui ont fait l’histoire de notre pays depuis des siècles.

Vive le Mali, vive la République.