La méthode «bras de fer» de Macron si souvent utilisée contre les Français ne fonctionne pas au Niger

La méthode «bras de fer» de Macron si souvent utilisée contre les Français ne fonctionne pas au Niger

Le monde entier assiste médusé à la confrontation entre Paris et Niamey, il suffit de regarder les télévisions étrangères pour s’en convaincre. Emmanuel Macron gère toutes les crises intérieures comme extérieures selon le même mode opératoire : tenir face à l’adversité quoiqu’il en coûte et parier que ça passera. Au Mali, lors de son bras de fer avec le chef de l’État, Assimi Goïta, il a usé des mêmes procédés qui ont fini par conduire au départ de l’armée française. Au Niger la boîte à outils est similaire et le résultat sera identique. Cette méthode conjuguée à l’absence totale de diplomatie affaiblit durablement la France sur la scène internationale, notamment au sein de l’Union européenne.

J’y suis, j’y reste ?

La situation est sans précédent dans l’histoire de France. Son ambassadeur, Sylvain Itté, est cloîtré à la Chancellerie depuis le 26 août dernier, date à laquelle il a été déclaré persona non grata pour ne pas s’être rendu à une réunion organisée par les militaires. Devant le refus du Quai d’Orsay de le rappeler ses conditions se sont encore dégradées, ni lui ni sa famille ne bénéficient plus d’immunité diplomatique, un tribunal ayant ordonné son expulsion. Ses 1500 soldats basés à Niamey sont enfermés dans leur base depuis le coup d’État du 26 juillet, idem pour les forces spéciales se trouvant à Ouallam dans l’ouest du pays. La junte a dénoncé les accords de défense avec Paris le 3 août, les militaires français avaient un mois pour quitter le territoire. L’ultimatum a expiré, les soldats sont toujours là et les manifestants devant leurs camps aussi.

Combien de temps cela va-t-il durer, comment cela finira-t-il ?

Le Premier ministre nigérien, Lamine Zeine, a mis fin au suspense en laissant entrevoir un espoir de sortie de crise. Le lundi 4 septembre il a déclaré que des échanges étaient «en cours» pour que les forces françaises basées dans le pays se retirent «rapidement».

Le lendemain l’AFP confirmait cette annonce. Si des négociations étaient en cours, pourquoi avoir maintenu la pression tout le week-end et faire perdurer les manifestations devant la base militaire française ? Ces images désastreuses ont tourné en boucle sur les écrans du monde entier. Dans la presse Catherine Colonna et Sébastien Lecornu ont pourtant défendu pied à pied la position d’Emmanuel Macron tenue lors de la conférence des ambassadeurs le 28 août dernier : «Notre politique est simple : on ne reconnaît pas les putschistes, on soutient un président qui n’a pas démissionné, aux côtés duquel nous restons engagés, et nous soutenons l’action diplomatique de la CEDEAO et militaire quand elle le décidera».

L’ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Mohamed Bazoum a fait aussi partie de cette offensive médiatique en montant au créneau sur LCI et France 24. Hassimi Massaoudou a ainsi déclaré «Nous voyons venir l’intervention, l’usage de la force est inévitable». Pourquoi tenir de tels propos alors que le projet avait déjà pris l’eau de toutes parts ? Pour de multiples raisons juridiques, opérationnelles, capacitaires, la CEDEAO était incapable de mener cette bataille. En outre, après avoir été le fer de lance des va-t-en guerre, le Président nigérian a enfoncé ses deux pieds sur le frein. Contesté à l’intérieur de son pays pour ses prises de positions guerrières, Bola Tinubu en danger après sa récente élection, a fini par proposer aux militaires nigériens une transition de neuf mois ! Sans la participation d’Abuja dotée de la plus importante armée de la région, cette intervention n’était plus envisageable. Quant à replacer Mohamed Bazoum dans ses fonctions en usant de la force, comme le préconise Hassoumi Massaoudou dans son entretien, que dire ? Comment imaginer un Président déchu remonter sur le trône sans soutien populaire et avec toutes les forces de défense et de sécurité unies contre lui ? Cela reviendrait à gouverner un pays sans peuple et sans armée. Pour reprendre l’expression d’Emmanuel Macron devant les ambassadeurs «On vit chez les fous».

Vous avez dit solidarité européenne ?

Sans intervention de la CEDEAO, la France ne pouvant plus apporter son appui n’avait plus qu’à plier bagages. Elle aura tenu jusqu’à l’extrême limite une posture intenable. Les pays de l’Union européenne l’ont regardé s’enferrer dans cette crise entre délectation, stupéfaction et agacements. Réunis à Tolède le 31 août, les ministres des Affaires étrangères de l’UE n’ont pas caché leur mécontentement. L’Italien Antonio Tajani s’est fait le porte-voix de nombre de ses homologues en déclarant qu’une solution militaire serait un «désastre» susceptible de déclencher une nouvelle crise migratoire. À tel point que fait rarissime, la dépêche Reuters qui rendait compte de cette rencontre a souligné que la France, «a fait profil bas lors de la réunion». Hassoumi Massaoudou, qui était leur invité, a déclaré sans ciller sur LCI que «l’UE est en train d’agir comme un seul homme en soutien à la France et à la démocratie nigérienne». Unis oui, mais contre Paris ! En outre, s’ils ont, certes, accepté les sanctions, ils ont diplomatiquement repoussé aux calendes grecques la demande de la CEDEAO d’apporter un soutien financier à l’intervention militaire.

Pour rappel, aucun des alliés de la France ne s’est exprimé sur le départ des troupes françaises demandé par les militaires au pouvoir à Niamey. Pas un n’a repris l’argument de Paris sur l’illégitimité de la décision. Seul Josep Borrel a exprimé sa solidarité concernant l’expulsion de l’ambassadeur de France.

Selon un parlementaire européen : «Ils sont tous ravis de voir la France rentrer dans le rang, de la voir se normaliser, de devenir un pays européen comme un autre, un pays qui abandonne sa présence mondiale». Dans les couloirs du parlement il y a une sorte de jubilation chez certains : «En Afrique, la France a tout perdu, sauf son arrogance !» Comme la réunion de Tolède en a déjà montré un aperçu, l’effondrement de l’influence française provoquera inévitablement un bouleversement des rapports de force au sein de l’UE.

Dans ses conditions, il ne serait pas surprenant de voir les Allemands ranimer le débat sur le partage de sa place au Conseil de Sécurité. Berlin agite depuis longtemps l’idée que le siège de membre permanent de la France revienne à l’ensemble de l’UE. Une proposition à laquelle la France a toujours opposé une fin de non-recevoir catégorique… Mais si elle perd sa relation spéciale avec une partie de l’Afrique, si elle perd ses votes aux Nations unies, c’est une raison de moins pour maintenir sa particularité au Conseil de Sécurité, une raison de plus, diront certains, pour transformer son siège en une place pour l’UE.

Les Russes ou les Américains ?

Pour justifier cet affaiblissement sur la scène internationale, c’est le même refrain entonné à longueur de discours et d’antennes : c’est Wagner, ce sont les Russes. C’est de la manipulation, c’est la puissance de feu des réseaux de communication de Moscou qui souhaite bouter la France hors d’Afrique. En miroir, d’autres pensent que les Américains manigancent en coulisses pour reprendre la place. Dans les deux cas, cette attitude consiste à s’exonérer des erreurs commises et à dénier aux Africains la capacité de prendre leur destin en main. Ce putsch est nigéro-nigérien. À ce propos, le site Grayzone rapporte, en citant un responsable sud-africain, une anecdote édifiante. Trois jours avant de se rendre à Niamey pour négocier avec la junte, Victoria Nuland, secrétaire d’État adjointe par intérim a débarqué à Pretoria totalement désemparée. Elle a demandé de l’aide aux autorités pour faire reculer les auteurs du coup. «En plus de 20 ans de collaboration avec les Américains, je ne les ai jamais vus aussi désespérés». Les États-Unis en sont réduits à colmater les fuites pour que le camp occidental ne perde pas trop de voix aux Nations unies.

Curieusement personne n’a vu la main de Pékin pourtant très présent au Niger, avec l’oléoduc Agadem/Cotonou, la raffinerie de Zinder, le barrage hydroélectrique de Kandadji. Au moment où planait les menaces de conflit, le ministre de la Défense, Salifou Mody recevait tranquillement l’ambassadeur chinois à Niamey. Dans le même temps, le président béninois, un des plus fervents supporter de l’intervention militaire rencontrait Xi Jinping lors d’un voyage d’État de quatre jours à Pékin. Il a loué les partenariats gagnants-gagnants et a exonéré les ressortissants Chinois de visa. Pendant que Paris s’indigne, que Washington se cherche, que les deux voient l’œil de Moscou partout, la Chine rafle la mise.
Ainsi va le monde…

C’est désormais acquis, la France quittera le Niger. Pour en arriver là, Emmanuel Macron aurait pu éviter les menaces, les coups de menton, les postures. Après le Mali, le Burkina Faso, la séquence nigérienne est plus désastreuse encore. Pour l’armée d’abord, les images de milliers de manifestants devant la base des militaires français resteront dans l’histoire. Pour le Quai d’Orsay ensuite dont la diplomatie en ressort encore affaiblie avec l’affaire Sylvain Itté qui a tordu le droit international en bafouant la Convention de Vienne. D’autres exemples pourraient être cités, comme l’image ravageuse de l’ambassadeur de France, Alexis Lamek, reçu par le chef putschiste gabonais, Oligui Nguema moins de cinq jours après son coup de force. Une semaine plus tôt, Emmanuel Macron fustigeait les doubles standards… L’affaiblissement de la France ne vient pas de la perte de sa zone d’influence, elle en a vu d’autres, mais de la manière dont elle la perd.