Mali: les militaires mutins appellent la population à reprendre ses activités

Le Comité national pour le salut du peuple (CNSP), la junte au pouvoir à Bamako, a appelé mercredi 19 août les Maliens à « vaquer librement à leurs occupation et à reprendre sainement leurs activités », réclamant également l’arrêt du vandalisme, au lendemain du coup d’Etat qui a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta et son gouvernement.

Le Comité national pour le salut du peuple (CNSP), l’instance créée par les putschistes maliens, a tenu une conférence de presse ce 19 août dans l’après-midi. Devant une forêt de micros, le porte-parole des putschistes, le colonel-major Ismaël Wagué a voulu faire passer plusieurs messages, rapporte notre correspondant à Bamako, Serge Daniel.

Le CNSP a par exemple invité les fonctionnaires maliens à reprendre le travail ce jeudi 20 août et assure que des dispositions seront prises pour protéger les biens des personnes. Des actes de vandalisme ont en effet eu lieu hier : des boutiques et des bâtiments publics ont été saccagés. Le porte-parole du comité a mis en garde les auteurs de ces actes et a ajouté que tout militaire surpris en train de piller sera sévèrement sanctionné. Enfin, au sujet des quatre blessés qui ont rendu l’âme à l’hôpital Gabriel Touré de Bamako selon des sources hospitalières, il a déclaré que selon eux, il y avait eu « zéro mort et zéro blessé ».

RFI était en édition spéciale ce mercredi 19 août pour revenir sur le coup de force des militaires du Comité national pour le salut du peuple. Pour réagir à cet événement, RFI a invité Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’Études de Sécurité de Bamako, Jean-Pierre Lacroix, secrétaire adjoint de l’ONU aux opérations de paix ainsi que Marc-André Boisvert, chercheur indépendant et spécialiste des armés maliennes.

Écoutez notre édition spéciale du 19 août sur le Mali

« Nous, forces patriotiques regroupées au sein du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), avons décidé de prendre nos responsabilités devant le peuple et devant l’Histoire », a déclaré plus tôt sur la télévision publique ORTM le porte-parole des militaires, le colonel-major Ismaël Wagué, chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air.

Bérets bleus, marron ou verts, vissés sur la tête : ils sont cinq officiers supérieurs de l’armée malienne, assis devant la caméra. D’autres sont debout dans la salle. Ils sont quasiment tous des officiers supérieurs.

Ecoutez la déclaration du porte-parole du CNSP qui annonce un couvre-feu et de prochaines élections

RFI

Les militaires, qui ont pris le pouvoir au Mali et poussé à la démission le président Ibrahim Boubacar Keïta, déclarent vouloir mettre en place une « transition politique civile » devant conduire à des élections générales dans un « délai raisonnable ». La continuité des services publics sera assurée.

Qui sont les mutins ?

En plus du colonel-major Ismaël Wagué, chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air, il y a un autre officier supérieur parmi eux : on reconnaît le colonel Malick Diaw, chef de la 3e division militaire de Kati. Il s’agit d’un des cerveaux du putsch. Il connaît parfaitement le camp militaire d’où sont parties les opérations. Il est connu pour s’être battu dans le nord du Mali et il a dirigé, à un moment, la Force spéciale des services de renseignement du Mali, à l’époque du président Amadou Toumani Touré. Lors des événements de 2012, il avait repris l’ORTM des mains des insurgés.

Il y a également d’autres officiers, comme Sadio Camara, par exemple. C’est un colonel de l’armée qui revient à peine de Russie, où il était en formation. Il a joué un rôle-clé. Le colonel Assimi Goïta en fait partie aussi, il est colonel de l’armée de terre. C’est l’actuel patron des Forces spéciales qui sont au centre du Mali, un homme rigoureux. Et enfin, il y a Modibo Kolé, colonel et patron du Groupement de la garde de Mopti. Il s’agit d’un homme de terrain. C’est donc bien un coup d’État d’officiers supérieurs, nous décrit notre correspondant à Bamako, Serge Daniel.

Pour le chercheur indépendant Marc-André Boisvert, interrogé sur RFI, ces militaires sont d’ailleurs beaucoup plus expérimentés que ceux ayant fait le putsch de 2012 : « Si on compare à 2012, ce sont des officiers qui ont un bon curriculum vitae et qui ont de l’expérience. Cela se voit déjà juste à la façon dont ils ont formulé leur intervention. Ils savent actionner les leviers pour tenter de rassurer la communauté internationale et tenter de rétablir un dialogue. En 2012, jusqu’à la dernière minute, on ne savait pas à qui l’on avait affaire. Et les putschistes à ce moment-là étaient nettement moins expérimentés en communication. Pendant près d’une semaine, on ne savait pas trop on allait. »

Les engagements internationaux respectés

Dans cette déclaration, Ismaël Wagué assure également que tous les accords internationaux seront bien respectés. Il précise enfin que des forces telles que la Minusma (force de l’ONU) ou encore Barkhane, le G5 Sahel et la force Takuba « demeurent des partenaires pour la restauration de la stabilité ». « Tous les accords passés », notamment le processus d’Alger signé en 2015, seront respectés.

Dans l’édition spéciale de RFI, Ibrahim Maïga souligne l’importance de pouvoir faire cette transition rapidement pour éviter tout risque d’instabilité : « C’est un temps qui peut être mis à profit par les groupes extrémistes violents et terroristes pour non seulement propager l’insécurité à l’intérieur du pays. Mais au-delà de la question des groupes armés qui essayeront de profiter de ce vide institutionnel, la question se pose aussi sur les ex-groupes rebelles. Et même si le comité national pour le salut du peuple tend la main à ses groupes dans le cadre de la poursuite de la mise en œuvre de l’accord de paix, on peut encore s’interroger sur la réaction de ces anciens groupes rebelles. »

De son côté, Jean-Pierre Lacroix, secrétaire adjoint de l’ONU aux opérations de paix, reste sceptique face au coup de force malgré le discours des militaires de ce matin : « On ne peut pas se satisfaire de la manière dont les institutions démocratiques et constitutionnelles ont été interrompues par la force. Les pays de la région l’ont exprimé d’une manière très claire. Je note que la Cédéao a annoncé un certain nombre de mesures, mais aussi une délégation de haut-niveau qui devrait se rendre prochainement à Bamako. Et nous soutiendrons ces initiatives. »

Il rejoint Ibrahim Maïga sur les risques engendrés par cette prise de pouvoir : « Mais il y a un risque : un vide constitutionnel qui risque d’aggraver les problèmes auxquels le Mali fait face. Il est essentiel qu’un retour à un fonctionnement normal des institutions du Mali se fasse le plus rapidement possible. Nous soutiendrons tous les efforts en cours. »

Le discours du CNSP dresse aussi un tableau sombre de la situation du pays, dénonçant pêle-mêle le « clientélisme politique », la « gestion familiale des affaires de l’État », la « gabegie, le vol et l’arbitraire ». Cette mutinerie est le résultat d’une grogne sensible depuis plusieurs mois dans l’armée. Les membres du Comité expliquent vouloir lutter contre la corruption. Ils ont également annoncé la fermeture des frontières jusqu’à nouvel ordre et décrété un couvre-feu de 21 heures à 5 heures du matin, heure locale.

Les arrestations de hauts responsables militaires et civils

En revanche, pas un mot sur l’avenir du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), ni sur les responsables politiques arrêtés mardi 18 août. Dans les couloirs, ils annoncent qu’ils vont mettre à la disposition de la justice un certain nombre de personnes soupçonnées d’avoir détourné de l’argent dans le cadre de la moralisation, raconte notre correspondant à Bamako, Serge Daniel.

Mais le problème est que pour le moment, il n’y a pas eu d’annonce sur ces arrestations. Un putschiste interrogé par RFI dans la nuit de mardi à mercredi, explique : « Nous prenons la garantie que rien n’arrivera. On ne touchera pas un seul cheveu des personnes interpellées et arrêtées ».

En dehors du président et du Premier ministre, les membres du CNSP ont notamment arrêté le chef d’état-major des armées et quasiment tout l’état-major, c’est-à-dire, les hauts gradés de l’armée, des chefs d’état-major des différents corps. Le ministre de la Défense est également entre leurs mains, tout comme celui de la Sécurité, un général.

Parmi eux, il y a également des civils dont nous sommes sans nouvelles ou qui sont arrêtés : le président de l’Assemblée nationale, qui a d’ailleurs été dissoute, et puis des ministres, comme celui des Finances ou le ministre de la Justice dont nous sommes sans nouvelles.