Émirats arabes unis : « La visite du pape François a un rôle plus religieux que géopolitique »

Le souverain pontife, premier chef de l’Église catholique à se rendre dans la péninsule arabique, est en visite aux Émirats arabes unis depuis dimanche 3 février. Objectif : favoriser le dialogue interreligieux.

Atterri ce dimanche 3 février à Abou Dhabi, le pape a été accueilli par le prince héritier des Émirats arabes unis, cheikh Mohammed Ben Zayed Al Nahyan. Le souverain pontife a assisté à une rencontre interreligieuse, accompagné tout au long du voyage par le grand imam d’Al-Azhar, cheikh Ahmed al-Tayeb.

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Après une première visite en Égypte en 2017, François, qui se rendra au Maroc les 30 et 31 mars prochains, semble multiplier les contacts avec le monde arabe. Selon Luc Balbont, spécialiste des minorités chrétiennes au Proche-Orient, les enjeux de cette visite sont multiples.

Jeune Afrique : Le pape François est-il réellement en train « d’écrire une nouvelle page de l’histoire » aux Émirats arabes unis ?

Luc Balbont : Oui, ce voyage a une portée historique. C’est la première fois qu’un souverain pontife se rend dans la péninsule arabique. En revanche, il y a eu précédemment des papes qui se sont déplacés dans des pays musulmans, comme Jean-Paul II au Maroc en 1985.

Ils ont également visité l’Égypte, le Liban, mais jamais le Golfe, où les chrétiens n’ont pas beaucoup de latitude. Le pape François a choisi les Émirats arabes unis en évoquant un « modèle de coexistence ». Il s’agit en effet d’un pays relativement ouvert, mais avec des restrictions [par exemple, l’interdiction d’afficher une croix], et où il n’y a que deux églises pour plus d’un million de fidèles !

Comment expliquez-vous le choix d’Abou Dhabi ?

Le Saint-Siège entretient depuis 2007 des relations diplomatiques avec les Émirats. À peu près 10 % de chrétiens y habitent – essentiellement des salariés étrangers. Abou Dhabi est aussi le siège du Vicariat apostolique d’Arabie méridionale, une juridiction de l’Église catholique qui couvre aussi Oman et le Yémen.

Je ne pense pas que les paroles de réconciliation du souverain pontife se traduiront par des actions concrètes dans l’affaire yéménite

Le pape a d’ailleurs évoqué la guerre au Yémen, en demandant de « favoriser de manière urgente le respect des accords établis ». Je ne pense pas que les paroles de réconciliation du souverain pontife se traduiront par des actions concrètes dans l’affaire yéménite.

En revanche, l’actuel émir d’Abou Dhabi, cheikh Mohammed Ben Zayed Al Nahyan, est un ami personnel de Mohamed Ben Salman, le prince héritier saoudien. En demandant la paix au Yémen, le Saint-Siège pourrait vouloir faire passer un message. Après que le patriarche maronite Bechara Raï a été reçu à Riyad en 2017, une visite d’un pape en Arabie Saoudite serait encore plus historique.

La diplomatie vaticane a-t-elle un rôle à jouer dans le Golfe ?

Pas directement. Surtout parce que les chrétiens restent une population minoritaire dans la Péninsule arabique, constituée essentiellement de travailleurs expatriés qui font profil bas. Je ne vois pas véritablement comment la diplomatie vaticane pourrait intervenir, à part en prononçant des discours de paix.

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Pourtant, cette visite dérange certainement l’Iran chiite et les Qataris. Mais le pape ne jouera pas la carte de la réconciliation dans le Golfe. L’objectif de ces visites est plutôt de tendre la main aux leaders musulmans, dans une logique de dialogue interreligieux (et non plus d’évangélisation).

Le pape semble multiplier les contacts avec le monde arabe. Après l’Égypte et les Émirats arabes unis, il se rendra au Maroc en mars prochain. Comment interprétez-vous cela ?

Très positivement. Il faut que le monde musulman découvre le christianisme autrement que par la colonisation, autrement que par « les alliés d’Israël ». Il y a une véritable carte à jouer dans ce sens, plus qu’un rôle géopolitique. C’est fondamental que le pape multiplie ces contacts avec le monde musulman pour favoriser le dialogue entre religions.

Pour le pape François, cette visite ouvre une « nouvelle page dans l’histoire des relations entre religions ». Qu’en est-il ?

Cette visite participe à un ensemble de petits changements qu’on observe depuis 2005, l’année de la révolution du Cèdre au Liban, ou encore depuis 2011. Les musulmans sont descendus dans la rue à côté des chrétiens, pour demander plus de droits citoyens. Il y a un début de citoyenneté commune qui est née et qui continue de se développer discrètement.

Faire rester les chrétiens dans le monde arabe, c’est encourager la diversité et la pluralité, des conditions sine qua non de la démocratie

Il suffit de penser à la Tunisie, où les femmes musulmanes peuvent désormais se marier avec des non-musulmans. Ou tout simplement à la création de plusieurs associations interconfessionnelles au Proche-Orient : les jeunes Arabes s’engagent de moins en moins en politique ou en religion, mais davantage dans des mouvements citoyens.

On parle souvent de « défense » des soi-disant Chrétiens d’Orient. Je préfère le terme « présence ». Faire rester les chrétiens dans le monde arabe, c’est encourager la diversité et la pluralité, des conditions sine qua non de la démocratie.