Au Nord-Kivu, seconde province en nombre de votants après Kinshasa, l’enregistrement n’a pu avoir lieu que dans quatre des six territoires.
Ils sont plusieurs dizaines à s’agglutiner sous le préau pour se protéger de la pluie. Certains attendent depuis des heures devant le bureau de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) de Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu, à l’est de la République démocratique du Congo (RDC), pour repartir avec une carte d’électeur neuve. Mais les Congolais qui sont parvenus à obtenir leur pièce d’identité, indispensable pour pouvoir voter, ne sont pas au bout de leurs peines : la qualité de la pièce fait défaut. Le nom et la photo s’effacent, constate une majorité d’usagers, ce qui a contraint les autorités à refaire les documents. Le compte à rebours est pourtant lancé. L’élection présidentielle à un seul tour, couplée aux législatives, aux provinciales et à une partie des communales, a été fixée au 20 décembre.
« Et si les duplicatas promis par la CENI n’arrivaient pas à temps ? Ces électeurs seront-ils privés de droit de vote ? », s’inquiète Stewart Muhindo, membre de la Lutte pour le changement (Lucha), un mouvement citoyen qui a milité pour le départ de l’ancien chef d’Etat, Joseph Kabila, lors de la dernière présidentielle en 2018. « Ce problème n’est qu’un raté technique parmi d’autres », ajoute le militant.
L’opposition fulmine déjà contre une « élection chaotique ». Dans un communiqué du 27 octobre, six des vingt-quatre candidats – dont l’ancien gouverneur de la riche province du Katanga Moïse Katumbi, le gynécologue prix Nobel de la paix Denis Mukwege et le candidat malheureux à la présidentielle de 2018 Martin Fayulu – continuent de contester la fiabilité du fichier électoral, réclament la publication complète de la cartographie des bureaux de vote et s’inquiètent de « l’enrôlement » imparfait.
Enrôlement
Selon une estimation de l’institut de recherche International Crisis Group (ICG), plus d’un million de personnes en âge de voter n’avaient pas été inscrits en avril au moment de la clôture de l’identification des électeurs. Au Nord-Kivu, qui est la seconde province en nombre de votants après Kinshasa, l’enregistrement s’est déroulé dans seulement quatre des six territoires : 3 026 907 futurs votants y sont inscrits, c’est 800 000 de moins qu’en 2018.
La plupart des habitants du Masisi et du Rutshuru n’ont en effet pas participé à l’enrôlement électoral. Ces territoires sont en partie sous occupation du Mouvement du 23 mars (M23), un groupe armé qui a repris les armes fin 2021, soutenu par le Rwanda, selon Kinshasa et un rapport des experts des Nations unies. La présence d’insurgés congolais dans l’est de la RDC n’est pas nouvelle puisque la région, en proie aux conflits depuis près de trente ans, compte plus d’une centaine de milices actives. Mais c’est la première fois qu’une rébellion contrôle et administre une zone du Nord-Kivu à l’approche d’un rendez-vous électoral majeur, le quatrième du pays considéré comme libre.
A ce jour, toutes les activités de la CENI sont bloquées dans la région tenue par le M23. Parmi le million de personnes qui a fui les rebelles, tous n’ont pas pu être « enrôlés », malgré l’installation de quelques bureaux d’identification dans les camps de déplacés aux portes de Goma. Les inquiétudes quant à leur participation aux scrutins sont grandes, d’autant que les combats ont repris le 1er octobre après six mois d’accalmie et en dépit du cessez-le-feu imposé en mars par l’Angola et le Kenya, impliqués pour tenter de résoudre la crise.
Les autorités de Kinshasa semblaient pourtant avoir cru un instant à une reconquête des territoires perdus et à l’organisation d’élections partout dans le pays. En conseil des ministres le 20 octobre, le président Félix Tshisekedi, candidat à sa réélection, a appelé le gouvernement et la commission électorale « à mettre tout en œuvre » pour permettre à tous les Congolais de voter « compte tenu de la libération progressive des territoires de Masisi et de Rutshuru ».
Espoirs douchés
Des groupes armés progouvernementaux appelés wazalendos (« patriotes » en kiswahili, la langue véhiculaire dans l’est de la RDC) avaient en effet repris, mi-octobre, la ville stratégique de Kitshanga, carrefour du Masisi et du Rutshuru. Ces wazalendos avaient d’ailleurs invité la CENI à y commencer « l’enrôlement » avant que la zone ne soit à nouveau occupée par les rebelles du M23, douchant ainsi les espoirs des habitants d’être inclus dans les futures élections.
Mais, à Goma, les responsables locaux de l’institution électorale se disent confiants. La formation des 57 instructeurs provinciaux – qui formeront à leur tour tous les agents électoraux territoriaux – a démarré lundi « conformément au calendrier prévu », rassure l’un d’entre eux, qui a cependant requis l’anonymat. « Le matériel est là et nous faisons comme si tout allait se dérouler normalement », ajoute un superviseur qui dit attendre « les décisions politiques pour organiser la suite ».
La RDC ira-t-elle aux élections malgré la présence du M23 ? A Kinshasa, personne ne semble avoir encore tranché la question. Le 4 mars, le chef de l’Etat avait évoqué la possibilité d’un « glissement » électoral, c’est-à-dire d’un report de la date des scrutins à cause de la situation à l’Est. « Déjà, lors de la dernière présidentielle en 2018, certains territoires n’avaient pas pu voter », regrette Juvénal Munubo, député de l’Union pour la Nation congolaise, un parti membre de la majorité présidentielle qui n’est pas favorable au « glissement ». « Nous avons attendu que la situation se stabilise et un vote en différé a été organisé », précise cet élu du Nord-Kivu sans minimiser le risque de paralysie institutionnelle des Assemblées provinciale et nationale et du Sénat. Sans élection sur la totalité du territoire, ces institutions ne pourront être pleinement constituées.
Dans la loi sur la répartition des sièges adoptée en juin, la proposition de la CENI de réserver aux circonscriptions du Masisi et du Rutshuru le même nombre de fauteuils qu’en 2018 et de différer l’attribution des nouveaux a été adoptée par le Parlement. « Mais dans une zone où les groupes armés présents sont souvent liés à des responsables politiques, ce blocage pourrait entretenir, voire amplifier, les conflits », conclut Stewart Muhindo de la Lucha.