Après trois jours de manifestations, le gouvernement de Tripoli a imposé un couvre-feu total sur la capitale, de mercredi 26 août à 18 heures jusqu’au lundi 31 août au matin.
On veut de l’électricité, de l’eau, de l’argent, les banques n’ont plus aucune liquidité », tempête Fathi, ingénieur agronome à Tripoli. À cause de la guerre, son entreprise d’importation de semences est fermée. Lui et ses deux filles vivent grâce aux revenus de sa femme pédiatre. « On n’en peut plus, la situation est insupportable à Tripoli et dans tout le pays », renchérit Mustafa, père de cinq enfants, qui lui aussi a perdu son travail. Sa famille vit grâce aux seuls revenus de sa femme professeur d’anglais.
Les quatorze mois de guerre ont fait fuir quantité de familles de la capitale et ses environs. Le Haut-Commissariat aux réfugiés recense 425 000 déplacés dans le pays. Les quartiers sud de Tripoli ont été dévastés et minés par les forces de l’est libyen liées au maréchal Haftar au moment de leur retrait. Et 106 personnes ont perdu la vie et 252 ont été blessées rien qu’au cours des trois derniers mois du conflit d’avril à juin, rapporte la mission des Nations Unies en Libye (UNSMIL).
« Des fortunes ont été dépensées pour l’électricité, mais rien ne s’est arrangé »,
Dans la capitale, les coupures de courant peuvent durer des journées entières et parfois pas une goute d’eau ne coule du robinet alors que le thermomètre dépasse souvent les 40°C et que l’air est moite. Les installations pétrolières, au cœur du conflit, sont à l’arrêt dans ce pays qui regorge d’hydrocarbures.
Alors, fait inédit après ces longues années de guerre depuis la chute du colonel Khadafi en 2011, les Libyens ont crié leur colère dans les rues de Tripoli, mais aussi dans les villes voisines de Misrata et Zawiya, dimanche 23 août, pour réclamer le retour à une vie normale, la fin de la corruption qui ronge le pays et la démission du gouvernement dit d’union nationale (GNA) basé à Tripoli. « Des fortunes ont été dépensées pour l’électricité, mais rien ne s’est arrangé », dénonce Mustafa.
Les Tripolitains étaient à nouveau dans la rue les 24, 25 et 26 août. Mais moins nombreux, suite aux violences du 23 au soir. Des milices pro-GNA avaient tiré sur la foule, faisant plusieurs blessés. Et six manifestants ont été enlevés, rapporte Amnesty international. L’UNSMIL a réclamé une enquête sur l’usage excessif de la violence.
Un couvre-feu pour étouffer la contestation
« Les supporteurs du maréchal Haftar et du clan d’Ahmed Kadhaf Al-Dam [le cousin du colonel Khadafi exilé en Egypte] ont infiltré la manifestation. Ils étaient là pour casser et faire échouer la manifestation », rapporte Fathi. « Ces dissensions empêchent que le mouvement de contestation prenne de l’ampleur mais, partout en Libye, les habitants veulent retrouver la paix et la stabilité », fait valoir Mustafa.
Devant cette grogne inédite, Fayez al-Sarraj, le chef du GNA, a reconnu la « part de responsabilité » du gouvernement dans une allocution télévisée le 24 août au soir tout en se défaussant sur une crise qui « dure depuis des années ». Il a évalué à 60 % le déficit de production d’électricité et promis une hausse d’au moins 25 % dans les quatre mois à venir, rapporte le quotidien Libya Herald. Et il a appelé à des élections législatives en mars prochain. Une échéance pour l’heure non négociée avec les rivaux de l’est du pays.
Le mercredi 26 août, le GNA a imposé un couvre-feu total sur la capitale à partir de 18 heures jusqu’au lundi 31 au matin et envisagé sa prolongation. « Il l’a justifié à cause de la Covid, mais c’est bien sûr pour empêcher les manifestations », estime Fathi. Dans la soirée, les forces de l’ordre ont évacué les manifestants qui avaient ignoré le couvre-feu.