Tunisie : après la fermeture d’une école coranique, l’État prend des mesures « précipitées »

L’affaire de la maltraitance, des abus et de la radicalisation subis par les enfants d’une école coranique à Regueb (Centre) pousse l’État tunisien à fermer d’autres établissements et à accélérer le vote d’une loi sur les jardins d’enfants et les crèches, sans prendre en compte les avis de la société civile.

La Tunisie, qui se vantait de la qualité de son éducation et de l’attention données aux enfants, tombe de haut. Huit ans après la révolution, le constat est amer : l’État peine à contrôler un circuit éducatif dans lequel se sont ingérées les associations islamiques. Sous prétexte d’enseignement du Coran, certaines travailleraient à la radicalisation d’enfants dès le plus jeune âge, comme le révèle le cas de l’école de Regueb.

Le démantèlement de cet établissement, le 29 janvier, a révélé les conditions atroces dans lesquelles étaient maintenus les enfants, sous prétexte de les endurcir, ainsi que les sévices corporels et les viols que certains disent avoir subi. La réinsertion de ces jeunes garçons, vêtus à l’afghane, embrigadés avec l’accord de leurs familles, pourrait être extrêmement difficile, d’autant qu’ils ont été déscolarisés et isolés de la société.


Réponse législative timide

Si les images diffusées dans l’émission « Les quatre vérités » de la chaîne Elhiwar Ettounsi ont choqué les Tunisiens, les activités et les méthodes de certaines de ces écoles, dont celle de Regueb, avaient été dénoncées depuis 2015. L’exécutif savait, mais n’a pas réagi. Le chef du gouvernement, Youssef Chahed, n’a évoqué ces faits que le 5 février ; « trop peu, trop tard », selon ses détracteurs, qui pointent les défaillances dans la gestion de la situation.

L’unique décision prise est de présenter au vote de l’Assemblée des représentants du peuple un texte de loi sur les jardins d’enfants et les crèches

Le gouvernement répond par la fermeture d’écoles coraniques illégales sur tout le territoire, mais ne réactive pas l’examen de la réforme du Code de protection de l’enfance qui lui a été présenté depuis plus d’un an. Année électorale oblige, certains députés se sont précipités au chevet des 42 enfants mis sous la protection des autorités, mais sans proposer de solutions générales aux problématiques posées par le secteur de l’enfance et de l’éducation.

L’unique décision prise est de présenter au vote de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) un texte de loi sur les jardins d’enfants et les crèches visant à établir un cadre pour leur fonctionnement, avec notamment un descriptif pour le recrutement de l’encadrement et la formation étatique. « Ce projet ne reconnait pas l’obligation de l’État à s’engager dans ce secteur et à garantir le droit d’accès à la protection et à l’éducation préscolaire à tous les enfants tunisiens sans discrimination », nuance l’Association tunisienne de défense des droits de l’enfant.


Précipitation et idéologie

Cette précipitation occulte toutes les propositions d’amendements suggérées par la société civile, qui propose notamment que les entreprises et les promoteurs immobiliers prévoient des crèches dans leurs projets, qu’il soit tenu compte des évolutions de la société, de l’alimentation donnée aux enfants ou encore des inégalités, et insiste sur l’importance des contrôles et des signalements. « La référence à l’identité arabo-musulmane exigée par Ennahdha a bloqué toute discussion approfondie sur ce projet », précise un membre de la commission pour l’enfance.

À vouloir colmater les brèches et faire montre de réactivité, les députés prennent le risque de créer d’autres failles, puisque ce texte de loi ne considère pas les enfants vulnérables comme victimes et ne leur assure aucune mesure de protection. Une position qui va à l’encontre de toutes les conventions internationales ratifiées par la Tunisie, dont celle des droits de l’enfant et de la Constitution tunisienne, dont l’article 47 oblige l’État et la Famille à pourvoir à l’éducation et la protection de l’enfant en respectant la non-discrimination et en se référant à son intérêt supérieur dans toute décision qui le concerne.