Mali: Décryptage : On fait quoi après ?

Voilà déjà presque deux mois que le Mali vit dans le vacarme de manifestations et de négociations tantôt pour demander la démission du président, Ibrahim Boubacar Keita (IBK), tantôt pour exiger la formation d’un gouvernement de transition.

La manifestation du 10 juillet dernier a été celle d’un point de non-retour entre le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Républicaines (M5-RFP) et la Convergence des Forces Républicaines (CFR – majorité présidentielle). Organisée par le M5-RFP, la manifestation du 10 juillet dérape : 11 morts, 149 blessés officiellement. Des deux côtés, on s’accuse. Sans prendre parti, il y a eu de vraies failles dans la sécurisation des manifestants. A ce stade, l’ultime question est : on fait quoi après ?

Depuis le 10 juillet, les Maliens assistent à un étrange remake de mars 1991. Certes, mars 91 est loin d’être comparable à la période actuelle. Certes, les contextes sont différents. En 1991, il n’y avait pas de Covid-19, ni d’enlèvement des personnalités politiques comme l’honorable Soumaïla Cissé. En 1991, la rébellion existait déjà dans le Septentrion, mais Kidal était encore administrée par les autorités maliennes. La région de Mopti n’était pas encore dévastée par des tensions liées notamment à la gestion des richesses naturelles : eau, foncier…

La véritable différence entre 1991 et 2020 réside dans l’irruption du religieux sur la scène politique, en raison de l’abandon de l’espace démocratique par le politique, et l’incapacité de ce dernier à offrir une vraie protection, une véritable éducation et une sécurité sanitaire.

Une autre et dernière différence est qu’aujourd’hui le Sahel est infesté par le narcoterrorisme (criminalité organisée, trafic de tout genre, mafia locale) que ce soit au Mali ou dans les pays voisins : Burkina Faso, Niger… A cela s’ajoute, depuis 2011, la situation désastreuse de la Libye où les troupes du chef de gouvernement (Fayez al-Sarraj), reconnu par l’ONU, se battent contre celles de son rival, le maréchal Khalifa Hatar pour diriger le pays. Cette crise a eu des effets sur le Mali avec une circulation accrue des armes dans la zone et une prolifération des groupes narcoterroristes. Les stratégies de contreterrorisme (Barkhane, Minusma, G5-Sahel, EUTM…) peinent à stabiliser le Sahel à cause de la fragilité des institutions et du manque de volontarisme politique.

Ceci étant, il y a des liens fondamentaux entre 1991 et 2020, caractérisés par la violence. La violence, c’est avant tout “l’usage de la force dans la contestation sociale, dans la répression des conflits”. Dans ce cadre, la violence, qu’elle soit d’origine institutionnelle, qu’elle provienne des manifestants réclamant plus de droits, ne fait pas bon ménage avec la paix. Les morts et les blessés de la semaine dernière illustrent bien l’effet boomerang de la violence. A chaque fois, des morts d’innocents, parfois très jeunes. D’où l’impossibilité d’oublier mars 91.

Pourquoi l’Etat malien n’a-t-il pas prévu des forces de maintien d’ordre pour sécuriser la manifestation ? Pourquoi le M5-RFP n’a-t-il pas prévu son propre cordon de sécurisation ? Comment oublier que l’occupation des édifices publics pouvait se passer sans dérapage dans un contexte tendu ? Ces dérapages ont-ils été prémédités ? Qui sont responsables ? Que faut-il penser des violences de la semaine dernière ?

Seule une enquête sérieuse permettrait de répondre à ces questions et de situer les responsabilités, préalable à une pacification des rapports sociaux.

En attendant, chaque camp (M5-RFP et CFR) se rassure en désignant son adversaire comme coupable des morts et des blessés. Le monde politique malien (majorité et opposition confondues) est devenu vorace. Le bazar est partout. La recherche effrénée du pouvoir ou son exercice a fini par avoir raison du respect de la personne humaine et des capacités de transformation de la société. Le désordre s’installe vite.

Partout, sur les réseaux sociaux, dans les médias alternatifs proches d’un camp ou d’un autre, l’instrumentalisation et la récupération de la colère trônent. La CFR comme le M5-RFP se réclame le droit de se protéger. La dernière allocution du président IBK du samedi 11 juillet 2020 ne calme pas la colère, malgré l’abrogation du “… décret de nomination des membres restants de la Cour constitutionnelle…“. Les mots comme anxiété, apaisement, dialogue, dissolution, douleur, forces vives, gouvernement de consensus, tolérable, paix, quiétude, sanctions judiciaires, etc., résonnent creux. Dommage ! L’imam Mahmoud Dicko, autorité morale du M5-RFP, a appelé au calme les partisans du mouvement. Mais trop tard. Les leaders du M5-RFP appellent déjà à tenir des “… cérémonies d’hommage sur les lieux de culte…“, dédiées aux victimes du 10 juillet. En ligne de mire de leur manifestation la démission du président IBK. De part et d’autre, les positions se durcissent. Mais les rapports de force entre le M5-RFP et la CFR ne basculent ni d’un côté ni de l’autre.

Les conséquences de ces rivalités peuvent être dévastatrices pour les Maliens : risque sécuritaire à Bamako, attaque aux personnes et à leurs biens, racket… Ni le président IBK, ni l’imam Mahmoud Dicko n’ont intérêt à se contenter de simples appels au calme. Désormais des actes concrets devraient être posés pour sortir de cet engrenage de violences. Il est aussi temps de sortir de cette crise dans laquelle des Maliens sont sacrifiés sur l’autel du pouvoir comme des pièces d’échecs pour avancer. Dans le vacarme des violences actuelles, rien n’est moins sûr. Le désordre peut vite s’installer.

Enfin, l’affrontement des différents camps ne doit pas avoir raison de la capacité de leurs leaders à refuser de sombrer dans l’impuissance et la violence. Ce sacré bazar qui divise les familles, et offre le pays aux forces obscures, les narcoterroristes. Dans le contexte actuel (Covid-19, narcoterrorisme…), les Maliens, notamment les personnes ressources (anciens présidents de la République ou de l’Assemblée nationale), ne doivent pas se lasser d’agir pour faire entendre raison aux protagonistes. Dans le big bang politique actuel, il revient à chacun d’entre nous d’être devant pour éviter au pays de sombrer. Il ne suffit pas de dire en avant, mais d’être aussi devant.

La construction d’un pays, d’un territoire, d’un espace, ne peut pas être uniquement politique. L’ingénieur qui construit des ponts, l’enseignant qui transmet une connaissance, le médecin qui soigne, l’éleveur ou le paysan qui nourrit la population, le journaliste qui informe, le magistrat qui rend la justice, le gendarme, le policier ou le soldat qui défend et protège, etc., posent des actions concrètes pour développer la nation malienne. Des actions, oh combien plus nobles, que celles du politique qui au lieu d’œuvrer pour l’intérêt général, roule pour l’intérêt personnel.

Les sursauts populaires actuels, avec une surreprésentation de la jeunesse font prendre conscience d’un besoin de renouveau et d’inclusivité d’une population qui, pour plus de la moitié, est jeune. En ce sens, des candidatures de jeunes à l’élection présidentielle de 2023 s’avèreraient intéressantes pour relever les défis d’aujourd’hui et de demain : reconnaissance économique et sociale des différents groupes d’âge (hommes et femmes), accès à l’électricité et à l’eau courante, développement d’un système éducatif compétitif, agriculture durable et autonomie alimentaire, accès à la santé, véritable lutte contre la corruption et les précarités…