Avec les attaques houthistes en mer Rouge, les navires ralentissent à l’approche de la Corne de l’Afrique, créant un « terrain de chasse » pour les pirates somaliens.
Un navire arraisonné, emmené avec son équipage en Somalie. Et depuis, aucune nouvelle. L’attaque du vraquier MV Ruen, le 14 décembre, a réveillé le spectre de la piraterie qui a semé la terreur au large de la Corne de l’Afrique entre 2005 et 2012. Cette attaque menée à 380 milles marins (700 km) à l’est de l’île yéménite de Socotra est le premier détournement réussi par des pirates somaliens depuis celui du tanker Aris 13 en 2017, lui-même inédit depuis 2012. Elle est le cas le plus extrême d’une menace qui s’est accrue dans cette zone de l’océan Indien, sur une route commerciale majeure, soulignent des experts interrogés par l’AFP, qui jugent toutefois peu probable une résurgence à grande échelle.
Depuis mi-décembre, l’agence de sécurité maritime britannique UKMTO a recensé six incidents au large des côtes somaliennes, allant de l’approche par des hommes armés (AK-47, lance-roquettes) au détournement de navire. La tendance s’est amorcée l’an dernier. En 2023, le pôle d’expertise français de sûreté maritime MICA Center avait relevé neuf incidents de piraterie au large de la Somalie, une « nouveauté » depuis plusieurs années. Les actes les plus significatifs « se sont concentrés sur la fin de l’année, presque de manière concomitante à ce qui s’est passé dans la partie mer Rouge, golfe d’Aden et Bab el-Mandeb », détaille à l’AFP le capitaine de frégate Eric Jaslin, commandant du MICA Center.
« Plusieurs détournements de dhows [boutres typiques de l’océan Indien] l’an dernier ont alerté certains observateurs sur le fait que des groupes de pirates somaliens pourraient être en train de se rééquiper avec des moyens permettant des attaques loin en mer », souligne Timothy Walker, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS). Selon le modus operandi traditionnel des pirates, la saisie de bateaux de pêche (boutres motorisés, chalutiers) pouvant parcourir de grandes distances permet d’obtenir un « vaisseau mère », d’où sont ensuite lancées des opérations avec des embarcations plus maniables.
Avec les attaques houthistes, « beaucoup de navires ralentissent [à l’approche de la Corne de l’Afrique], attendant des instructions pour passer ou non par la mer Rouge. Ça crée un terrain de chasse », souligne Timothy Walker. Ce « terrain de chasse » s’est ouvert avec le déplacement de certaines forces navales de l’océan Indien vers la mer Rouge.
L’argument « Robin des Bois »
Des élections sensibles au Puntland, en décembre et janvier, ont également détourné l’attention des forces de sécurité locales des côtes vers l’intérieur des terres, souligne Omar Mahmood, chercheur à l’International Crisis Group (ICG). « Ces deux raisons, sur terre et en mer, ont fourni une opportunité pour ces groupes criminels qui ont toujours été là », ajoute-t-il. La Force de police maritime du Puntland (PMPF) n’a pas répondu aux sollicitations de l’AFP.
A Eyl, fief pirate du Puntland, on estime que ces attaques sont exagérées. Les habitants reconnaissent des incidents liés à la pêche illégale, problème récurrent dans l’océan Indien. De nombreux bateaux venus notamment d’Asie du Sud-Est, d’Iran voire d’Europe viennent pêcher sans autorisation dans ces eaux, épuisant une des rares sources de revenus des habitants. « La raison pour laquelle les pirates réapparaissent est la pêche illégale généralisée sur la côte », affirme Ahmed Abdi Nuh, un chef coutumier.
Même si elles ne visent pas des navires de commerce, les attaques sur des bateaux de pêche peuvent relever de la piraterie, selon la définition de l’ONU. Cet « argument de type Robin des Bois, selon lequel ils combattent la pêche illégale », a souvent été utilisé par le passé par les pirates capturés, souligne Timothy Walker. Entre le 29 janvier et le 2 février, quatre bateaux de pêche ont été libérés par les marines indienne et seychelloise après avoir été détournés, parfois à plus de 800 milles marins (1 500 km) des côtes. « Plus on s’éloigne de la Somalie, moins il est probable qu’il y ait une connexion avec un scénario de pêche », estime Hans Tino Hansen, PDG de la société danoise de renseignement et de sécurité maritimes Risk Intelligence.
Ces attaques n’augurent pas pour autant d’un retour en force des pirates somaliens, estiment les experts interrogés, soulignant l’importance de la réponse des forces internationales pour dissuader toute amplification du phénomène. Après un pic en 2011, les actes de piraterie ont fortement diminué avec le déploiement de bâtiments de guerre internationaux (opération « Atalanta » de l’Union européenne, force internationale CTF-151, marine indienne…), la création de la PMPF ou l’installation de gardes armés à bord de navires commerciaux. Ces opérations militaires sont toujours en place et, contrairement aux années 2000, les navires marchands sont conscients des risques et rompus aux procédures de sécurité.