Si vous êtes incapable de plaider convenablement votre cause dans une Cour, des mauvaises langues, empruntes de mauvaise foi, s’en serviront pour plaider la leur. Voilà désormais, comment l’on peut résumer ce débat passionnant et fort utile du Franc CFA.
Alors que sur le continent, les partisans d’une monnaie affranchie de l’ancienne puissance colonisatrice se mobilisent, et que d’un autre côté, d’autres africains arguent que le Franc CFA n’est pas une si mauvaise monnaie, voilà qu’en ce début d’année, les autorités italiennes se servent de ce sujet, pour plaider leur cause d’idéologie d’extrême-droite.
Ainsi, le Premier ministre italien, Luigi Di Matteo, par ailleurs leader du groupe d’extrême droite « la ligue du nord », a accusé la France d’appauvrir l’Afrique et d’aggraver la crise migratoire : « Si aujourd’hui il y a des gens qui partent, c’est parce que certains pays européens, la France en tête, n’ont jamais cessé de coloniser des dizaines de pays africains« , a-t-il lancé, avant d’ajouter que cela permet de « financer la dette publique française« . Egalement, l’eurodéputé Alessandro Di Battista, sous les couleurs du mouvement 5 étoiles, aussi d’extrême droite, a dans une de ses sorties sur la chaine de télévision Rai 1, déchiré en direct un billet de 10 000 Franc CFA. Il a, en entre autres, déclaré que les pays de la zone franc « sont obligés de payer environ 50% de leur argent sur un compte courant géré par le trésor français, avec lequel vous payez un montant négligeable de dette publique française à environ 0,5%. Mais surtout la France à travers cela, contrôle la géopolitique de cette région où vivent 200 millions de personnes qui utilisent un billet de banque et pièce imprimés en France. Elle gère également la souveraineté de ces pays, empêchant ainsi leur indépendance légitime, souveraineté monétaire et valeur fiscale, sans oublier la possibilité de faire des politiques expansionnistes, jusqu’à ce qu’ils vont déchirer ce qui n’est qu’une escroquerie pour moi, un fac-similé et une menotte pour les peuples Africains. (…)Pour moi, je le dis et je l’ai dit au mouvement. Aujourd’hui, il est nécessaire pour la première fois de s’attaquer aux causes parce que ceux qui traitent exclusivement les effets, sont à la fois les ennemis de l’Afrique. C’est mon avis. »
Ces deux sorties, à elles seules, pourraient faire croire que les autorités italiennes actuellement en place se soucient du bien-être des populations africaines et qu’elles vouent pour elles un amour platonique sans faille. Que non ! Ces déclarations ne sont à analyser que sur le plan de la politique, dans un premier temps, et de la géopolitique, dans un second. Car, il serait extrêmement naïf de croire que Luigi Di Matteo, Matteo Salvini, ministre de l’intérieur, et Alessandro Di Battista, tous membres de l’extrême droite italienne, et fervents partisans de « l’Italie aux italiens » puissent soudainement être le porte-parole d’une vérité que beaucoup d’Africains tentent de rétablir. Leur idéologie politique est la même que celle du Rassemblement National (ex Front National) en France. D’ailleurs, Salvini a déjà déclaré qu’il souhaitait que Marine Le Pen soit présidente.
N’oublions pas qu’en décembre 2018, que le même Salvini avait refusé d’accueillir sur le sol italien plus de 300 immigrés d’Afrique subsaharienne dont la vie était menacée. Et penser que le gouvernement italien de l’heure puisse compatir au sort de l’Afrique, relève d’une naïveté évidente.
A travers le monde, le national-populisme a le vent en poupe. Par exemple, aux Etats-Unis, Donald Trump veut construire un mur entre les USA et le Mexique et au Brésil, Jair Bolsonaro, poussé par la puissante église évangélique, entend marginaliser encore plus les couches vulnérables du pays. La Hongrie, aussi, a basculé dans la vague populiste avec son Premier ministre, Victor Orban, par ailleurs ami intime de Salvini, alors qu’au Pays-Bas, les partis politiques islamophobes menacent sérieusement de prendre le pouvoir.
En ce début d’année, c’était donc au tour du Franc CFA d’être instrumentalisé. Ce qui est bien dommage et qui fausse le débat, pourtant assez utile, entre pro et anti-Franc CFA.
Quand des dirigeants africains se livrent à une servitude volontaire au profit de la France à travers le Franc CFA
Le Franc CFA utilisé par 15 pays africains vaut 0,0015 euros et est fabriqué dans deux bourgades françaises, Chamalières et Pessac. Avec le Franc comorien qui vaut 0,0020 euros, il est la seule monnaie coloniale encore utilisée dans le monde. En 1939, la France crée la zone franc pour assoir son hégémonie sur ses colonies. Le but recherché est que les matières premières soient disponibles même en temps de guerre. En 1945, avec la signature de l’armistice, la Métropole crée le Franc des Colonies Françaises d’Afrique. En 1958, il devient le Franc de la Communauté Française d’Afrique. En 1960, avec l’indépendance, le F CFA reste majoritairement en place. Avec l’instauration de l’UEMOA, il devient le Franc de la Communauté Financière Africaine et pour les pays membres de la CEMAC, il devient le Franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale. Un habile jeu de mots qui prouve une servitude volontaire certaine des dirigeants africains qui refusent de s’affranchir de l’ancienne puissance colonisatrice.
Quatre règles d’or sont à retenir : 1- le Trésor Public français garantit la convertibilité des Franc CFA et comoriens dans n’importe quelle autre monnaie. 2- En échange, 50% des réserves de CFA et celles de 65 % du Franc comorien doivent être déposées sur les comptes du Trésor Public français. 3- Le taux de parité entre les Franc CFA ou comorien et l’Euro est fixe, 1 euro étant égal à 655, 957 F CFA depuis 1999. 4- Enfin, les transferts de capitaux dans la zone franc sont entièrement libres et gratuits. Pour la France, ces mécanismes permettent de maintenir un certain équilibre. Elle estime aussi que la zone franc est un instrument de solidarité et de développement. Mais, parmi les 15 pays de la zone, 13 sont considérés comme étant pauvres et très endettés par le FMI alors que dans le même temps l’Afrique constitue après l’Asie, la deuxième locomotive de croissance mondiale.
Pour assurer la parité avec l’Euro, les pays de la zone F CFA sont obligés de contrôler leur inflation, en d’autres termes, l’argent en circulation. Un taux d’inflation qui est de 2% pour l’UEMOA et 3% pour la CEMAC. Les banques nationales limitent donc les prêts aux entreprises. Des prêts qui ne représenteraient que 23 % du PIB dans la zone franc contre 150% en Afrique du Sud et 100% en Europe. Le cocktail est assassin pour l’économie de nos pays. Moins de crédits induit moins d’investissements, moins d’infrastructures et aussi et surtout moins de développement. A l’inverse, grâce au libre transfert des capitaux, les entreprises étrangères, elles, peuvent investir sur place. Dans les pays de l’UEMOA, les sociétés françaises assurent 50% des investissements étrangers. Concernant les banques, Société Générale, BNP Paribas et LCL représentent à elles seules, 70% du chiffre d’affaires des banques. Plutôt donc que de produire sur place, les pays de la zone franc importe de plus en plus. Le F CFA a près de 80 ans et les pays qui l’utilisent sont indépendants depuis plus de 50 ans. Après tout ce temps, force est de constater que toute décision sur le plan économique se fait sous l’œil de la France via ses représentants présents dans les organes décisionnaires des banques centrales.
Servitude volontaire des dirigeants africains
La Banque de France et le Trésor français exigent que lorsqu’on émet 1 Franc CFA, qu’on soit sûr d’avoir dans les caisses françaises 0, 20 F CFA sous forme de devises. Mais les Etats africains couvrent jusqu’à la totalité de l’émission monétaire. L’écart qui est de 80% pourrait servir à divers projet de développement dont des investissements. La question donc se pose : pourquoi nous détenons autant d’argent au sein du trésor public français que nous délaissons finalement ? Force est de constater que ce n’est pas la faute du Trésor français puisqu’il ne demande qu’une couverture à 20%. C’est donc la faute aux dirigeants africains qui n’utilisent pas cette grande réserve pour financer des investissements structurels. La reconquête d’instruments de souveraineté que sont le budget et la monnaie sont des conditions sine qua non pour tout développement. Les banques centrales de la zone franc sont évidemment au courant et participent sciemment à ce système de rente qui est dénoncé par tout un continent. Par ailleurs, le traitement de ses cadres et de ses retraités est dispendieux. Les élites africaines profitent de ce système pour s’en mettre pleins les poches au détriment de l’intérêt général. Pour avoir un niveau de vie prêt des standards occidentaux, ils sont prêts à sacrifier le développement de leur pays. Toute chose que l’écrasante majorité d’africains ignorent. La servitude monétaire de nos Etats est bien volontaire et non forcée. La souveraineté monétaire est un impératif impérieux pour les Etats de l’Afrique francophone.