En organisant, mercredi, à Tripoli, un forum où se sont rendues 28 délégations, dont celle de la présidente du conseil italien Giorgia Meloni, le premier ministre Abdel Hamid Dbeibah tente de se rendre incontournable sur la crise migratoire. Son autorité et son pouvoir sont cependant limités.
Abdel Hamid Dbeibah, le chef du gouvernement d’union nationale (GUN) libyen, toujours contesté par son rival de l’Est, le maréchal Khalifa Haftar, avait voulu faire de ce premier Forum sur les migrations transméditerranéennes, à Tripoli, un acte de reconnaissance de son autorité et de son rôle incontournable dans une crise qui endeuille l’Afrique et mobilise l’Europe.
Mercredi 17 juillet, les invités de marque – la présidente du conseil italien Giorgia Meloni, le président tchadien Mahamat Idriss Déby, les premiers ministres nigérien, tunisien, maltais, le vice-président de la Commission européenne, Margaritis Schinas, et un total 28 délégations des deux rives de la Méditerranée – se sont vus rappeler l’évidence par leur hôte : « La Libye est fortement touchée par la migration illégale vers l’Europe. » Selon les « données officielles », a précisé le premier ministre du GUN, 750 000 personnes sont « entrées illégalement » dans le pays depuis le début de l’année, et un million de Soudanais sont arrivés depuis le début de la guerre civile, le 15 avril 2023.
« Il y a une possibilité d’augmentation si la question n’est pas traitée efficacement et avec une coopération aux niveaux régional et international », a par ailleurs prévenu M. Dbeibah. Son objectif affiché devant la presse avant l’ouverture du Forum : réunir pays de départ, de transit comme la Libye et de destination, afin de trouver et mettre en place une « vision stratégique partagée pour faire face à la crise migratoire, dans laquelle chaque partie impliquée doit assumer ses responsabilités ».
Khalifa Haftar, grand absent de cette rencontre
Dénonçant le fait que l’Afrique « souffre des fléaux du colonialisme et de l’exploitation, car ses richesses ont été pillées au cours des cinquante dernières années, obligeant le citoyen africain à partir ou à fuir » – une rhétorique chère à Giorgia Meloni mais qui trouve également un large écho en Afrique – le premier ministre du GUN libyen tenait ici l’occasion à s’afficher comme un interlocuteur privilégié de Rome, et, au-delà, de Bruxelles. « La bonne voie est une coopération stratégique d’égal à égal, en réalisant des investissements en Afrique qui résolvent les problèmes des deux parties », a réagi Mme Meloni, à ses côtés sur scène.
Mais le rôle qu’ambitionne M. Dbeibah et la « nouvelle stratégie pour des projets de développement » qu’il défend se heurtent au peu de pouvoir de son gouvernement sur le territoire libyen. Dans la matinée, son ministre de l’intérieur, Emad Al-Trabelsi, a reconnu sur la chaîne saoudienne Al-Arabiya n’avoir « aucun contrôle » sur la ville côtière de Zawiya, la quatrième la plus peuplée du pays. La fermeture, fin mars 2024, du poste de Ras Jedir, frontalier avec la Tunisie – il a rouvert le 1er juillet –, a aussi mis en exergue l’autonomie des milices amazighes et de leurs alliés arabes sur la région de Zouara. Cette bande côtière d’une soixantaine de kilomètres qui relie les deux villes est l’une des principales zones de départ des embarcations à destination des côtes européennes.
Mardi, des groupes armés se sont affrontés dans le quartier de Tajourah, à l’est de la capitale libyenne, non loin de l’aéroport international de Mitiga par lequel tous les invités ont transité. Le même jour, M. Dbeibah et son homologue tchadien, M. Déby, s’entretenaient de « la sécurité transfrontalière » entre la Libye et le Tchad. Mais dans les faits, cette zone est tenue par l’armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar, homme fort de la Cyrénaïque (partie nord orientale du pays), tout comme celles qui bordent l’Égypte et le Soudan. Grand absent de cette rencontre, M. Haftar, à la tête de l’autorité rivale, avait déjà organisé sa propre « Conférence africaine sur la migration » du 26 janvier au 2 février.