Au Burkina Faso, la guerre de propagande fait rage après l’attaque djihadiste sur Djibo

Au Burkina Faso, la guerre de propagande fait rage après l’attaque djihadiste sur Djibo

Depuis l’attaque, dimanche, de l’une des principales villes du nord du pays, les autorités et les islamistes armés revendiquent chacun la victoire.

Combien de militaires et de civils sont tombés sous les balles des djihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaida), dimanche 26 novembre, à Djibo, une des principales villes du nord du Burkina Faso ? A Ouagadougou, la capitale, si le chef de l’Etat, le capitaine Ibrahim Traoré, a reconnu « une attaque d’envergure sans précédent », l’ampleur des pertes n’a toujours pas été établie, suscitant des inquiétudes bien au-delà des cercles militaires.

En début d’après-midi dimanche, la base de l’armée située à l’ouest de Djibo, des camps de déplacés et des positions tenues par les volontaires pour la défense pour la patrie (VDP) – des miliciens recrutés par l’Etat – ont été simultanément pris d’assaut par des centaines d’islamistes armés, comme en atteste la vidéo publiée sur les réseaux sociaux par le GSIM, qui a revendiqué l’attaque. Ces images de propagande montrent un camp vidé de ses soldats, incendié par endroits, pillé et occupé pendant un temps par les djihadistes arrivés à moto et en pick-up.

Une humiliation pour le régime du jeune capitaine putschiste, au pouvoir depuis septembre 2022, qui tente tant que possible de faire croire à une victoire sur cet adversaire qui, depuis ses premières attaques en 2015, a conquis le tiers du territoire burkinabé. « Dieu merci, nous [lui] avons infligé de lourdes pertes », jurait, le 30 octobre, le capitaine Taoré devant ses frères d’armes. L’Agence d’information du Burkina Faso est venue appuyer son propos, évoquant un bilan provisoire de « plus de 400 terroristes décimés dimanche lors d’une contre-offensive des Forces armées burkinabées contre près de 3 000 criminels ». Une « prouesse » selon l’agence de presse officielle, que s’est empressé de démentir le GSIM, ne reconnaissant, dans un communiqué publié jeudi sur la plate-forme de propagande Al-Zallaqa, que « quelques dizaines » de morts dans ses rangs comme dans ceux de l’armée.
« Cadavres de civils empilés à la morgue et à l’hôpital »

A peine un an après avoir pris le pouvoir en renversant un autre putschiste, le capitaine Traoré a engagé une offensive militaire sur le terrain contre les islamistes armés, mais surtout sur le terrain de la communication. « A chaque attaque d’envergure, la junte maximise les pertes infligées à l’adversaire et minimise ou cache celle de ses soldats pour protéger son pouvoir », dénonce une source sécuritaire burkinabée, sous couvert d’anonymat. « Le lendemain de l’attaque, les habitants de Djibo ont passé toute la journée à enterrer des morts, mais personne au gouvernement n’en parle », dit-elle encore. Un humanitaire travaillant dans le nord du pays évoque « de nombreux cadavres de civils, empilés à la morgue et à l’hôpital » de cette ville, soumise depuis février 2022 à un blocus djihadiste. Plusieurs sources locales affirment par ailleurs que des dizaines de civils ont été tués par des frappes aériennes de l’armée en représailles à l’attaque. Contacté, le gouvernement n’a pas répondu aux sollicitations du Monde.

Rare voix à encore s’exprimer sur place, le bureau des droits de l’homme de l’ONU a, mardi, évalué le nombre des victimes du GSIM à au moins 40 personnes et appelé toutes les parties à s’abstenir de « prendre pour cible les civils ». La publication a valu à Zeinab Hamza Diaby, la représentante du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme au Burkina Faso d’être convoquée par le gouvernement deux jours plus tard. La junte, qui avait déjà déclaré persona non grata fin 2022 la représentante de l’ONU, a cette fois invité les Nations unies à « accorder le moins d’espace possible aux terroristes », s’offusquant de la communication d’un bilan depuis l’étranger, avant elle.

Au Burkina Faso, s’intéresser de trop près aux opérations militaires est devenu dangereux. Selon nos informations, deux militants, connus sur les réseaux sociaux pour leurs publications dérangeantes envers le pouvoir burkinabé, ont été interpellés ces derniers jours. Des sources sécuritaires craignent qu’ils aient été arrêtés pour être envoyés au front. Un mois plus tôt, au moins une douzaine de journalistes, d’acteurs de la société civile et d’opposants s’étaient vu « notifier par écrit ou par téléphone (…) qu’ils seraient réquisitionnés pour participer à des opérations de sécurité », comme l’avait révélé l’ONG Human Rights Watch le 8 novembre.
Nouvel allié russe

Le régime du capitaine Traoré a fait du combat contre les groupes djihadistes sa priorité déclarée et sait qu’il sera jugé à l’aune de ses succès en la matière. Lui-même avait justifié son putsch de septembre 2022 par le manque de résultats de son prédécesseur, le lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba, tombeur du président Kaboré pour les mêmes motifs.

Ces deux coups d’Etat étaient intervenus au lendemain d’attaques terroristes d’envergure. « Traoré sait que si le bilan, très lourd, et le détail de l’attaque de Djibo étaient révélés avec précision, cela pourrait donner des idées à un autre militaire. Voilà pourquoi on voit toute cette machine de propagande qui travaille activement à étouffer l’incident », analyse une source sécuritaire ouest-africaine.En matière de propagande, le capitaine Traoré, qui affirme avoir déjoué plusieurs tentatives de coups d’Etat, sait qu’il peut compter sur l’expertise de son nouvel allié russe. Le jeune putschiste était l’une des personnalités les plus en vue lors du sommet de Saint-Pétersbourg en juillet. Depuis, des officiers russes ont fait le voyage à Ouagadaougou. La coopération sur tous les plans se renforce entre les deux pays, alors que les rumeurs enflent sur la présence discrète des mercenaires russes de Wagner au Burkina. Dans la foulée de l’attaque de Djibo, des affichettes désignant notamment la « complicité de la communauté internationale » lors de l’assaut ont été diffusées par CCB News, un faux média lié au Groupe panafricain pour le commerce et l’investissement (GPCI), un réseau de désinformation proche de Wagner.