« Le Monde » revient sur les trois procédures judiciaires qui pèsent sur l’opposant sénégalais.
Les charges et les condamnations s’accumulent, mais les avocats d’Ousmane Sonko l’assurent : rien n’empêche l’opposant antisystème, investi le 13 juillet par son parti Les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), de participer à la présidentielle de février 2024. « Il n’y aura pas d’élection dans ce pays, ou alors ce sera dans un chaos indescriptible si par des combines judiciaires le président Macky Sall voulait empêcher ma candidature », a-t-il lui-même mis en garde début juillet dans un entretien sur la chaîne France 24.
Mais Ousmane Sonko peut-il vraiment concourir, alors que sa formation a été dissoute et qu’il est incarcéré ? Le Monde tente de répondre en revenant sur les trois procédures judiciaires qui pèsent sur l’opposant. En grève de la faim, ce dernier a été hospitalisé dimanche 6 août, selon son entourage.
Une première condamnation en appel à six mois de prison avec sursis pour diffamation et injure publique contre le ministre du tourisme Mame Mbaye Niang
Cette seule peine, prononcée en mai, aurait pu entraîner la radiation d’Ousmane Sonko des listes électorales, mais ses avocats se sont pourvus devant la Cour suprême quelques jours après le jugement. « Le recours en cassation étant suspensif, sa condamnation ne produit, pour le moment, aucun effet sur son éligibilité », explique Yaya Niang, enseignant chercheur en droit public à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis. Pour qu’Ousmane Sonko soit radié des listes électorales, il faudrait que la Cour rejette la requête de la défense.
Mais ce n’est pas tout. Au Sénégal, la radiation ne peut intervenir que durant la période de révision du fichier électoral. Pour l’élection présidentielle de 2024, cette refonte a pris fin début mai. En cas de rejet par la Cour suprême du pourvoi en cassation d’Ousmane Sonko, le leader du Pastef serait obligé de s’en remettre au Conseil constitutionnel.
C’est ce qui était arrivé à l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, condamné en août 2018 pour « faux et usage de faux » et « escroquerie portant sur des fonds publics ». Sa candidature à l’élection présidentielle de 2019 avait été invalidée par le Conseil constitutionnel plusieurs mois après la clôture de la révision du fichier électoral et dix jours après l’échec de son recours en cassation. L’instance avait estimé dans sa décision qu’une peine « impliquant sa radiation des listes », le frappait « d’incapacité électorale ».
Une seconde condamnation par contumace à deux ans de prison ferme dans l’affaire Sweet Beauty
Accusé de viol par Adji Sarr, une ancienne employée du salon de massage Sweet Beauty à Dakar, Ousmane Sonko a été reconnu coupable, en juin, de « corruption de la jeunesse ». Il n’était pas présent à son procès et ne peut donc pas faire appel de cette condamnation qui, à nouveau, pourrait le rendre inéligible.
Selon le code sénégalais de procédure pénale, l’arrêt de condamnation ne peut être est « anéanti » que si le condamné par contumace est arrêté ou se constitue prisonnier. Dans ce cas, l’affaire doit être rejugée, non en cour d’appel, mais dans la même chambre où elle a été examinée en première instance. « Une condamnation anéantie ne produit aucun effet sur l’éligibilité », rappelle Yaya Niang.
Ousmane Sonko a bien été arrêté le 28 juillet et, le 3 août, il a notifié depuis la prison son « non-acquiescement au jugement ». Mais la situation est particulièrement emmêlée : le procureur de la République Abdou Karim Diop estime que les raisons de l’incarcération de l’opposant n’ont « aucun lien avec la procédure » liée à l’affaire Adji Sarr. En d’autres termes, il ne peut être rejugé.
« Le parquet nous a mis dans une situation incompréhensible. Comment peut-on mettre une personne dans les liens de la détention et estimer qu’elle est toujours en contumace ? », s’interroge Me El Amath Thiam, spécialiste du contentieux des affaires. En conférence de presse, lundi 7 août, le ministre de la justice Ismaila Madior Fall a répété que le jugement de ce procès pour viol « n’est pas exécuté ». Face à cet imbroglio, la question de l’éligibilité d’Ousmane Sonko pourrait devoir à nouveau être tranchée par les juges constitutionnels au moment de statuer sur les candidatures à l’élection présidentielle.
Arrestation et nouvelles charges
Après avoir été interpellé et placé en détention à Dakar, l’opposant a été inculpé pour neuf chefs d’accusation, dont « appel à l’insurrection, association de malfaiteurs, atteinte à la sûreté de l’Etat, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste » et « complot contre l’autorité de l’Etat ». L’instruction est toujours en cours. Ousmane Sonko est donc encore présumé innocent des faits qui lui sont reprochés et son éligibilité n’est pas mise en cause. Aucun calendrier n’a été fixé pour un procès dans cette affaire. Il est donc peu probable qu’une décision judiciaire intervienne d’ici à février 2024, date de l’élection présidentielle.