Alors que les autorités militaires de Bamako affirment que les troupes de l’armée ont pris position à Kidal, à la suite d’une opération militaire, nous tentons d’analyser les défis qui attendent désormais les autorités maliennes.
Kidal, cette ville du nord du Mali est restée un bastion des séparatistes depuis 2012. C’est dans cette ville qu’il y a 11 ans que l’Armée a été mise en déroute, suite à des affrontements avec les rebelles.
La ville que certains qualifient d’insoumise est stratégique car, elle a toujours été le fief de toutes les rebellions touarègues du Nord du Mali.
L’on comprend donc les liesses populaires signalées dans plusieurs régions du pays après sa reprise aux mains des rebelles.
Passée l’euphorie, il faut rapidement se pencher sur les défis à venir, pour ne plus perdre cette localité que les autorités tenaient à reprendre, depuis qu’elle leur a échappé en 2012.
Ramener les populations
Du point de vue humanitaire, ramener les populations sera un des principaux enjeux, après que Kidal est repassée aux mains des autorités.
Les rapports des organisations internationales et humanitaires se sont montrés très alarmistes ces derniers mois.
L’Organisation internationale pour les migrations par exemple dans son dernier rapport publié début novembre, parle d’une augmentation de 116 % du nombre des déplacés dans la Région de Kidal de décembre 2022 à septembre 2023.
Concrètement, l’OIM a constaté que le nombre de déplacés est passé de 14 964 en décembre 2022 à 32 394 en septembre 2023.
Les ONG Catholic Relief Services (CRS) et le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) ont par exemple constaté qu’au cours des trois derniers mois (d’août à octobre 2023), 6 116 personnes ont quitté les différentes communes de Kidal.
Ces organisations expliquent ces déplacements par les affrontements et les opérations militaires qui ont été lancés en septembre dernier.
Réaffirmer la légitimité de l’Etat
Le retour des populations devrait être accompagné par le préalable de restauration de la légitimité de l’Etat, analyse Raoul Sumo Tayo, Historien, chercheur associé au laboratoire « Observer les Mondes En Recomposition » de l’Université de Liège.
Car, selon lui, ce type de guerre de contre-insurrection, la victoire revient généralement à celui des protagonistes qui est perçu comme légitime aux yeux de la population.
Il est hors de question pour l’armée malienne de se comporter à Kidal comme étant une force d’occupation.
Donc l’enjeu immédiat est de gagner la bataille des cœurs et des esprits, car, la victoire de Kidal a un impact psychologique non seulement sur les forces armées maliennes, mais également sur les insurgés qui ont perdu et dont le moral est à priori bas.
Mais, dans ce type de guerre poursuit l’expert, le succès militaire ne suffit plus pour gagner une bataille.
« Et dans cette bataille, l’enjeu premier, c’est la sécurité, parce que très souvent, pour les populations, la sécurité, occupe le sommet de la hiérarchie des besoins », déclare M. Sumo.
Accentuer la décentralisation
Pour Raoul Sumo Tayo, la déradicalisation devra passer par l’accentuation de la décentralisation. « Qu’est-ce qui fait que des populations, ou alors des groupes dans cet espace, ne veuillent plus être Maliens ? C’est parce que l’Etat a été centralisé. On a eu le sentiment de marginalisation. Il y a eu cette question de la mauvaise redistribution des ressources matérielles et des ressources symboliques. »
L’idée selon lui, c’est que les gens prennent en charge leur propre destin, que les ressources ne soient plus concentrées au niveau central et que la décentralisation soit effective dans ces espaces.
L’objectif étant que les populations aient un mot à dire sur leur destin. Cela, pense-t-il, permettra de déconstruire le discours des rebelles.
Ouvrir un dialogue avec les leaders touareg
Raoul Sumo Tayo ne croit pas à une solution militaire uniquement pour la crise malienne. Car, l’outil militaire n’est pas une fin. Pour lui, « Si la guerre n’est que la continuation de la politique par les moyens sanglants, il va de soi qu’à la fin de la guerre, la politique doit reprendre ses droits ».
La politique qu’il considère comme un jeu du donnant donnant car, l’armée n’est qu’un outil qui a vocation à créer les conditions d’une gestion politique de ce type de crise.
« C’est vrai que c’est un peu plus compliqué avec les groupes djihadistes qui s’étaient infiltrés. Mais avec les leaders Touaregs, je crois que le temps est venu de parler politique ».
D’autant plus que, selon lui, l’armée malienne, ou le gouvernement malien se trouve plus ou moins en position de force. C’est le moment plus que jamais, d’engager des négociations avec ces groupes parce que très souvent, l’enjeu, c’est de ramener le protagoniste autour de la table après l’avoir défait.
On sait qu’il y a déjà eu des discussions par le passé qui ont abouti aux accords d’Alger, qui jusqu’ici sont restés lettre morte. Sur quelle base est-ce que les autorités doivent-elles aborder ces négociations au cas où les leaders séparatistes défaits rejoindraient la table des négociations ?
Pour l’expert, que les rapports de forces militaires sur le terrain conditionneront les négociations. Parce que « les accords d’Alger, n’étaient pas le reflet du strict rapport de forces militaires sur le terrain, il y avait la question sous-jacente qui était celle des djihadistes. L’un des préalables de ces négociations, c’était le départ des forces françaises du Mali. Aujourd’hui, ce préalable a été levé »
Pour poursuivre les discussions, le spécialiste des questions de sécurité estime que les autorités devraient penser à un accompagnement des partenaires, notamment de la communauté internationale.
Eviter la radicalisation totale
L’autre piste envisageable dans cette crise, c’est le refus des groupes armés défaits à Kidal de rejoindre la table des négociations.
« C’est plus probable, c’est l’un des scénarios pour lesquels on devrait pencher assez rapidement ».
Parce que pense, Raoul Sumo, même s’il faut engager des négociations, je suis sûr que le camp d’en face voudra également marquer un coup pour aller négocier dans des conditions en position de force. »
Car, poursuit-il, « il est fort à craindre que dans l’incapacité de vaincre, suivant la manière classique il n’est pas exclu que des groupes utilisent densifient l’utilisation des engins explosifs improvisés sur leurs différents territoires, les bombes humaines, les mines explosives improvisées »
L’objectif étant de même s’il faut aller aux négociations, d’aller en position de force, d’être capable de, de faire plier la volonté de l’adversaire ou de l’ennemi suivant le cas, précis M. Sumo.
Envisager un partage de pouvoir
Ceci ne peut arriver selon l’expert, que si les deux parties acceptent de se retrouver, et de signer un accord de paix.
Dans le cadre d’un accord de paix, les uns pourraient être désarmés pour entrer dans le giron de l’autre dans le cadre d’un partage de pouvoir.
« Vous avez un groupe qui se plaint de ne pas recevoir suffisamment du centre de la capitale, d’être marginalisé. L’enjeu ici, c’est de négocier les modalités d’un partage du pouvoir, cela aboutirait à une intégration de ces groupes, par exemple au sein de l’armée régulière, dans le cadre d’un processus de DDR (Désarmement, Démobilisation, Réintégration)”.
Car, conclut notre expert, la guerre n’est qu’un outil de socialisation qui permettrait justement de créer des conditions pour un retour autour de la table des différents protagonistes.