La répression contre les personnes en situation irrégulière vient de franchir un nouveau cap, en Tunisie. Des centaines de migrants originaires d’Afrique subsaharienne auraient été renvoyés de force dans les zones désertiques à la frontière avec l’Algérie et la Libye, suite aux récents affrontements dans la ville de Sfax.
Dans le Sahara, sans eau ni abri
Difficile de faire plus inhospitalier que les régions tunisiennes frontalières avec l’Algérie ou la Libye : le désert s’y étend à perte de vue, les températures dépassent les 40°C à cette période de l’année. Les ONG et les visiteurs ne s’aventurent pas dans cette zone militarisée.
C’est pourtant là que les autorités tunisiennes ont déporté près de 800 personnes originaires d’Afrique subsaharienne, sans papiers ou détentrices de visas périmés.
Monica Marks, chercheuse sur la Tunisie et professeure adjointe des études sur les carrefours arabes à l’université de New York à Abou Dhabi, raconte que “les groupes de réfugiés et de migrants noirs comprenaient des enfants, des femmes, des femmes enceintes et ils avaient été abandonnés dans le Sahara sans ombre, sans nourriture, sans eau potable. […] La situation était absolument horrible. Le président tunisien Kaïs Saïed était tout à fait disposé à laisser mourir ces personnes noires en Tunisie.”
Finalement, sous la pression des organisations de défense des droits humains, les autorités tunisiennes sont revenues les chercher dans la nuit de lundi à mardi.
La coresponsabilité européenne
Matt Herbert, expert principal sur l’Afrique du Nord au sein du groupe de réflexion suisse Global Initiative Against Transnational Organized Crime, estime toutefois qu’il est probable que les troubles et les déportations de migrants se reproduisent.
Il estime que l’Union européenne accroît ce risque en faisant pression sur les pays d’Afrique du Nord pour qu’ils gèrent eux-mêmes la migration irrégulière vers l’Europe.
“Si l’intérêt est d’intensifier les mesures de répression contre les migrants en Afrique du Nord et de renforcer l’application de la loi, l’UE et ses Etats membres doivent prévoir l’émergence de tensions et mettre au point des stratégies avec les gouvernements hôtes sur la manière de réagir et sur le soutien que l’UE et les Etats membres peuvent apporter”, déclare Matt Herbert.
“Aidez-nous!”
A Sfax, dans l’est du pays, la Deutsche Welle a rencontré plusieurs personnes venues d’Afrique subsaharienne et qui espèrent pouvoir gagner les côtes italiennes, situées à seulement 130 kilomètres de là.
Certains attendent depuis des années. Cet homme, par exemple, qui dit s’appeler Ahmed et être Malien, affirme n’avoir jamais connu de situation aussi tendue que celle qui prévaut depuis quelques mois :
“Nous sommes obligés de venir en Tunisie pour des raisons économiques, pour travailler, témoigne Ahmed. Je suis ici depuis 2017, mais ce qui s’est passé là, casser les portes, mettre les gens dehors, c’est déplorable pour les noirs. C’est la première fois que je vois ce genre de problèmes alors je prie Dieu pour que ça s’améliore. Nous avons faim et n’avons plus d’abri. Aidez-nous !”
“On n’est pas venu pour rester”
Cette femme se présente sous le nom de Francesca. Agée de 26 ans, elle affirme venir de Guinée et n’être que de passage en Tunisie. Son objectif à elle, c’est l’Italie.
“Ça fait quatre jours qu’on dort dehors, raconte Francesca. On nous blesse, on nous agresse un peu partout. Et on ne sait pas où aller parce qu’on a peur pour notre vie maintenant. Et on n’a pas choisi d’être noirs. Nous sommes des êtres humains comme eux. Il faut nous rendre notre liberté et alors on va partir. On n’est pas venus pour rester.”
Cette Camerounaise, Martina, est très en colère. Elle est en Tunisie depuis 2022 et a déjà fait un mois de prison, dit-elle, au moment des arrestations de masse de personnes migrantes parce qu’elle n’avait pas de papiers. Elle non plus ne compte pas rester en Tunisie :
“Ce que nous on demande, c’est que si les Tunisiens ne nous veulent pas chez eux, qu’ils nous laissent partir. Ici, il n’y a pas d’emplois, nous on est parti pour aider nos familles et partir en Italie. La Tunisie est un pays d’Afrique, pourquoi est-ce qu’on se tue entre Africains ?”, se demande-t-elle.
Les défenseurs des droits humains tunisiens déplorent que ni les autorités tunisiennes ni les partenaires étrangers de la Tunisie n’aient de stratégie claire pour répondre avec humanité aux personnes désireuses de s’exiler.