Une semaine après “le massacre” d’une cinquantaine de civils par les Forces armées de République démocratique du Congo dans la ville de Goma au Nord-Kivu, l’incertitude demeure sur le déroulement de l’enquête malgré l’arrestation, l’interpellation et la suspension de quelques hauts responsables militaires et policiers.
Ils avaient juste prévu leur marche pacifique, et en pleine préparation, ils ont été attaqués et tués
Un témoin, rencontré sur les lieux du drame par la RTBF
Le 30 août dernier, une unité spéciale de la Garde Républicaine a effectué un raid dans une station radio et une église d’une secte mystico-religieuse, dans l’objectif de réprimer une manifestation prévue contre la présence des soldats de la mission des Nations-Unies (MONUSCO). “Ils avaient juste prévu leur marche pacifique, et en pleine préparation, ils ont été attaqués et tués”, témoigne Josué Byamungu, un témoin rencontré sur le lieu du drame par la RTBF.
Dans leur église, des centaines de fidèles étaient en pleine veillée de prière à l’aube de la manifestation, quand soudain, des dizaines de soldats armés, cagoulés et équipés de drones de reconnaissance ont fait irruption, témoignent des voisins sous anonymat.
Dans des vidéos amateurs largement partagées sur les réseaux sociaux, c’est quasiment des scènes de guerre. On y voit les soldats qui traînent au sol des corps couverts de sang, avant de les jeter à l’arrière de leurs camions “Kamaz”.
“Nous devons savoir pourquoi ils ont tué toutes ces personnes et ce qui justifiait cette attaque car dans leur église il n’y avait aucune arme, aucune machette et donc, aucun objet qui peut blesser”, poursuit Josué Byamungu.
Le même jour, l’armée affirmait pourtant que les manifestants présentaient une menace à la sécurité de la ville. “Ils étaient armés… l’armée nationale a opéré de la manière la plus professionnelle possible”, déclarait le colonel Guillaume Ndjike, porte-parole militaire du Nord-Kivu.
“Non-violents”
L’hôpital Bethesda a accueilli une cinquantaine de blessés qui sont pris en charge par le Comité international de la Croix-Rouge. Quelques survivants témoignent que l’armée a mené une exécution “sommaire et systématique” des membres de la secte. “Nous étions non violents et nous avions déjà informé les autorités que nous n’allons pas manifester pour détruire quoi que ce soit, ni pour attaquer quelqu’un”, relate Jacob Bibentyo, 28 ans, visage crispé, sans espoir de pouvoir de servir encore une fois de sa jambe gauche criblée des balles.
Comme lui, Ladislas Abamungu a aussi miraculeusement survécu à l’attaque : “Ils m’ont tiré une balle dans l’épaule et elle est allée se loger dans les côtes, mais par la grâce de Dieu après l’opération, la balle a été retirée. J’ai beaucoup de blessures et ils ont vraiment écrasé ma main gauche et maintenant je n’ai plus de doigts”.
Le bilan actualisé fait état de 56 personnes tuées, 75 blessés et le lieu de rassemblement de la secte incendiée, sur ordre du maire de la ville. Des blessures graves ont été soignées par le CICR. “C’était une prise en charge très compliquée”, d’après Max Maietti, coordinateur du projet chirurgical du CICR pour la prise en charge des blessés par armes au Nord-Kivu.
“La lumière”
Deux procès sont en cours à Goma. Le premier se tient contre une centaine de manifestants poursuivis notamment pour participation à un mouvement insurrectionnel. Et le deuxième contre six soldats, dont deux officiers supérieurs de la Garde Républicaine arrêtés après leur audition par une délégation interministérielle dépêchée par Kinshasa pour “faire la lumière” sur ce drame.
Le gouverneur militaire du Nord-Kivu, le lieutenant général Constant Ndima est aussi rappelé à Kinshasa pour consultation. Le gouvernement a aussi suspendu deux officiers de Police en charge des renseignements et de la sécurité publique, eux aussi convoqués dans la capitale. Des mesures satisfaisantes mais insuffisantes aux yeux des activistes des droits humains, dont Espoir Ngalukiye, qui y voit une stratégie “gérer l’émotion de la population”.
La mission de l’ONU en RDC pour la stabilisation (MONUSCO) est sommée de quitter le pays suite à son “inefficacité” à défaire les groupes armés qui se comptent par centaines dans l’est du pays. Depuis 2019, des manifestations meurtrières sont organisées dans plusieurs villes.