Au large de la Somalie, le retour de la piraterie

Au large de la Somalie, le retour de la piraterie

Depuis quatre mois, 23 navires de pêche et de commerce ont été attaqués dans le golfe d’Aden et l’océan Indien. Des actes favorisés par la perturbation du trafic maritime en mer Rouge.

Après sa capture dans le golfe d’Aden, mardi 12 mars, le vraquier MV Abdullah, battant pavillon du Bangladesh, se trouve désormais dans les eaux territoriales de la Somalie, son équipage et sa cargaison (55 000 tonnes de charbon) pris en otage par des pirates. Si la marine indienne s’est dite prête à intervenir pour tenter de libérer les 23 membres d’équipage, la société bangladaise SR Shipping, propriétaire du vraquier, serait quant à elle disposée à payer une rançon pour reprendre le contrôle de son navire.

Il y a encore quelques mois, les actes de piraterie au large de la Somalie ne semblaient qu’un lointain souvenir ; quand, entre 2008 et 2012, les pirates infestaient les eaux claires du golfe d’Aden, menant plus de 600 attaques et récoltant environ 400 millions de dollars (environ 370 millions d’euros au cours actuel), selon la Banque mondiale. A l’époque, d’importants efforts militaires internationaux avaient permis de combattre les pirates et de sécuriser les passages. Ils semblaient avoir peu à peu éradiqué la menace. La dernière prise d’un navire par des groupes criminels somaliens datait de 2017.

Dans un contexte de crise en mer Rouge, où les rebelles houthistes ciblent les navires commerciaux à l’aide de missiles et de drones piégés, la piraterie effectue simultanément un surprenant retour au large des côtes somaliennes. « Il y a eu davantage d’actes de piraterie au large de la Somalie depuis novembre 2023 qu’au cours des dix dernières années », note Martin Kelly, conseiller en chef au sein d’EOS Risk Group, une agence de sécurité britannique.

Opportunisme

Le MV Abdullah est déjà le troisième navire de commerce capturé par des pirates somaliens depuis novembre – les deux autres ont été libérés. L’opération militaire « Atalante », déployée dans l’océan Indien par l’Union européenne depuis 2008, dénombre 23 incidents (captures ou tentatives d’approche) ces quatre derniers mois, impliquant principalement des navires de pêche. Dans la nuit de mardi à mercredi, encore, un vraquier a échappé à l’assaut mené par un groupe de pirates au nord de l’île yéménite de Socotra.

Les militaires de l’opération « Atalante » estiment que la menace d’une attaque sur les bateaux sillonnant ces eaux est « modérée » – en d’autres termes, qu’elle constitue « une possibilité réaliste » – et appellent les navires à la vigilance extrême. « La situation volatile en mer Rouge est propice au retour des mafias de pirates, précise le centre de commandement de la force. Nous avons toujours dit qu’elles avaient été réprimées mais pas éradiquées, et qu’elles profiteraient de n’importe quelle opportunité pour reprendre leur activité. »

Quatre groupes de pirates (soit environ 36 hommes au total) navigueraient en ce moment dans une zone allant jusqu’à 1 900 km au large des côtes somaliennes. Ces derniers mois, ils ont capturé plusieurs dhows (des boutres typiques de l’océan Indien) qu’ils utiliseraient comme « vaisseaux mères », c’est-à-dire comme bases de lancement pour s’attaquer à des navires marchands plus importants. En outre, plusieurs camps de piraterie sont de nouveau actifs sur la côte somalienne, près de la ville portuaire d’Eyl, dans la région du Puntland, vers laquelle se dirige actuellement le MV Abdullah.

S’ils viennent réveiller les spectres d’un passé douloureux et coûteux pour la marine marchande internationale, les récents actes de piraterie n’annoncent pas un retour à grande échelle de l’activité, assure Omar Mahmood, chercheur au sein de l’International Crisis Group (ICG). « Ce sont des actions opportunistes, à la fois en lien avec la perturbation du trafic maritime en mer Rouge et avec un phénomène local de frustration des communautés de pêcheurs, qui s’estiment lésées par la pêche illégale », affirme-t-il.

Pêche illégale

En effet, de nombreux dhows venus d’Iran, d’Inde, du Pakistan et du Sri Lanka considèrent les côtes somaliennes comme un eldorado où les bancs de poissons sont fournis et les autorités locales incapables de contrôler la pêche. Ces navires vident les stocks de poissons et abîment les filets des pêcheurs somaliens, au mépris des règles internationales. Dans une étude, l’ONG Global Fishing Watch comptabilise environ 200 navires opérant sans aucune autorisation au large de la Somalie.

La prédation des pêcheurs étrangers dans le golfe d’Aden est historiquement à l’origine du mécontentement des communautés locales, qui, faute de moyens légaux, recourent à la piraterie. Dix-neuf de ces navires de pêche – en majorité iraniens – ont été attaqués par les pirates somaliens depuis novembre. « Tant que la question de la pêche illégale ne sera pas résolue, la piraterie continuera », observe Omar Mahmood.

Pour l’heure, des bâtiments de guerre italien, espagnol, américain, indien et seychellois patrouillent dans la zone dans le cadre de différentes opérations militaires. A terme, la Somalie, qui commence sa lente reconstruction après des guerres civiles à répétition, espère renforcer ses capacités de lutte contre la piraterie, alors que l’embargo sur les armes vieux de trente ans a été levé en 2023. En février, les autorités ont signé un accord de défense maritime avec leur allié turc, qui doit aider Mogadiscio à défendre son littoral et à reconstruire ses forces navales.