Favori de l’élection présidentielle du 6 mai, Mahamat Idriss Déby Itno, 40 ans, semble déterminé à suivre les traces de son père, maître absolu du Tchad pendant 30 ans. Face à lui, seul l’opposant Succès Masra, rallié à la junte, semble être en mesure de faire de l’ombre au président de transition.
De président de transition à président tout court. Depuis la mort de son père Idriss Déby, tué par des rebelles en avril 2021, la voie semble toute tracée pour le général Mahamat Idriss Déby, favori de l’élection présidentielle tchadienne de lundi dans un pays où l’opposition a été méthodiquement éliminée – ou phagocytée, avec la nomination au poste de Premier ministre de deux farouches opposants, Saleh Kebzabo puis Succès Masra (en janvier), également candidat à la fonction suprême.
Difficile d’imaginer une autre destinée pour celui qui a été proclamé président par l’armée il y a trois ans. Candidat de la coalition Tchad Uni regroupant plus de 200 partis politiques, le “général-président” bénéficie de l’appui décisif de l’appareil d’État mis en place par Idriss Déby. Dans les rues de la capitale N’Djamena, les affiches à l’effigie et aux couleurs de “Midi” – l’acronyme de Mahamat Idriss Déby Itno – dominent sans partage le paysage urbain. “Premier tour K.O.”, affirme le slogan. Le même que celui utilisé par son père, qui avait raflé officiellement près de 80 % des voix au premier tour en 2021.
Son nouveau costume de président semblait pourtant bien grand pour cet homme issu d’une école d’officiers tchadienne n’ayant jamais approché la politique de près ou de loin. Un manque d’expérience que n’a pas manqué de souligner le candidat et ancien Premier ministre Albert Pahimi Padacké lors de la campagne.
“Quand vous regardez les dix candidats (à la présidentielle), personne n’a l’expérience pour gérer un pays comme le Tchad, il ne faut pas leur faire confiance”, a lancé le 26 avril le président du Rassemblement national des démocrates tchadiens-Le Réveil (RNDT) devant ses sympathisants.
Mais après trois années à la tête du pays en tant que président de transition, Mahamat Idriss Déby a gagné en assurance, bien aidé par des réceptions en grande pompe à Paris, Moscou ou dans les capitales africaines. Îlot de stabilité au Sahel, le Tchad est le dernier allié majeur des Occidentaux dans la lutte contre le terrorisme dans la région. Une situation géostratégique qui a permis au nouvel homme fort de N’Djamena d’asseoir sa stature internationale.
Un militaire de carrière
Au fil des mois, le jeune général hésitant a fini par prendre de l’étoffe et troqué l’uniforme contre le boubou traditionnel ou le costume de marque. En revanche, Mahamat Idriss Déby reste un piètre orateur en meeting et rechigne manifestement aux bains de foule. Il doit parfois forcer le trait en chef de l’État assuré et autoritaire, copiant les attitudes martiales de son géniteur, au pays comme à l’étranger.
Né à N’Djamena en 1984, Mahamat Idriss Déby a été élevé au village par sa grand-mère. Il a passé une partie de son enfance comme bédouin (berger) avant de rejoindre son père dans la capitale puis d’effectuer un cursus scolaire partagé entre le Tchad et la France. Il grimpe ensuite rapidement les échelons militaires et prend la tête en 2014 de la garde présidentielle, l’unité d’élite de l’armée chargée de la sécurité du chef de l’État.
Biographes et hagiographes assurent qu’il s’est illustré plusieurs fois au combat, notamment en 2009, dans l’Est, contre la rébellion. Tout comme son père là encore, ancien rebelle qui s’est emparé du pouvoir en 1990 – à l’âge de 38 ans –, il aime se se dépeindre en “guerrier”.
Cette “success story” est racontée dans un livre intitulé “De bédouin à président”, une autobiographie parue avant le début de la campagne et faisant office de programme politique. Pour convaincre les électeurs tchadiens, le candidat Déby a promis ces dernières semaines le développement des infrastructures de base, la relance de l’économie ou encore le renforcement de la paix et la réconciliation nationale. Là encore, difficile de ne pas voir dans cette avalanche de promesses la marque de fabrique de son prédécesseur.
“Déby a contre lui le passif de 30 années de gouvernance chaotique, tous les indicateurs économiques et sociaux sont au rouge”, souligne auprès de l’AFP Remadji Hoinathy, spécialiste tchadien de l’Afrique centrale selon lequel il serait “difficile” qu’il l’emporte “au premier tour sans forcer la main dans les urnes”.
Depuis son irruption dans la vie politique du pays, ce qu’il reste de l’opposition tchadienne accuse le général-président de vouloir perpétuer la “dynastie Déby”. Lui promet de ne pas faire “plus de deux mandats successifs”. Pourtant, l’impression que le nouvel homme fort du Tchad prépare le terrain à un règne beaucoup plus long est tenace : rassemblements interdits, rafles contre des cadres de l’opposition, manifestations réprimées dans le sang…
Le 20 octobre 2022, il marque les esprits à l’occasion d’une manifestation de l’opposition pour protester contre la prolongation de la transition de deux ans. Bilan : des dizaines de personnes tuées par des policiers et des soldats à N’Djamena. Les autorités reconnaissent une cinquantaine de morts. Un chiffre largement sous-évalué selon l’opposition et des ONG internationales.
Vers un second tour ?
Sa junte a aussi écarté politiquement ou physiquement tout rival présidentiel. Mais sa légitimité et sa popularité, déjà fragiles au sein même de la famille Déby et de son ethnie zaghawa, vacillent un peu plus depuis que les militaires ont tué il y a deux mois son cousin et plus sérieux rival à la présidentielle, Yaya Dillo Djerou.
Après l’annonce de sa mort dans l’assaut du siège de son parti, ses partisans ont immédiatement dénoncé un “assassinat”. Ces événements ont renforcé l’hypothèse d’une discorde, d’une faille qui s’est creusée au cœur du clan familial et des Zaghawas, qui régissent le pays depuis 33 ans. Pour affirmer une nouvelle fois son autorité, Mahamat Idriss Déby a écarté plusieurs généraux fidèles à son père au sein de la toute-puissante armée tchadienne.
Malgré ces signes de fébrilité, Mahamat Idriss Déby reste le grand favori du scrutin. Seul le Premier ministre Succès Masra semble être en mesure de lui faire de l’ombre. Autrefois contempteur des Déby père et fils, nommé au gouvernement il y a quatre mois, le Premier ministre est perçu par l’opposition comme un simple faire-valoir destiné à fournir au scrutin un vernis démocratique.
Mais le chef de file du parti Les Transformateurs, revenu au pays à la faveur d’un accord de réconciliation signé fin octobre 2023, a surpris les observateurs en adoptant un ton plus offensif qu’attendu et en drainant des foules imposantes lors de ses meetings.
Deux scénarios sont désormais privilégiés chez les politologues. Le premier : Déby l’emporte haut la main. La candidature de Masra n’est finalement qu’un jeu de dupes pour perpétuer leur tandem à la tête de l’exécutif tout en ravissant des voix à la dissidence. Le second affirme que Succès Masra s’est senti pousser des ailes, galvanisé par les foules, et pourrait pousser Déby à un second tour, voire contraindre la junte à bourrer les urnes.
“Masra est un accompagnateur, il fait monter les enchères pour assurer sa place après l’élection de Déby”, tranche auprès de l’AFP le député Rakhis Ahmat Saleh, dont la candidature a été invalidée par le Conseil constitutionnel.
Hormis ce duel au sommet de l’État, huit autres candidats sans réelle envergure ont été autorisés à se présenter. Parmi eux, Alladoum Djarma Baltazar, Théophile Bongoro Bebzouné ou encore Lydie Beassemda, la seule femme à concourir lors de ce scrutin. Les résultats sont attendus le 21 mai. Un éventuel second tour pourrait avoir lieu le 22 juin.